Intervention de Dominique Estrosi Sassone

Commission spéciale croissance, activité et égalité des chances économiques — Réunion du 17 mars 2015 à 15h05
Examen du rapport et du texte de la commission spéciale

Photo de Dominique Estrosi SassoneDominique Estrosi Sassone, rapporteur :

Le volet « mobilité » de ce texte, aborde, à l'image de ce projet de loi, une variété de sujets. Je vous présenterai dans un premier temps, les mesures qui figurent dans le projet de loi initial, avant de vous exposer les nouvelles dispositions introduites par l'Assemblée nationale.

L'article 1er étend les missions de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires - l'ARAF - à deux nouveaux secteurs : celui des transports par autocar et celui des concessions autoroutières. La création de cette autorité de régulation des activités ferroviaires et routières - l'ARAFER - avait été préconisée à plusieurs reprises par l'Autorité de la concurrence. Elle dotera l'autorité de régulation d'une vision d'ensemble sur les transports terrestres, qui sont parfois en concurrence. Seul bémol : aucun financement n'a été prévu pour accompagner l'extension de ses missions. Or, il est impensable que les ressources de l'ARAFER soient exclusivement issues du transport ferroviaire : cela ne serait pas équitable. Je vous proposerai donc un amendement créant deux nouvelles recettes pour l'autorité de régulation, assises sur les services de transport par autocar et sur les sociétés d'autoroutes.

L'article 2 libéralise les services de transport par autocar. En France, aujourd'hui, pour ouvrir un tel service, il faut soit avoir passé une convention avec une autorité organisatrice de transport (les départements, les régions ou l'État), soit l'effectuer dans le cadre d'un cabotage sur un trajet international. Dans ce dernier cas, la procédure est très encadrée, car la liaison doit rester accessoire par rapport à ce trajet international. Le nombre de passagers transportés et le chiffre d'affaires réalisé ne doivent pas dépasser une certaine limite, ce qui oblige les transporteurs à réduire, en fin d'année, le nombre de places qu'ils offrent dans ce cadre.

La libéralisation des transports par autocar, déjà mise en oeuvre au Royaume-Uni et en Allemagne, répond à la volonté d'encourager les transports collectifs et de limiter le recours à la voiture individuelle. Il existera cependant toujours la possibilité, pour une autorité organisatrice de transport (AOT), de s'opposer à l'ouverture d'une liaison, si elle concurrence un service conventionné de transport existant. Cette possibilité existe déjà pour les services de cabotage.

Le projet de loi initial prévoyait une telle possibilité d'interdiction ou de limitation sur les liaisons infrarégionales effectuées en autocar ; l'Assemblée nationale a remplacé ce critère par une distance kilométrique, de 100 km, en-dessous de laquelle il sera possible d'interdire ou de limiter un service. Le texte prévoit que ce soit la collectivité concernée qui interdise ou limite le service, mais après un avis conforme de l'autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER).

Je vous proposerai plusieurs modifications pour protéger davantage les services publics de transport conventionnés : l'augmentation à 200 kilomètres du critère de distance kilométrique et la transformation de l'avis conforme de l'ARAFER en un avis simple.

Si je suis favorable à cette libéralisation j'ai un réel sujet de préoccupation concernant les gares routières. Le cadre juridique qui leur est applicable est obsolète et doit être réformé, l'ensemble des acteurs concernés s'accorde à le dire. L'article 4 du projet de loi habilite le Gouvernement à procéder par ordonnance pour faire ce travail. Mais lorsque j'ai interrogé les services des ministères pour savoir ce qui était concrètement envisagé, c'est le flou absolu ! Le Gouvernement admet ne pas encore savoir ce qu'il compte faire, par exemple en matière de gouvernance, tout en reconnaissant qu'il s'agit d'un enjeu majeur pour la réussite de la libéralisation des transports par autocar.

Or cette libéralisation entrera en vigueur dès la promulgation de la loi pour les services supérieurs à la distance kilométrique que nous retiendrons, et pour les autres, six mois après la promulgation de la loi. Il faut donc agir vite. On pourrait même se demander si ces dates d'entrée en vigueur ne sont pas un peu précipitées.

Au vu de cette urgence, je ne vous proposerai pas aujourd'hui de supprimer l'habilitation prévue à l'article 4, mais je compte bien demander au Ministre des explications sur ce point en séance. Cette demande d'habilitation est très insatisfaisante, car elle invite le Parlement à se dessaisir d'un sujet majeur, alors même que le Gouvernement lui-même ne sait pas ce qu'il compte faire.

Si la libéralisation des transports par autocar est une bonne mesure, elle va représenter une forte concurrence pour le transport ferroviaire, quoiqu'en dise le Gouvernement. Il faudra donc que la qualité de service du transport ferroviaire s'améliore et que son coût diminue. C'est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement qui rend possible une ouverture à la concurrence du transport ferroviaire dès le début de l'année 2019. Il s'agit d'autoriser les régions à conclure tout ou partie de leurs conventions de délégation avec d'autres opérateurs que SNCF Mobilités.

Les articles 5 et 6, qui établissent des règles de régulation du secteur autoroutier, font suite aux rapports de la Cour des comptes et de l'Autorité de la concurrence. La commission du développement durable du Sénat a créé cet automne un groupe de travail à ce sujet ; il a remis ses conclusions en décembre. Nous pouvons nous féliciter qu'une bonne partie de ses recommandations aient été intégrées dans le texte par les députés : ainsi en est-il de l'extension et du renforcement des pouvoirs de l'ARAFER dans ce domaine, comme des mesures favorisant la transparence du secteur. Je vous proposerai quelques amendements, surtout dans un objectif de précision et de sécurité juridique.

