Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, on ne peut que se féliciter du large consensus qui a présidé à l’adoption de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, tant au sein de notre hémicycle qu’à l’Assemblée nationale, laquelle a adopté sans aucune modification le texte transmis par le Sénat.
En effet, la nécessité de préserver l’avenir de nos enfants, c’est-à-dire de notre société, fait l’unanimité sur nos travées. Cela explique la préoccupation exprimée par notre collègue Claire-Lise Campion quant à l’application de la réforme prévue par ce texte, particulièrement pour ce qui concerne la question de son financement par le Fonds national de financement de la protection de l’enfance. Je fais confiance au Gouvernement pour trouver les voies et moyens d’accélérer le financement de ce fonds, sans pour autant perdre de vue les objectifs et le contexte qui prévalaient lors de sa création.
Comme chaque fois qu’une réforme affecte les collectivités territoriales, se pose la question de la compensation des charges transférées ou supposées l’être. La création de ce fonds est très largement justifiée par l’obligation formelle imposée par la loi à chaque département de mettre en place une cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes. La mise en œuvre d’un tel dispositif suppose des moyens supplémentaires. Toutefois, de nombreux départements n’ont pas attendu le vote de la loi pour prendre l’initiative de centraliser en un même lieu l’historique des dossiers, en vue d’éviter les doublons et d’assurer la pérennité des prises en charge. Certains n’ont pas attendu la création du fonds pour mettre en place une telle cellule. Au final, plus des deux tiers des départements en sont aujourd’hui dotés. Dès lors, peut-on parler d’une innovation, voire d’un transfert de charges, comme l’a donné à penser notre collègue Claire-Lise Campion ?
Il ne s’agit sans doute pas d’une innovation, dans la mesure où les objectifs assignés à la cellule s’inscrivent logiquement dans la mission de protection de l’enfance conférée aux départements en vertu des premières lois de décentralisation, mission doublée d’une protection médico-sociale dite PMI, protection maternelle et infantile, pour les enfants âgés de zéro à six ans.
Ce qui est nouveau, cependant, c’est que l’on formalise et rend désormais obligatoire un outil qui impose aux partenaires des départements, à savoir l’éducation nationale, les associations de protection de l’enfance, les communes, la protection judiciaire de la jeunesse, le parquet, les services de santé, de collaborer avec eux. Le rôle pivot du département en matière de protection de l’enfance est ainsi consacré. La création de la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes correspond à cette mission naturelle de coordination. Elle permet de disposer d’un recueil d’informations partagées. Trop souvent, en effet, chaque intervenant, au nom de sa spécificité, de son organisation propre ou d’une pratique extensive du secret professionnel, ne collaborait pas à l’obtention d’une vue d’ensemble de la situation, ce qui ne permettait pas d’aboutir à des analyses concertées et à des suggestions partagées.
La loi du 5 mars 2007 est donc venue conforter le rôle central des départements en matière de protection de l’enfance, l’action judiciaire ne devant être que subsidiaire. C’est pourquoi j’estime que la question du financement, si elle reste bien entendu centrale, ne peut constituer la seule réponse en vue d’une meilleure prévention. Elle doit s’accompagner d’une meilleure synergie des actions, qui rendra celles-ci plus efficaces.
L’exemple des visites médicales est à cet égard éclairant : d’un côté, vingt visites médicales obligatoires sont prévues au titre de la PMI entre zéro et six ans, aucun contrôle n’étant exercé dans la pratique, les CAF ne demandant plus la présentation des justificatifs qui conditionnaient le versement des prestations, ce qui conduit d’ailleurs à s’interroger sur leur absolue nécessité ; de l’autre, la loi du 5 mars 2007 a introduit l’obligation d’une visite médicale au cours des sixième, neuvième et quinzième années, en sus des vingt examens médicaux obligatoires que je viens d’évoquer. On le comprend aisément, l’ensemble du dispositif peine à se mettre en place.
En ne confiant pas aux départements, lors de l’élaboration des dernières lois de décentralisation, une mission générale de protection de l’enfance, allant – osons le mot ! – vers un service unifié de la protection de l’enfance, nous avons perdu, j’en suis convaincu, l’occasion de procéder à une mise en cohérence. Si des travailleurs sociaux et des personnels de santé doivent être présents en milieu scolaire, ne gagnerait-on pas en efficacité à confier au même service le dépistage et l’accompagnement, de la naissance à l’adolescence? Il s’agit bien des mêmes enfants et des mêmes familles : pourquoi émietter leur accompagnement ?
Il est difficilement contestable qu’une telle évolution permettrait à la fois de mieux dépenser l’argent public, grâce à une mutualisation des moyens, et de mieux répondre aux préoccupations de santé publique et de prévention médico-sociale, en instaurant un interlocuteur unique. En effet, la dilution des compétences et la multiplicité des intervenants ne favorisent pas l’exercice des responsabilités, pas plus qu’elles ne répondent à l’intérêt de l’enfant. Du reste, en introduisant la notion de secret partagé, la loi du 5 mars 2007 a posé des jalons intéressants sur la route d’une mutualisation de plus en plus pertinente au regard de la diversité des instances et des situations concernées.
En conclusion, je souhaite insister sur l’intérêt de l’enfant, qui doit rester au cœur du débat et être notre seul objectif. Face à la montée de la violence observée à l’école, aux excès de l’utilisation d’internet qui menacent l’enfance, au développement de la pédophilie et des mauvais traitements dont peuvent souffrir les enfants au sein même de leur famille, il est plus que jamais nécessaire de mobiliser tous les acteurs de la protection de l’enfance en vue d’actions cohérentes.
C’est pourquoi, si je reconnais bien volontiers l’importance des moyens financiers, je demeure convaincu que la mise en place d’une synergie pragmatique des services concernés constitue la meilleure solution pour améliorer la situation.
À mes yeux, on ne peut aborder la question financière en la déconnectant totalement de l’état de nos finances publiques. De ce point de vue, et pour ne prendre qu’un seul exemple, je me réjouis que des moyens aient été dégagés, lors de la dernière convention d’objectifs et de gestion conclue entre l’État et la Caisse nationale d’allocations familiales, pour financer un plus grand nombre de dispositifs en faveur de la petite enfance, car ils participent également à la protection de l’enfance.
Je ne crois pas que l’on puisse opposer l’action des CAF à celle de l’État, ni l’État aux départements, ou pis encore, comme je l’ai entendu à l’instant, la protection de l’enfance à la prévention de la délinquance. La protection de l’enfance et nos enfants méritent mieux !
Aussi, madame la secrétaire d’État, en écoutant les réponses que vous nous apporterez tout à l’heure, serons-nous tout autant attentifs aux aspects financiers qu’aux perspectives que vous tracerez pour assurer une meilleure protection de nos enfants.