Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Esther Benbassa expose un vrai problème, et elle a raison de le faire.
L’Homme est-il face à la nature, ou avec la nature ? Le rapport à la nature n’est pas le même pour tous ; il diffère dans le temps et dans l’espace, selon les cultures et les croyances. En contemplant la Grande vague de Kanagawa, célèbre estampe du XIXe siècle de l’artiste japonais Hokusai, d’aucuns voient un tsunami, d’autres la haute mer, sous les traits en bleu de Prusse.
Le réchauffement climatique, la montée du niveau des mers et la multiplication des événements climatiques extrêmes, comme les inondations, les tsunamis ou la grande sécheresse, ainsi que leurs conséquences géopolitiques feront certainement émerger des vagues de migrations de populations qui en sont les victimes. Ces dernières seront d’abord et principalement originaires des pays les plus vulnérables et les moins développés.
Cependant, le lien entre ces déplacements et l’évolution du climat n’est pas toujours si évident. Ainsi faut-il tenir compte de l’ensemble des personnes qui fuient de manière générale des « ruptures environnementales » mettant en péril leur existence ou affectant sérieusement leurs conditions de vie, selon la notion retenue en 1985 par le Programme des Nations Unies pour l’environnement, le PNUE, ce qui permet d’englober également les catastrophes d’origine humaine.
Par ailleurs, nous devons garder à l’esprit que ces déplacements peuvent avoir lieu dans les pays industrialisés, même s’ils sont mieux préparés pour répondre à ce type de crise, et même si nous, de notre côté, croyons à la capacité humaine de réparer ses propres erreurs.
L’Organisation des Nations unies estime que le nombre de déplacés environnementaux s’élèvera à 250 millions en 2050, à l’intérieur ou à l’extérieur de leur État d’origine. La communauté internationale devra s’enquérir de leur sort pour ne pas agir dans la précipitation. Pour éviter les crises, l’anticipation est absolument indispensable.
Or, aujourd’hui, force est de constater que la communauté internationale peine déjà à apporter une réponse aux flux de migrants économiques et de réfugiés relevant du droit d’asile et protégés par la convention de 1951. À cet égard, il faut dire que la distinction entre les différentes raisons d’émigration ne va pas de soi.
Les déplacements environnementaux sont très majoritairement, et pour l’instant, internes aux États, et leur gestion relève à l’évidence de la responsabilité de ces derniers. Pour autant, ce constat ne doit pas avoir pour effet d’exclure la responsabilité de la communauté internationale, en particulier celle des États les plus pollueurs, en matière de dérèglement climatique.
Les initiatives régionales, comme celle de l’Union africaine, avec la convention de Kampala, n’offrent pas, en raison de leur caractère temporaire, des solutions pleinement satisfaisantes, comparées à celles que permet le cadre international, plus propice à la situation.
Les migrations temporaires peuvent être gérées ponctuellement, ce qui ne veut d’ailleurs pas dire facilement, mais qu’en est-il des situations où l’intégrité territoriale d’un État est menacée, ce qui arrive ? Comme s’interrogent les auteurs du récent rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères du Sénat sur les conséquences géostratégiques du dérèglement climatique, que deviennent ceux qui sont contraints de rester sur place ?
Sur la forme, la présente proposition de résolution présentée par Mme Benbassa ne peut normalement que nous rassembler.
Sur le fond, elle ne prétend pas apporter de solutions concrètes, cela serait présomptueux en l’état. Elle n’évoque d’ailleurs aucune mesure de prévention ou de protection effective.
Néanmoins, elle est bien le reflet, d’une part, d’une volonté commune et partagée d’agir et, de l’autre, des divergences sur les moyens à mettre en œuvre, qui mettent à mal toute tentative de gouvernance internationale dans l’ensemble de ces domaines.
Les auteurs de la proposition de résolution ont joué la prudence en s’abstenant d’évoquer un quelconque statut, qui impliquerait par définition des droits et des obligations. Ils nous invitent cependant à ne pas nous cacher indéfiniment derrière les joutes doctrinales pour justifier l’inaction.
Faut-il imposer un cadre contraignant que les États ne respectent pas forcément ou, au contraire, favoriser le droit souple basé sur la bonne volonté des États ? Pour défendre une position au niveau de la COP 21, ainsi qu’au sein des institutions européennes et internationales, encore faudrait-il se mettre d’accord au niveau national…
Si l’on peut agir en amont par une politique volontariste en matière de lutte contre le réchauffement climatique, nous nous devons aussi de mettre en place des mesures visant à protéger ceux qui ont déjà tout perdu et ceux qui subiront les conséquences d’un écosystème devenu hostile à l’avenir.
Le rapport d’information sénatorial de nos collègues Fabienne Keller et Yvon Collin, publié en septembre dernier, rappelle l’épineux problème des « financements climat », alors que la prise en charge en matière d’adaptation pour les pays les moins avancés d’ici à 2025-2030 représenterait un coût de 50 milliards de dollars par an, d’après le PNUE.
Les pays industrialisés, frappés par la crise budgétaire, peinent à alimenter le Fonds Vert pour le climat, acté en 2009 lors de la conférence de Copenhague, et qui doit atteindre les 100 milliards d’euros par an à compter de 2020, en vue de contribuer à la lutte contre les changements climatiques dans les pays en développement.