Le projet de loi prévoit la spécialisation de certains tribunaux de commerce pour connaître des procédures de prévention et de traitement des difficultés des entreprises les plus importantes. Les dispositions des articles 65 à 68 constituent l'un des volets d'une réforme plus vaste de la justice consulaire qui doit figurer dans le projet de loi justice du XXIe siècle. Cette méthode regrettable nous prive d'une vision d'ensemble ; sur le fond, ni la déontologie, ni la formation, ni l'élargissement du corps électoral aux artisans, ne sont évoqués. Quant à l'échevinage, c'est un sujet interdit...
Si le principe de spécialisation est désormais approuvé, y compris, à regret, par les juges consulaires, ses modalités d'application restent discutées : combien de juridictions ? Quel seuil pour une compétence automatique ou facultative ? Inclut-elle les mesures de prévention ? J'ai tenté de trouver les voies d'un compromis entre les objectifs du Gouvernement et les oppositions exprimées par les juges consulaires comme par les universitaires spécialistes des procédures collectives. Comme je l'ai indiqué au ministre, cette réforme constitue l'un des points très sensibles du texte. Si sa portée pratique est réduite, le symbole pourrait susciter une crise des vocations. Or si des tribunaux de commerce ferment, leur contentieux sera transféré aux tribunaux de grande instance, ce qui ne manquera pas de susciter des difficultés à la Chancellerie.
Non, je ne propose pas de remettre en cause le principe de l'existence de juridictions spécialisées. En l'état, le texte prévoit un tribunal spécialisé pour une ou plusieurs cours d'appel, avec un maximum d'un par cour d'appel, ce qui pourrait aboutir à huit ou neuf tribunaux spécialisés. Le texte soulève deux difficultés : il exclut l'outre-mer, ce qui est discutable ; dans certaines cours d'appel, telles Paris, Versailles ou Aix, il est inconcevable qu'un tribunal de commerce seulement soit compétent. Dessaisir Versailles ou Pontoise pour Nanterre n'aurait aucun sens. Dans ces conditions, je propose un tribunal spécialisé au moins par cour d'appel, ce qui pourrait conduire à 35 au total, sur 134. Vous m'objecterez que, dans le ressort des petites cours d'appel, la désignation du tribunal de commerce spécialisé ne s'imposera pas nécessairement. Nous attendons la réforme de la carte des cours d'appel...
Une rédaction du type « un ou plusieurs tribunaux dans le ressort d'une ou plusieurs cours d'appel » n'est pas opérante juridiquement compte tenu de l'objectif recherché par les auteurs des amendements qui le proposent : le Gouvernement pourrait en spécialiser un dans le ressort de plusieurs cours d'appel. Si l'on prévoit au moins un tribunal spécialisé par cour d'appel, l'exclusion de l'outre-mer a peu de sens car chaque département d'outre-mer compte une cour d'appel.
Le texte renvoie au pouvoir réglementaire le soin de fixer le seuil de compétence des tribunaux spécialisés. Les seuils de 150 salariés et 20 millions d'euros de chiffre d'affaires, que le Gouvernement a évoqués, sont considérés comme assez bas et pourraient être relevés ; M. Macron a laissé la porte ouverte à cet égard. Dès lors, je vous propose un mécanisme à trois niveaux : une compétence de droit au-delà de 250 salariés, seuil qui parait acceptable pour les juges consulaires d'après les échanges que j'ai eus avec eux ; une compétence facultative entre 150 et 250 salariés, sur renvoi de la cour d'appel, tenue de statuer après avis du ministère public ; une compétence facultative en deçà de 150 salariés, sur renvoi de la cour d'appel dans le cadre actuel de la procédure de délocalisation. Le seuil de 250 salariés est le seuil inférieur des entreprises de taille intermédiaire et des grandes entreprises, catégories fixées par la loi de modernisation de l'économie ; le seuil de 150 salariés est celui de constitution obligatoire des comités de créanciers dans une procédure collective.
Ce système pourrait satisfaire les préoccupations exprimées par un grand nombre d'amendements, sans dénaturer le texte. Les procédures concernées seraient comprises entre 150 et 200 par an au-delà de 150 salariés et de l'ordre d'une soixantaine au-delà de 250. La complexité propre des procédures transfrontalières justifie à mon sens de n'en saisir que les tribunaux spécialisés.
Le champ de la spécialisation est incertain : il vise les procédures du livre VI du code de commerce, parmi lesquelles les procédures collectives : sauvegarde, redressement et liquidation. Qu'en est-il des mécanismes de prévention, qui ne sont pas qualifiés de procédures, par exemple le droit d'alerte du président du tribunal ou le mandat ad hoc ? Reposant sur la confidentialité et la compétence propre du président du tribunal, ils exigent une grande proximité incompatible avec le renvoi à un tribunal spécialisé.
Le regroupement des procédures concernant les entreprises d'un même groupe devant un seul tribunal doit être salué : il était attendu et devrait améliorer la cohérence économique des procédures collectives. Je vous proposerai de le systématiser et de ne pas le limiter aux tribunaux spécialisés.