Intervention de Pierre Mauroy

Réunion du 3 avril 2008 à 9h30
Coopération transfrontalière transnationale et interrégionale — Adoption définitive d'une proposition de loi

Photo de Pierre MauroyPierre Mauroy :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, c'est avec un plaisir tout particulier que j'interviens ce matin dans le débat sur la proposition de loi visant à renforcer la coopération transfrontalière, transnationale et interrégionale par la mise en conformité du code général des collectivités territoriales avec le règlement communautaire relatif à un groupement européen de coopération territoriale.

Je salue l'attachement à la coopération décentralisée de l'auteur de cette proposition, Marc-Philippe Daubresse, qui est le premier vice-président de la communauté urbaine de Lille. Je remercie Mme Catherine Troendle pour la qualité de son rapport, qui appuie notre souhait que le Sénat adopte ce texte à l'unanimité, comme l'a fait l'Assemblée nationale, le 29 janvier dernier.

Le groupement européen de coopération territoriale qu'il crée donnera une nouvelle et puissante impulsion, ainsi qu'un champ d'action beaucoup plus large aux démarches de coopération entre acteurs publics au-delà des frontières des États membres de l'Union européenne. Il contribuera ainsi à renforcer l'intégration européenne par des projets concrets touchant la vie quotidienne des habitants.

Attaché depuis toujours au développement de la coopération décentralisée et à celui de la construction européenne, je ne peux qu'approuver ce texte, avec l'ensemble des membres du groupe socialiste du Sénat.

Le GECT, qui fait son entrée dans notre droit, a été créé par le règlement européen du 5 juillet 2006. Né du besoin de faciliter et de promouvoir la coopération transfrontalière, interrégionale et transnationale entre les membres de l'Union européenne, il est l'un des instruments de la politique de cohésion économique et sociale conduite par l'Union pour la période 2007-2013.

Il se distingue sur plusieurs points des autres mécanismes de coopération existants, comme vous l'avez démontré, madame.

Il ne se substitue ni aux diverses conventions de coopération en vigueur ni aux accords internationaux, comme l'accord de Karlsruhe, par exemple. Au contraire, il les complète.

Ainsi, il peut être utilisé non seulement pour des actions de coopération transfrontalière locale, ce qui était le cas auparavant, mais aussi pour des actions de coopération transnationale et interrégionale.

Il est ouvert à toute personne morale de droit public et peut donc inclure des États ou des organismes de droit public, ce qui manquait d'ailleurs à bien d'autres accords de coopération.

Certaines de ses dispositions étant incompatibles avec le droit français actuel, il fallait modifier notre législation. L'article unique de la proposition de loi dont nous sommes saisis prévoit les modalités de création et le droit applicable à un GECT ayant son siège en France, ainsi que les conditions d'adhésion des collectivités à des GECT de droit étranger. Il lève, notamment, l'interdiction faite aux collectivités françaises de passer des conventions avec des États.

Cet article a pour objet de modifier les articles 1115-2, 3, 4 et 5 du code général des collectivités territoriales pour aller dans ce sens. Je ne reprendrai pas l'analyse juridique remarquable que vous venez de développer, madame.

Je voudrais surtout vous dire que ce texte assez remarquable, dont l'élaboration a duré de longues années, ne descend pas du ciel des instances européennes. Je saisis l'occasion pour remercier les membres des gouvernements successifs avec lesquels j'ai échangé des correspondances et qui ont toujours montré beaucoup de bonne volonté pour surmonter les obstacles - et il y en a eu beaucoup ! - et passer du groupement local de coopération territoriale à ce groupement européen de coopération territoriale. Un adjectif change et tout change !

Pour ma part, en tout cas, ce texte concrétise l'aboutissement de dix-sept années de travail sur le terrain au service de la coopération transfrontalière entre la France et la Belgique. L'opération a été délicate. Je présidais la Communauté urbaine de Lille - Lille Métropole, je la préside encore pour une semaine. Il a fallu passer la frontière, travailler avec d'autres territoires et surtout d'autres collectivités pour rassembler et créer le groupement local de coopération transfrontalière. Lorsque l'opportunité s'est présentée d'une coopération transfrontalière européenne incluant l'ensemble des territoires de l'Europe, nous avons évidemment changé notre fusil d'épaule et souhaité devenir un GECT.

Dans le Nord-Pas-de-Calais, nous avons subi de telles crises menaçantes pour notre identité que notre problème était de relancer cette région qui ne trouvait pas sa place - ou du moins, pas facilement - dans l'aménagement du territoire.

