Intervention de François Bonhomme

Réunion du 26 octobre 2015 à 16h00
Réutilisation des informations du secteur public — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de François BonhommeFrançois Bonhomme :

C’est à la même époque que fut instituée la CADA, autorité administrative indépendante qui a garanti les avancées marquantes réalisées pour le respect de la liberté d’accès aux informations. Alors que, dans quelques semaines, un rapport sénatorial va sûrement fustiger les autorités administratives indépendantes, il faut se souvenir du progrès qu’a représenté la création de cet outil.

Les avancées de 1978 ont été confortées au niveau européen par la directive du 17 novembre 2003 sur la réutilisation des informations du secteur public : elle a fixé un cadre européen minimal applicable à la réutilisation des informations du secteur public au sein de l’Union européenne. Cette directive s’applique aux informations détenues par les organismes du secteur public, c’est-à-dire par l’État, les collectivités territoriales et les organismes de droit public, ainsi que par les associations formées par une ou plusieurs de ces entités. Elle définit la réutilisation comme « l’utilisation par des personnes physiques ou morales de documents détenus par des organismes du secteur public, à des fins commerciales ou non commerciales autres que l’objectif initial de la mission de service public pour lequel les documents ont été produits ». Cette première directive a été transposée en droit français par deux ordonnances de 2005.

Le projet de loi dont nous débattons cet après-midi opère la transposition dans notre droit d’une seconde directive, du 26 juin 2013. Dite directive ISP2 et destinée à actualiser la directive de 2003, elle aurait dû être transposée avant le 18 juillet dernier.

Un premier problème se pose, sur le plan de la forme : alors que nous devrions être prochainement saisis du fameux et annoncé projet de loi sobrement, et peut-être immodestement, intitulé « pour une République numérique », le Gouvernement, sans doute pour rasséréner la Commission européenne et éviter des sanctions, semble préférer la technique du « saucissonnage », de surcroît en engageant la procédure accélérée. L’inscription dans notre droit de mesures relatives à la réutilisation des données publiques aurait pourtant mérité de faire partie d’une action globale touchant aux données ouvertes en France.

Remarquez, madame la secrétaire d’État, que je parle de « données ouvertes ». C’est d’ailleurs là l’une de mes requêtes : que l’on cesse de parler d’« open data » et que l’on use de notre langue nationale pour désigner tout ce qui touche aux données publiques, aux rapports publics et même aux sites internet. Employons de préférence les expressions « données publiques ouvertes », ou simplement « données ouvertes » !

L’inclusion des dispositions soumises à notre examen dans le projet de loi dit « pour une République numérique » eût été d’autant plus logique que celui-ci, dans la version préparatoire que nous venons de découvrir, comporte une partie entière consacrée à l’ouverture des données publiques. Ce problème de forme est bien regrettable, et je ne crois pas qu’il tienne simplement à la gestion de l’agenda parlementaire.

Un second problème se pose, qui est un problème de fond : le Gouvernement et la majorité sur laquelle il s’appuie à l’Assemblée nationale n’ont pu s’empêcher, comme souvent en matière de transposition, de faire de l’excès de zèle, en surtransposant la directive européenne. Or le Conseil d’État, dans l’avis qu’il a rendu sur le projet de loi, a estimé que la législation française actuelle satisfaisait par avance aux obligations de la directive.

Cette dernière concerne principalement les aspects économiques de la réutilisation des informations du secteur public ; elle laisse aux États membres le soin de déterminer les règles permettant aux citoyens d’accéder à ces informations. Ainsi, elle va dans le sens d’un élargissement du champ du droit d’accès, auquel elle intègre les bibliothèques, les archives et les musées, tout en maintenant le versement de redevances ou la conclusion d’accords d’exclusivité. Elle prévoit également la mise en place d’une tarification pour la réutilisation des informations publiques, avec quelques exceptions. Enfin, elle renforce l’obligation de transparence imposée aux administrations et encadre les accords d’exclusivité liés à la numérisation des données culturelles.

De manière générale, nous souscrivons à l’avis de la commission des lois et de son rapporteur : il paraît important de ne pas aller au-delà de la directive, pour ne pas prendre le risque de créer des distorsions de concurrence et des inégalités entre pays de l’Union européenne. C’est pourquoi nous ne sommes pas favorables à la suppression du régime dérogatoire de réutilisation des informations contenues dans les documents produits ou reçus par les établissements d’enseignement et de recherche et par les organismes et services culturels.

De même, le principe de gratuité prévu à l’article 3 du projet de loi va bien au-delà du contenu de la directive et risque de pénaliser les acteurs de notre secteur public. Nous souhaitons nous en tenir aux principes fixés par la directive et plafonner le montant des redevances aux coûts marginaux de reproduction, de mise à disposition et de diffusion, tout en prévoyant une nouvelle dérogation liée à la collecte, la production, la mise à disposition du public et la diffusion de certains documents.

Enfin, afin de prévenir les litiges, il nous paraît fondamental de prévoir que toutes les réutilisations, assorties ou non du paiement d’une redevance, devront donner lieu à une licence.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en dépit des deux problèmes que je viens de signaler, le projet de loi me paraît marquer une étape importante et nécessaire, quoique tardive ou prématurée – c’est selon. Nous espérons que le projet de loi dit « pour une République numérique » sera en cohérence avec les dispositions dont nous sommes saisis cet après-midi. Nous attendons aussi qu’il apporte des réponses précises à la question de la conciliation de la réutilisation des informations du secteur public avec la protection des données personnelles et, surtout, qu’il nous permette de mettre enfin la dernière main à la stratégie française en matière de données ouvertes.

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