Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « il est aussi noble de tendre à l’équilibre qu’à la perfection ; car c’est une perfection que de garder l’équilibre ». Cette citation de Jean Grenier, philosophe et écrivain du siècle dernier – au demeurant breton, plus précisément briochin –, pourrait illustrer la préoccupation qui nous anime en tant que parlementaires au début de ce débat.
D’une part, il y a le dessein légitime de protéger les enfants de contenus publicitaires inadaptés, qui les heurteraient ou les inciteraient à la surconsommation de produits néfastes à la santé ; d’autre part, il y a la nécessité, tout aussi légitime et indispensable aujourd’hui, de penser à la pérennité du service public audiovisuel.
Pour aborder cette proposition de loi de la manière la plus pertinente, je crois donc qu’il convient d’éviter tout manichéisme. Nos échanges ne peuvent se résumer à un supposé combat entre ceux qui défendraient la suppression de la publicité commerciale dans les programmes pour la jeunesse de la télévision publique au titre de la santé publique et, plus largement, de la morale publique, et ceux qui s’y opposeraient au nom du réalisme économique.
En réalité, ces deux impératifs sont à concilier. Il s’agit, comme je l’ai précédemment évoqué, d’essayer de trouver un savant équilibre.
L’examen de la présente proposition de loi ne peut pas non plus servir de point d’ancrage, me semble-t-il, au seul réquisitoire contre la publicité ou la société de consommation. La discussion perdrait en intelligence et en intérêt si elle revenait à répondre à une question sans aucun doute idéologique : pour ou contre la publicité ?
L’objet de cette proposition de loi doit bel et bien être d’atteindre un juste équilibre entre la protection de l’enfant et la soutenabilité financière du service public de la télévision.
Cet équilibre est-il atteint ? Je réponds malheureusement par la négative.
Il est indéniable que les enfants constituent une cible privilégiée par les publicitaires. En France, ils représenteraient un marché de près de 40 milliards d’euros, soit 2 % de la richesse nationale. Par conséquent, nous ne pouvons évidemment que souscrire à l’objectif louable de la proposition de loi.
Pour autant, au regard de l’impact substantiel qu’aurait l’adoption du texte sur le budget de France Télévisions, il est impossible de faire fi de la situation financière actuelle du groupe. Celle-ci est connue et, Mme la ministre l’ayant rappelée, je n’insisterai pas sur le sujet.
Je me contenterai de souligner que, depuis 2011, les chaînes de télévision font face à une baisse du marché publicitaire de 8 % et qu’une suppression de la publicité alimentaire aggraverait cette tendance.
La baisse de recettes qui en résulterait, notamment au niveau du service public, aurait une incidence pernicieuse sur la création audiovisuelle et cinématographique. Je pense en particulier à l’ensemble de la filière de la production à destination de la jeunesse, qui, comme vous le savez, mes chers collègues, est reconnue à travers le monde pour sa grande qualité et participe au rayonnement de la France.
Pour le service public de la télévision, dont les ressources propres dépendent à plus de 99 % de la publicité et du parrainage, l’interdiction de la publicité commerciale dans les programmes pour la jeunesse constitue un véritable mauvais signe.
Bien sûr, une telle hypothèse ne peut s’inscrire que dans la perspective d’une réflexion plus globale sur le modèle économique de France Télévisions, j’en conviens. Mais toute décision qui se traduirait par une diminution de ses recettes déstabiliserait l’ensemble du groupe.
Pourquoi le périmètre de cette proposition de loi s’arrête-t-il au service public ? Pourquoi fragiliser une nouvelle fois ledit service public, auquel nous sommes attachés ?
Mais surtout, le marché publicitaire – c’est un constat avéré – se déplace de plus en plus vers internet, qui représente un quart du marché publicitaire global en France. Les investissements sont croissants, les techniques de marketing très sophistiquées et la réglementation asymétrique fausse la concurrence entre télévision et web, ce dernier échappant au corpus législatif.
Par-delà les dispositions législatives et réglementaires codifiant la publicité télévisée, nombreuses et étoffées pour les jeunes publics, je souhaiterais insister sur le dispositif de l’autorégulation professionnelle de la publicité qui, de l’avis de beaucoup, fonctionne tout à fait correctement.
Créée en 1935 sous le nom d’Office de contrôle des annonces, l’ARPP est chargée depuis 1992 de donner un avis définitif, avant diffusion, sur tout film publicitaire. À titre indicatif, plus de 20 000 spots publicitaires télévisuels ont été traités en 2014.
Constituée de l’ensemble des acteurs de la publicité, l’ARPP a parallèlement élaboré plusieurs règles déontologiques, en concertation avec la société civile, singulièrement le Conseil paritaire de la publicité. Six recommandations concernent plus spécifiquement les enfants. Elles portent notamment sur la sécurité, les jouets, l’image de la personne humaine ou encore les comportements alimentaires.
Sur ce dernier point, l’exemple est probant. Le volontarisme du Conseil supérieur de l’audiovisuel, combiné au système d’autorégulation, a porté ses fruits. La charte alimentaire de 2013, encore plus ambitieuse que celle de 2009, a eu des effets concrets à la fois sur la démarche qualité de la publicité et sur les engagements des chaînes de télévision en matière d’éducation nutritionnelle auprès des jeunes publics. Pour preuve, en 2013, les programmes visant à promouvoir une bonne hygiène de vie représentaient 1 223 heures de diffusion, contre 443 en 2009.
En d’autres termes, l’amélioration de la pédagogie autour de l’alimentation et de la pratique d’une activité physique est passée, non par une quelconque interdiction, mais par un dialogue nourri entre les pouvoirs publics – pas moins de six ministères ont été associés à la rédaction de cette charte – et les professionnels du secteur de l’audiovisuel.
En définitive, l’esprit de responsabilité semble nettement plus efficace que l’interdiction pure et simple !
Afin de ne pas se limiter au service public et, surtout, de prendre en considération l’évolution des usages – on sait que les enfants se tournent vers les chaînes privées, mais aussi vers internet –, on pourrait imaginer une mission d’information sur la régulation de la publicité sur internet, qui permettrait au moins de rééquilibrer le marché publicitaire en France. Nous savons qu’il y a là un véritable enjeu, non seulement national, mais aussi européen.
Ma conclusion sera brève, mes chers collègues : parce que nous sommes très attachés à la qualité de l’audiovisuel public, veillons à ne pas le fragiliser une fois encore !