Il me paraît donc délicat d’envisager d’adopter des mesures aussi radicalement différentes pour les seules antennes de France Télévisions, si l’objectif visé est celui de la santé publique.
Par ailleurs, votre proposition de loi cible les programmes destinés à la jeunesse, alors que les pratiques des jeunes sont très diverses, puisque, comme l’indique le CSA, dans le palmarès des programmes les plus regardés par les enfants de quatre à dix ans figurent un grand nombre d’émissions de téléréalité.
C’est la raison pour laquelle – c’est mon deuxième point de désaccord – les démarches entreprises ces dernières années ont reposé sur une corégulation associant l’ensemble des professionnels concernés et dans laquelle France Télévisions a, bien sûr, toute sa place.
Outre les nombreuses actions menées par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, l’ARPP, en matière de lutte contre l’obésité infantile, les pouvoirs publics ont privilégié une démarche pédagogique, qui consiste à promouvoir une alimentation saine et équilibrée. En effet, ce sont moins les aliments consommés qui sont la cause de l’obésité que les comportements alimentaires et, plus globalement, l’hygiène de vie.
Cette démarche a pris corps avec la signature, en 2009, d’une charte visant à promouvoir une alimentation et une activité physique favorables à la santé dans les programmes et les publicités diffusés à la télévision. Cette charte a été reconduite et renforcée en 2014. Elle réunit le mouvement associatif, les industriels de l’agroalimentaire, les professionnels du secteur audiovisuel et ceux de la publicité, sous l’égide des pouvoirs publics dans leur ensemble.
Une étude indépendante sur l’efficacité de ces émissions, réalisée sur l’initiative du CSA, avait conclu au bien-fondé de cette démarche. Les émissions diffusées au titre de la charte sont en effet appréciées par le public pour leur caractère pédagogique, pratique et motivant.
Les efforts déployés depuis plus de six ans par les professionnels ont démontré que des pratiques constructives pouvaient être mises en œuvre par tous les acteurs concourant à la diffusion de messages publicitaires.
Le mérite de cette charte, dont six ministères sont désormais signataires, est d’envisager la problématique dans toutes ses composantes, qu’il s’agisse de la régulation du contenu des spots publicitaires par l’ARPP, des campagnes de prévention de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES, et des messages sanitaires apposés sur les spots publicitaires alimentaires, mais également, et surtout, de la création et de la diffusion d’émissions faisant la promotion d’une bonne hygiène de vie.
Les nouveaux engagements pris en 2014 témoignent de la réussite du dispositif de régulation mis en place et de sa capacité d’évolution. Cela doit permettre, en prenant en compte l’expérience déjà acquise, de le rendre encore plus efficace en lui donnant une nouvelle dynamique.
Parmi les engagements renforcés pris par les diffuseurs, on peut citer, par exemple : l’augmentation du volume horaire annuel de diffusion de programmes faisant la promotion d’une bonne hygiène de vie ; la valorisation de ces programmes sur les services de télévision de rattrapage et sur les sites internet édités par les chaînes, qui sont des plateformes de plus en plus utilisées par les enfants et les adolescents ; l’engagement de relayer à l’antenne, chaque année, des événements tels que les « journées européennes de l’obésité », « la semaine du goût » ou encore « la semaine du sport » ; l’ajout d’un engagement spécifique à l’outre-mer.
Par l’insertion de ces nouvelles dispositions, qui permettent d’aller plus loin encore dans ce travail collectif, les professionnels ont montré leur volonté réelle d’engagement. Les pouvoirs publics soutiennent cette démarche, qui reste un bon exemple en matière de corégulation.
Je parle d’« exemple », car le recours à ce type d’encadrement souple, en matière de publicité, s’est avéré être une solution très constructive, qui permet de mettre en cohérence les intérêts de chacun autour d’actions concertées, dans un but d’intérêt général.
L’autorégulation a donc porté ses fruits. Je rappelle d’ailleurs qu’elle a été négociée dans un contexte de stabilité de l’environnement législatif et réglementaire.
Certains pourraient tirer prétexte de cette proposition de loi pour dénoncer l’application de la charte.
Je ne dis pas que nous ne devons rien faire ; je dis que si nous devons faire quelque chose d’un point de vue normatif, il nous faut au moins atteindre le niveau de protection déjà permis par l’autorégulation.
Il me paraît donc préférable de poursuivre cette démarche pédagogique et d’en évaluer l’impact dans la durée, plutôt que d’envisager des mesures de prohibition.
Enfin – c’est mon troisième point de désaccord –, je suis convaincue que le service public de l’audiovisuel a besoin de stabilité, dans sa structure comme dans son financement.
Ce financement, le Gouvernement s’est engagé à le rendre plus solide, plus indépendant, y compris des annonceurs ; c’est ce que traduit le projet de loi de finances en cours de discussion. C’est également le sens de l’affectation d’une partie de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques, la TOCE, à France Télévisions. Je précise d’ailleurs qu’il ne s’agit nullement d’une réaffectation, madame la présidente de la commission, cette affectation n’ayant jamais été opérée par la majorité précédente, qui avait décidé de supprimer la publicité sur France Télévisions après 20 heures.
Comme vous le savez, le groupe France Télévisions est confronté à une situation économique difficile. Entre 2010 et 2014, les recettes publicitaires du groupe ont diminué de 123 millions d’euros, tandis que ses ressources publiques demeuraient stables, du fait de sa participation, légitime, à l’effort national de redressement des comptes publics.
En dépit de mesures d’économies importantes, notamment la mise en œuvre d’un plan de départs volontaires, l’exploitation de la société demeure déséquilibrée du fait de la progression automatique de certaines charges. L’exercice 2016 pourrait ainsi être déficitaire de plusieurs dizaines de millions d’euros.
Pour permettre à la nouvelle présidente de France Télévisions de réduire ce déficit après trois années de pertes, l’Assemblée nationale a adopté avant-hier un amendement du Gouvernement, reprenant des amendements parlementaires, qui augmente de 25 millions d’euros le montant de la ressource publique allouée à l’entreprise.
Pour autant, ce « coup de pouce » n’exonérera pas France Télévisions d’un effort d’économie important, et le contrat d’objectifs et de moyens pour la période 2016-2020 devra définir les conditions d’un retour durable à l’équilibre. Or, il ne sera pas possible d’atteindre cet objectif en réduisant de nouveau les recettes publicitaires de l’entreprise.
À ce titre, il ne serait pas responsable de « gager » le financement de ce dispositif sur une réforme à venir de la redevance, dont vous savez qu’elle est complexe. La réforme de la redevance doit avoir pour seul objectif d’adapter l’assiette de cette contribution à la réalité des usages des Français.
En outre, ce gouvernement n’est pas favorable à la réintroduction, fût-elle partielle, de la publicité en soirée sur France Télévisions. Ce n’est pas cohérent avec l’ambition qui est la nôtre pour le service public, un service public capable de proposer une information indépendante et une création audacieuse. Mais nous ne sommes pas non plus favorables à une réduction des recettes publicitaires, qui fragiliserait le financement de France Télévisions.
Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable sur cette proposition de loi.