La région parisienne ne cesse de grandir, englobant de nouveaux départements à travers des structures créées en ce sens. J'ai interrogé tous les ministres sur le point de savoir ce qu'ils allaient faire de ces deux petits canards que sont le Nord et le Pas-de-Calais, situés au-dessus de cette grosse boule de la région parisienne. En guise de réponse, on me renvoyait toujours, sur un ton un peu gêné, à mon aptitude à nouer des relations internationales, en particulier avec les pays européens voisins. Par conséquent, la vocation du Nord-Pas-de-Calais était certainement de trouver des solutions sur le plan international.

Voilà comment j'en suis venu à me dire qu'il fallait créer, et, par conséquent, faire émerger une grande eurométropole bilingue et triculturelle de 2 millions d'habitants, au coeur du triangle Londres-Paris-Bruxelles. La communauté urbaine de Lille compte 1 million d'habitants, celle de Courtrai-Tournai également. Par conséquent, c'est un ensemble de 2 millions d'habitants qui est rassemblé dans le GECT.

Nous souhaitions tellement cette grande eurométropole que, comme vous l'avez souligné, monsieur le secrétaire d'État, et vous aussi, madame la rapporteure, nous avons anticipé le vote de ce texte. Ainsi, grâce à la dérogation obtenue par le préfet de région, M. Canepa, le premier groupement européen de coopération territoriale est né voilà un peu plus de deux mois, le 28 janvier 2008. Il s'agit de l'eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai. Si je dis Kortrijk, c'est, bien entendu, de Courtrai qu'il s'agit, mais c'est une concession que nous avons faite à nos amis flamands. Par conséquent, le titre comporte deux noms français et un nom flamand - Lille-Kotrijk-Tournai - pour un ensemble qui regroupe 145 communes françaises et belges. La première assemblée qui a été réunie ce jour-là m'a fait l'honneur de m'élire à la présidence de cette entité.

L'entreprise a été ardue et les obstacles nombreux, mais je crois que la force et la volonté des quatorze membres fondateurs, au premier rang desquels se situent les deux États français et belge, ont permis de surmonter ces difficultés.

J'associe à cette réussite tous ceux qui, au fil des années, n'ont pas ménagé leur peine pour faire vivre une coopération entreprise de longue date entre la communauté urbaine de Lille-métropole et ses partenaires wallons et flamands, puis avancer pas à pas vers la réalisation d'aujourd'hui.

Tout a commencé avec la conférence permanente intercommunale transfrontalière, qu'on appelait la COPIT, et que j'avais créée avec mes amis belges en octobre 1991, voilà quelques années. Cette conférence portait déjà la volonté de voir émerger une agglomération franco-belge de 2 millions d'habitants.

Vint ensuite le groupement local de coopération transfrontalière, le GLCT, créé en 2005 par l'accord de Bruxelles. Fait de telle façon qu'on pouvait immédiatement le mettre en oeuvre, il a permis de créer des outils juridiques de coopération. Ainsi, le GLCT « Lille Eurométropole franco-belge » créé le 1er juin 2006 a permis de passer d'une association de droit français, la COPIT, à une structure publique mutuellement reconnue. Enfin et parallèlement, l'arrivée du GECT a fini de faire sauter les derniers obstacles juridiques et permis la création, dans des délais relativement rapides, du premier GECT en Europe. En plus, il a élargi considérablement le champ puisque tous les États membres de l'Union sont concernés.

À cet égard, si cette journée du 28 janvier 2008 a été historique pour les relations franco-belges, elle l'a aussi été pour l'Europe des citoyens.

Je voudrais souligner le rôle important joué par la Commission et le Parlement européen pour inscrire dans le droit cette nouvelle structure de gouvernance transfrontalière. La gouvernance, c'est un mot facile dont on ne sait pas ce qu'il recouvre exactement comme pouvoir ! Quoi qu'il en soit, cela a permis de qualifier ce GECT.

Bien sûr, pour l'eurométropole Lille-Kotrijk-Tournai, dont le siège social est fixé à Lille et les services opérationnels, sans doute à Courtrai et à Tournai, tout reste à faire. L'assemblée générale a approuvé un budget qui doit permettre d'installer une équipe - préalable ô combien nécessaire ! - et de lancer le programme de travail 2008-2010.

Nous allons devoir être créatifs, imaginatifs et aller au-delà des projets dans les cartons, ceux de l'eurométropole franco-belge. Puisque, grâce au GECT, notre dimension a changé, j'ai proposé plusieurs axes de réflexion et d'action : notamment construire une Europe des citoyens. Ce qui caractérise cette entreprise, c'est qu'elle n'est tombée ni du ciel, ni des institutions. Elle est venue de la base, des collectivités, donc des citoyens.

