Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ajouterai quelques mots à l’intervention de notre collègue Esther Benbassa, auteur de la proposition de résolution.
À ce titre, je formulerai deux remarques.
En premier lieu, lorsque l’on parle des déplacés environnementaux et climatiques – le chiffre de 25 millions de déplacés circule –, on a tendance à se concentrer sur les causes, la montée des eaux et les catastrophes naturelles.
Pourtant, je voudrais rappeler que la principale cause de ces déplacements est avant tout, aujourd’hui, l’exode rural. Il y a quelques jours, nous avons accueilli au Sénat des journalistes du Soudan et du Niger. Nos interlocuteurs ont insisté sur le fait qu’à chaque sécheresse on observait une accélération de cet exode. §Lorsque l’on regarde les événements récents – comme la sécheresse catastrophique en Syrie au début des années deux mille –, on s’aperçoit que la déstabilisation des sociétés, qui est largement imputable à l’exode rural, est probablement, aujourd’hui, l’une des principales conséquences du réchauffement climatique !
En second lieu, nous parlons d’un monde dont la température globale a augmenté d’à peu près un degré. Or les scientifiques du GIEC nous annoncent que le réchauffement climatique atteindra quatre à cinq degrés Celsius à la fin du XXIe siècle si le scénario du laisser-faire l’emporte.
Je n’affirmerai pas comme notre collègue Jean-Yves Leconte que la situation va s’aggraver. J’aurai plutôt tendance à dire qu’il ne faudrait surtout pas qu’elle s’aggrave par trop, car, si les températures augmentent de quatre à cinq degrés, il est clair que nous ne pourrons pas répondre à la question des déplacés du climat ! En effet, si ce sont des centaines de millions de personnes qui se mettent en mouvement, aucune société ne sera en capacité de les accueillir.
Il faut le dire avec force, il ne s’agira plus de s’interroger sur un statut juridique complexe, comme aujourd’hui. Quand on voit notre difficulté à accueillir aujourd’hui quelques millions de Syriens qui, eux, ont un véritable statut de réfugié, on peut imaginer ce que seront les problèmes d’un monde dans lequel les températures se seront élevées de quatre ou cinq degrés !
Cela veut bien dire que notre première priorité pour la COP 21 – y compris lorsque nous évoquons les déplacés climatiques – est celle de la stabilisation du climat.
Aujourd’hui, nous visons l’objectif d’une hausse des températures limitée à environ deux degrés. Nous n’y sommes pas encore, mais j’espère que la dynamique qui fera suite à la COP 21 permettra de crédibiliser ce scénario.
Cela signifie également que le scénario d’une hausse des températures limitée à un degré et demi correspond davantage à la problématique des réfugiés, puisque c’est à un tel niveau de réchauffement que l’on peut espérer limiter la montée du niveau de la mer et conserver les îles du Pacifique. Ce scénario a certes quelque peu disparu du débat public – l’attention se concentre trop sur le scénario à deux degrés Celsius de hausse –, mais il constitue un enjeu important face au risque d’une augmentation du nombre des réfugiés, même si celui-ci court sur un temps un peu plus long, car nous aurons réduit la rapidité du processus.
Donc, lorsque l’on évoque un statut pour les déplacés climatiques, on le fait bien dans le cadre d’une hausse maîtrisée des températures.
Tout l’intérêt de cette proposition de résolution est non seulement d’interpeller les États à quelques semaines de la COP 21, mais aussi de flécher un nouveau chapitre du texte en négociation. Ce chapitre, qui est sur la table depuis la COP 19 de Varsovie, est celui des pertes et dommages – en anglais, loss and damage. C’est certainement dans ce chapitre que nous devons insérer la question des déplacés environnementaux et climatiques.
Je voudrais aussi revenir sur l’initiative Nansen, dont Esther Benbassa a parlé. Dans ce cadre, cent dix États ont adopté un agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières en contexte de catastrophes naturelles et de changement climatique. Certes, cent dix États, cela ne fait pas la totalité de la communauté internationale, mais je crois que cette impulsion donnée par la Norvège et la Suisse révèle aussi l’apparition d’un nouveau monde pour la résolution du climat.
Face à la difficulté de se mettre d’accord et de dépasser ses intérêts nationaux à cent quatre-vingt-seize États – c’est d’ailleurs l’image qui est souvent donnée par cette négociation climatique, qui n’avance pas et qui est victime des mêmes blocages d’année en année –, force est de constater qu’un monde s’est mis en mouvement en parallèle.
L’initiative Nansen, qui est assez forte, comme nous avons pu le constater à la mi-octobre, participe pleinement de ce monde en mouvement, composé de pays qui cherchent un consensus à partir d’une proposition de quelques États, au même titre, d’ailleurs, que l’agenda des solutions, porté avec détermination par la France à la COP de Paris ou que les contributions volontaires décidées à Durban, plutôt sur l’initiative des pays africains, pour dépasser les blocages théoriques autour de la question de la responsabilité commune et différenciée.
Finalement, ce monde de la résolution du climat est probablement moins un monde top-down, avec un accord entre États, qu’un monde bottom-up, dans lequel les uns et les autres, que ce soit les États, les collectivités locales ou les acteurs économiques, sont capables de créer des dynamiques, dont fait partie, je le répète, l’initiative Nansen en faveur des déplacés environnementaux.
À mon sens, adopter aujourd’hui cette résolution que nous vous proposons s’inscrit parfaitement dans ce monde en mouvement, coopératif et solidaire, seul capable de relever les nombreux défis environnementaux et sociaux liés aux dérèglements climatiques.