Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 21 octobre 2015 à 21h30
Suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre débat de ce soir est très important, car il a trait à la conception même que nous nous faisons du service public de l’audiovisuel. Considérons-nous que France Télévisions a une vocation particulière à proposer des programmes de qualité, en particulier pour la jeunesse, en lesquels les parents pourront avoir confiance – ce qui, bien sûr, ne les exonère en rien de leur rôle éducatif –, ou bien doit-on estimer qu’il n’y a pas de raison d’en demander plus à France Télévisions qu’aux chaînes privées, s’agissant notamment de la protection de nos enfants ?

La proposition de loi présentée par André Gattolin, telle qu’elle a été très finement rapportée par Corinne Bouchoux et adoptée avec modifications par la commission de la culture, pose des principes. Elle inscrit dans la loi la nécessité d’une autorégulation du marché de la publicité destinée à la jeunesse sous une supervision renforcée du CSA pour les chaînes privées et pour France Télévisions, concernant ses programmes destinés aux enfants de plus de douze ans. On peut se réjouir qu’elle préserve le modèle économique de l’audiovisuel privé.

Pour le groupe public, elle fixe un principe plus exigeant en interdisant la publicité dans les programmes destinés aux enfants de moins de douze ans, sachant qu’il n’y a déjà pas de publicité dans les programmes destinés aux jeunes enfants de trois à six ans.

Pourquoi s’agit-il d’une avancée indispensable ?

Les auditions conduites par la rapporteur ont démontré que les enfants de moins de douze ans étaient soumis à une pression considérable des marques. Dans les familles les plus fragiles socialement et culturellement, la publicité pour les produits alimentaires industrialisés rythme la journée et détermine les achats et le contenu du réfrigérateur. Qui peut nier aujourd’hui cette réalité ?

J’ai reçu, lundi dernier, le témoignage d’une enseignante de français d’un collège de Rouen, ma ville. Cette enseignante, qui vit chaque jour cette réalité, me confirme que ces publicités dégradent le climat familial et incitent à la consommation d’aliments gras et sucrés qui favorisent le surpoids et une alimentation déséquilibrée. Je la cite : « J’ai vu des enfants qui n’ont pas faim à la cantine, leur cartable étant garni de canettes, bonbons et chips de marque qu’ils consomment toute la journée. » Elle insiste également sur les valeurs propagées par ces publicités, qui reposent le plus souvent sur des clichés sexistes, des rapports de domination et une culture de l’individualisme.

Pour ma part, j’ai été surprise de découvrir que certains programmes diffusés sur France Télévisions à destination des enfants de six à douze ans avaient avant tout pour objectif de permettre à un grand studio américain de vendre des produits dérivés extrêmement coûteux, fabriqués très loin de l’Europe. Ce n’est pas notre conception du service public, ce n’est pas la vocation de France Télévisions ; nous le redirons à la nouvelle présidente de ce groupe.

Lorsqu’on les interroge, les Français se déclarent très favorables à l’interdiction de la publicité dans les programmes destinés à la jeunesse. Alors, pourquoi hésiter ? Cette mesure aurait une incidence très limitée sur le budget de France Télévisions, qui s’élève, je le rappelle, à plus de 2, 7 milliards d'euros. Comme le disait notre collègue Maurice Antiste en commission, « que valent 10 millions d'euros face aux dégâts de la publicité sur la santé des enfants ? »

J’ajoute que le vrai problème, madame la ministre, est que l’intégralité du produit de la taxe sur les opérateurs de télécommunications qui a été créée en 2009 pour compenser la suppression de la publicité après 20 heures sur les chaînes publiques n’est pas réaffectée à l’audiovisuel public, comme elle devrait l’être.

Nous ne pouvons finalement que nous étonner que cette mission de préservation des enfants ne soit pas au cœur des préoccupations de France Télévisions. C’est pourquoi le législateur est dans son rôle en voulant préciser dans la loi les lignes à ne plus franchir.

Après plusieurs mois de travaux, nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin ont rendu, à notre demande, un important rapport sur l’avenir du financement de l’audiovisuel public, qui a permis de mettre en lumière l’urgent besoin de réformes structurelles et l’indispensable réaffirmation de la spécificité du service public de l’audiovisuel. Cette réaffirmation des valeurs passe par une réduction de la place de la publicité dans le financement de France Télévisions. Il nous apparaît tout à fait opportun que cet acte fort de politique culturelle et sanitaire concerne d’abord les plus jeunes.

Contrairement à ce que nous allons sans doute entendre affirmer aujourd’hui sur certaines travées, la baisse très limitée des recettes publicitaires ne poserait pas de problème financier à France Télévisions, pour au moins deux raisons.

Tout d’abord, un sous-amendement de notre collègue Jean-Pierre Leleux a prévu une mise en œuvre du dispositif au 1er janvier 2018, en même temps que devrait s’appliquer la réforme de la contribution à l’audiovisuel public, qui est indispensable et que le Gouvernement a repoussée du seul fait du calendrier électoral.

Ensuite – je sais que c’est un sujet tabou chez France Télévisions –, il existe d’importantes marges d’économies, qui ont été identifiées par nos collègues. Je pense notamment au recours excessif à des sociétés de production pour les magazines, alors que la rédaction de France Télévisions est abondante, à ces sociétés de production créées par d’anciens dirigeants du groupe public, qui bénéficient de commandes en l’absence de véritable concurrence.

Nous examinons ce soir un texte de portée très limitée, qui ne constitue pas, il faut en avoir conscience, une réforme globale de l’audiovisuel public. Mais, parce qu’elles posent une exigence particulière à l’égard du service public, les mesures présentées nous donnent l’occasion de choisir le chemin de l’ambition pour France Télévisions, si l’on pense que la notion de service public a encore un sens.

Je citerai de nouveau, en conclusion, cette professeure de collège de Rouen que j’évoquais à l’instant : « C’est l’une des missions du service public, et donc de la télévision publique, d’être exemplaire en matière de protection morale des personnes les plus vulnérables – nos enfants – et de respect des valeurs qui fondent le vivre-ensemble. La télévision publique doit considérer le jeune spectateur comme un citoyen en devenir, digne de respect, et non comme un consommateur facilement manipulable. »

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