Je termine enfin avec la réforme du passage du permis de conduire, prévue à l'article 9, qui a fait l'objet de débats passionnés à l'Assemblée nationale. Cette réforme a été initiée l'été dernier par le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve. Son objectif est de réduire le délai de présentation à l'épreuve pratique du permis de conduire, en cas d'échec à une première présentation. Le délai moyen de passage entre ces deux présentations s'élève en effet à 98 jours, et peut atteindre jusqu'à 200 jours dans certains départements ! C'est inadmissible. Il s'agit, pour nombre de jeunes, d'un réel frein à l'accès à l'emploi.

La réforme initialement prévue comportait plusieurs volets destinés à décharger les inspecteurs du permis de conduire de certaines de leurs missions, pour les réaffecter au passage des épreuves pratiques du permis B : l'externalisation du code, aussi appelé « épreuve théorique du permis de conduire », et de certaines épreuves pratiques concernant les poids lourds, prévues à l'article 9 ainsi que la réduction, par voie réglementaire, de la durée de l'épreuve pratique du permis de conduire de 35 à 32 minutes.

L'objectif de cette réforme était - si l'on en croit l'étude d'impact annexée au projet de loi - d'atteindre un délai moyen de 45 jours d'ici l'été 2016.

À l'Assemblée nationale, les députés ont voulu faire preuve de volontarisme. Ils ont tout d'abord affirmé dans la loi que le passage du permis de conduire est, je cite, un « service universel ». Cette référence est un peu étonnante. Cette notion est utilisée dans les secteurs des industries de réseau pour imposer la fourniture d'un service public minimal dans un cadre... concurrentiel ! Or il n'est pas encore question de privatiser le passage des épreuves pratiques.

Les députés ont aussi introduit une disposition dérogatoire au droit commun, pour autoriser des agents publics ou contractuels à être examinateurs des épreuves pratiques du permis B, sans aucune condition de compétence ! Un partenariat avec La Poste est envisagé dans ce cadre.

La mesure est présentée comme exceptionnelle, puisqu'elle n'est censée s'appliquer que dans les départements où le délai moyen de passage entre deux épreuves est supérieur à 45 jours. Mais c'est le cas dans la majorité des départements aujourd'hui ! Or, faire passer une épreuve pratique du permis B n'est pas tout à fait la même chose que d'organiser une épreuve de code, sur un boîtier électronique. Surtout, les coûts de cette mesure « exceptionnelle » ne sont pas encore chiffrés : là encore, on est dans le flou. Dans ce cadre, je vous proposerai la suppression de cette mesure.

Les députés ont aussi introduit dans la loi un certain nombre de mesures qui relèvent du domaine réglementaire. Cela présente un inconvénient majeur : dès que l'on veut modifier la moindre de ces dispositions, il faut trouver un véhicule législatif adapté, et nous savons que ce n'est pas toujours chose facile. Je vous en proposerai donc la suppression. C'est dans ce paquet de mesures d'ordre réglementaire que l'on trouve la suppression de la durée minimale de formation de 20 heures et les dispositions sur la location des véhicules à double commande.

À mon sens - mais c'est au pouvoir réglementaire de trancher - on ne peut pas revenir sur le principe d'une durée minimale de formation. Les députés l'avaient supprimée, car certaines auto-écoles proposent aujourd'hui des forfaits de 20 heures à prix cassés, et pratiquent ensuite des tarifs prohibitifs sur les heures de conduite supplémentaires, alors que la durée moyenne de formation s'élève à 30 heures minimum. Pour éviter ces dérives tarifaires, je vous proposerai d'obliger les auto-écoles à afficher leurs résultats, rapportés au nombre d'heures de conduite suivies. Pour ne pas être trop longue, je vous détaillerai les autres mesures que je propose lors de l'examen des amendements.

J'en viens maintenant aux nombreuses dispositions nouvelles qui ont été introduites à l'Assemblée nationale. A l'initiative du Gouvernement, je relève deux demandes d'habilitation à procéder par ordonnance, pour le canal Seine - Nord Europe et le « Charles de Gaulle Express », aux articles 3 bis A et 3 bis ; la ratification de l'ordonnance sur la participation de la Société du Grand Paris à des opérations sur le réseau existant, à l'article 6 bis ; ainsi qu'une clarification des dispositions du code des transports relatives aux gens de mer, à l'article 22 ter.

A l'initiative des députés, on compte neuf demandes de rapport du Gouvernement au Parlement. Je vous en proposerai systématiquement la suppression, car ce n'est pas une manière de légiférer. D'autres mesures ont été introduites, alors que des dispositifs similaires ont déjà été insérés dans le projet de loi de transition énergétique : je veux parler de la modulation des péages en fonction du caractère « écologique » des véhicules, ou de la réservation de voies de circulation à certains véhicules. Je vous en proposerai la suppression, pour garder une certaine cohérence entre les textes. Je vous épargne le catalogue exhaustif des autres mesures introduites, car nous y reviendrons lors de l'examen des amendements. Je vous signale juste l'introduction d'un article 1er quater, sur l'ouverture des données des transports collectifs, que je vous proposerai de renforcer.

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