Intervention de Cyril Pellevat

Réunion du 21 octobre 2015 à 14h30
Déplacés environnementaux — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Cyril PellevatCyril Pellevat :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le sujet de cette proposition de résolution est très important. En cela, l’initiative de notre collègue Esther Benbassa est positive.

Cependant, si le sujet est d’actualité et mérite une attention rigoureuse de notre part, il importe aussi de nous interroger sur la méthode. Est-ce que la proposition de résolution est le bon « vecteur » pour traiter une question si importante ?

Nous en doutons, tout d’abord au regard du calendrier.

Nous ne pouvons pas nous contenter d’une proposition de résolution soumise à l’approche d’une réunion internationale, si importante soit-elle, ce qui reviendrait à diminuer l’importance de ce sujet à part entière, dont les responsables politiques doivent se saisir. D’ailleurs, j’observe qu’ils ont commencé à le faire.

Nous avons également des doutes sur le fond, car il nous semble que cette proposition de résolution pose un problème juridique.

Premièrement, lorsque l’on travaille sur ce sujet, on constate que la notion de « déplacés environnementaux » fait débat chez les spécialistes et les démographes. De même, il serait inapproprié d’utiliser l’expression « réfugiés climatiques », dépourvue de définition légale et renvoyant au statut de « réfugié politique », clairement établi par la convention de Genève de 1951 et par le protocole de 1967.

Deuxièmement, arrêtons-nous sur les causes à l’origine des déplacements de populations.

L’étude de l’Institut national d’études démographiques, l’INED, publiée en mai dernier et intitulée Les migrations environnementales sont-elles mesurables ?, établit clairement que ces phénomènes procèdent de plusieurs facteurs. Les travaux de Jason Bremner et Lori Hunter, professeurs de sociologie à l’université du Colorado vont dans le même sens. Ils démontrent que ces migrations proviennent d’un « continuum de pressions environnementales » s’inscrivant dans un temps long. Ces pressions peuvent être la dégradation des sols, la raréfaction de terres arables, la désertification ou le stress hydrique.

Or notre pays participe à la lutte contre ces phénomènes, notamment au travers de notre politique d’aide au développement.

Par ailleurs, je souhaite vous rappeler les travaux de nos collègues Leila Aïchi, Cédric Perrin et Éliane Giraud. Dans leur rapport, Climat : vers un dérèglement géopolitique ?, adopté à l’unanimité par la commission des affaires étrangères du Sénat, ils ont reconnu et déploré que « l’absence d’une définition consensuelle de la notion de déplacés climatiques [ait] pour conséquence des estimations très variables selon les études et la méthodologie retenue ».

Dès lors, mes chers collègues, pour les législateurs que nous sommes, il serait inapproprié d’adopter une résolution utilisant une notion infondée juridiquement.

J’en reviens à nos doutes sur la forme. L’alinéa 9 indique que la France doit promouvoir, lors de la COP 21, la mise en œuvre de mesures en faveur des déplacés environnementaux, mais est-ce vraiment aux parlementaires de définir les ordres du jour des sommets internationaux ?

Le chef de la diplomatie est le Président de la République, et je rappelle que, si la France accueille et préside la COP 21, l’organisation de l’événement est également gérée par le secrétariat des Nations unies dédié à la COP.

Mes chers collègues, je pense qu’il n’est pas bon que nous nous dispersions. Au nom du groupe Les Républicains, je tiens à souligner que la priorité de la COP 21 est de parvenir à un nouvel accord, universel et contraignant, limitant le réchauffement climatique en deçà de deux degrés. La tâche diplomatique de la France étant déjà ardue, veillons à ne pas brouiller notre message diplomatique un mois avant la conférence.

Je voudrais enfin attirer votre attention sur un autre point. Cette proposition de résolution mentionne les mesures de prévention et de protection. La question des migrations environnementales et leur caractère irréversible renferment des enjeux territoriaux très larges, qui méritent d’être traités par une approche dépassant les seuls concepts de prévention et de protection des populations.

En effet, face à la gravité des risques, il serait plus pertinent que les États mettent en place des politiques d’anticipation de ces migrations. Reconnaissons qu’une politique de prévention est insuffisante dans les cas de submersion de territoires insulaires ou de violentes inondations ravageant les littoraux. Il s’agit donc non pas d’être pessimiste, mais d’être réactif.

L’ampleur des risques appelle la mise en place « d’analyses stratégiques des déplacés climatiques » intégrant tant les politiques d’anticipation et la culture du risque que les facteurs de dérèglement sécuritaire que peuvent engendrer les déplacements de populations.

La France a mentionné ce type de risque dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, mais il n’y a pas de programme dédié dans la loi de programmation militaire, malgré sa révision.

À cet égard, les travaux menés par le département de la défense américain sur les effets sécuritaires et économiques des déplacés climatiques peuvent être instructifs, tout comme les conséquences de l’ouragan Katrina.

En réalité, je regrette que l’alinéa 9 n’invite pas le Gouvernement à se doter d’une réflexion stratégique globale sur les risques et les migrations pouvant en découler. Celle-ci pourrait être menée par les ministères de l’intérieur et de la défense, ainsi que par les services de l’aménagement du territoire.

Plusieurs rapports du Sénat vont en ce sens et contiennent des propositions détaillées : le rapport de nos collègues Cédric Perrin et Leila Aïchi, déjà cité, mais aussi celui de nos collègues Bruno Retailleau et Alain Anziani sur les leçons du drame de la tempête Xynthia et la nécessaire culture du risque à développer.

Pour conclure, je souhaite être pragmatique et positif. Mes chers collègues, cette proposition de résolution, déposée voilà six mois sur le bureau du Sénat, me semble dépassée par l’actualité, au sens où elle est satisfaite. Je pense que nous pouvons nous en réjouir.

Le 15 octobre dernier, lors du débat sur les politiques étrangères de la France qui s’est tenu au Sénat, le ministre des affaires étrangères, M. Laurent Fabius, a indiqué que ce sujet serait abordé par les délégations des États insulaires et des États exposés aux modifications climatiques présentes à Paris pour la COP 21.

Enfin, que prévoit l’alinéa 9 de la proposition de résolution ? Il précise que la France doit promouvoir dans les enceintes internationales des mesures de prévention et de protection des personnes déplacées pour des raisons climatiques. Or, c’est déjà le cas. À titre d’exemple, mardi 13 octobre, à Genève, 110 États, dont la France, ont adopté un Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières dans un contexte de catastrophes naturelles et de changement climatique.

C’est l’aboutissement du processus de Nansen, dont l’ambition est de combler le vide juridique relatif aux migrants victimes de dérèglement climatique.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous estimons que cette proposition de résolution est déjà satisfaite et nous regrettons que le sujet qu’elle ambitionnait de traiter ne soit pas abordé de façon plus audacieuse, notamment au regard des enjeux.

Pour ces raisons, le groupe Les Républicains s’abstiendra.

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