J'ai proposé de construire et d'améliorer cette eurométropole des citoyens grâce à une collaboration très active avec les communes tant en Belgique qu'en France en la dotant de projets transfrontaliers structurants.

Il n'est pas si éloigné le temps où les autoroutes s'arrêtaient à quelques kilomètres de la frontière. Ainsi, pour aller à Wattrelos, ville très proche, il fallait prendre l'autobus, passer la frontière à pied et reprendre une heure plus tard un autre autobus pour arriver à destination.

L'eurométropole franco-belge est la première réalisation à avoir marqué les esprits. Il faut donc la doter de projets transfrontaliers et structurants, mutualiser les équipements et consolider les réalisations sociales. Ainsi, quand les États sont défaillants, des initiatives locales doivent pouvoir être prises.

Par exemple, la France n'offre pas de structures suffisantes en faveur de l'enfance handicapée, contrairement à la Belgique, qui, en avance dans ce domaine, dispose de structures beaucoup plus souples. De ce fait, les enfants handicapés qui ne trouvent pas de place en France - je ne parle pas seulement du Nord-Pas-de-Calais, mais de l'ensemble du territoire français - sont accueillis en Belgique et y grandissent.

De même, la France souffre d'un manque de structures adaptées pour les personnes âgées valides, alors qu'en Belgique les maisons de retraite foisonnent. De plus, à quelles lois sont soumises ces personnes âgées françaises qui vivent en Belgique ? Quelle est leur situation vis-à-vis la sécurité sociale française ? Dans de nombreux secteurs, nous devons faire face à un bricolage juridique, qu'il faut revoir afin d'éviter les surprises désagréables.

Par ailleurs, il nous faudra répondre aux grands défis que sont l'environnement et le développement économique et social auxquels il faut ajouter de grands événements fédérateurs, à l'instar des défilés carnavalesques belges.

Nous avons suivi le pas de nos voisins en organisant des grandes rencontres culturelles et festives. Je pense notamment à l'extraordinaire rassemblement de Lille 2004, organisé par la ville de Lille et la communauté urbaine.

Une commission parlementaire franco-belge a fixé un programme qui nous occupera tout au long des années à venir.

De ce point de vue, le GECT offre de larges opportunités pour faire vivre cette grande ambition et améliorer la vie des gens.

Cela implique, bien entendu - ce qui n'est pas toujours le cas de l'ensemble des projets européens -, une volonté des citoyens et des élus de s'accorder avec ce qui a été décidé par les instances européennes ou par les gouvernements concernés, en l'occurrence les gouvernements français et belge.

Grâce à ce nouvel instrument juridique, nous allons pouvoir faire émerger une cité inédite, une métropole, et prouver que, dans cette grande Europe du Nord-Ouest, des femmes et des hommes qu'une barrière ancestrale divise artificiellement, désirent participer et partager des projets, édifier des réalisations novatrices, construire un avenir commun, bref vivre ensemble.

Pour nos deux départements bloqués tout en haut de la France, qui ne trouvaient plus leur place à cause de l'extension de la région parisienne, j'ai dû passer la frontière et faire valoir mes relations internationales. C'est ainsi que, d'une communauté urbaine d'un million d'habitants, nous sommes passés à une communauté urbaine de 2, 5 millions d'habitants, ce qui est très satisfaisant.

Telle est, mes chers collègues, l'expérience que je voulais vous faire partager en intervenant dans ce débat pour y apporter une note humaine. Vous ne pouvez imaginer le nombre de réunions où les Français et les Belges se sont regardés dans le blanc des yeux pour arriver à ce résultat.

De plus, la métropole de Lille a un versant du côté flamand et un versant du côté wallon, ce qui complique les choses. Le problème de la langue se pose.

Quoi qu'il en soit, la structure que nous avons mise en place fonctionne grâce à une vraie volonté. La Belgique, dans sa zone frontalière, est attachée à la métropole lilloise et veut se développer avec elle.

Telle est l'expérience à peu près unique dont je voulais témoigner, expérience à la fois citoyenne et dépendante des États et de l'Europe tout entière.

Je pense que, dès maintenant, des GECT pourront se constituer un peu partout au sein de l'Union européenne et, dans un instant, mon collègue Roland Ries expliquera son projet de création d'un GECT Strasbourg-Kehl. Je ne puis que l'encourager dans cette voie et réaffirmer le vote favorable des socialistes sur la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui.

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