Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que nous examinons ce soir vient parachever le travail global que nous avons entrepris ensemble depuis 2012 sur le renseignement.
Après les députés Patricia Adam et Philippe Nauche, qui ont pris l’initiative de déposer ce texte, je tiens à remercier chaleureusement les sénateurs qui y ont apporté, par leurs travaux et leurs remarques, une contribution tout à fait essentielle. Vous me permettrez de saluer à cet égard le président et rapporteur Philippe Bas et l’ensemble de la commission des lois, le président Jean-Pierre Raffarin ainsi que la commission des affaires étrangères et de la défense, en particulier son rapporteur Michel Boutant. Ensemble, ils ont enrichi ce texte, et je me félicite qu’il existe aujourd’hui un terrain d’entente, sur l’essentiel, entre la proposition de votre commission des lois et le vote de l’Assemblée nationale.
Cette proposition de loi répond à un besoin urgent, compte tenu des enjeux de sécurité nationale que vous connaissez. Vous me permettrez de rappeler ici ce qu’elle contient.
Dans le cadre de la loi relative au renseignement, le Parlement avait voté, fin juin, une disposition qui définissait le régime légal de la surveillance des communications électroniques internationales. Ce régime est nécessairement distinct de celui des interceptions de sécurité, qui ne peut s’appliquer qu’aux personnes situées sur le territoire national. Dans sa décision du 23 juillet dernier, le Conseil constitutionnel a estimé que ce régime légal n’était pas suffisamment détaillé par le législateur et qu’il renvoyait trop largement à des textes réglementaires sur les points suivants : les conditions d’exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés et les conditions du contrôle par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, de la légalité des autorisations délivrées et de leurs conditions de mise en œuvre.
Le Conseil constitutionnel a donc censuré cette disposition, mais sur un motif qui ne touche pas au fond du texte que le Parlement a adopté. Il a par ailleurs donné des indications qui ont permis d’orienter le travail du législateur pour remédier à la censure. C’est tout l’objet de la proposition de loi, qui répond au grief d’« incompétence négative » en intégrant dans la loi elle-même nombre de règles qui étaient destinées à figurer dans les décrets d’application.
Au titre des conditions d’exploitation, la proposition de loi précise que la surveillance des communications internationales ne vise que des personnes ou entités situées à l’étranger. Elle explicite clairement que les communications échangées entre des numéros ou identifiants rattachables au territoire national qui seraient interceptées seront immédiatement détruites, y compris si elles transitent par des territoires étrangers. On ne peut donc soupçonner que, par ces dispositions, nous mettions en place le moyen détourné de surveiller des Français, comme je l’ai parfois lu.
Toujours pour répondre à l’exigence de précision s’agissant des conditions d’exploitation, la proposition de loi organise et détaille les trois niveaux d’intervention du Premier ministre pour décision : la désignation des systèmes ou réseaux de communications que les services sont habilités à intercepter ; les autorisations d’exploitation non individualisée des données de connexion ; les autorisations d’exploitation individualisée des communications, c’est-à-dire, comme le précise la loi, de l’ensemble formé par les correspondances et les données de connexion associées.
S’agissant des conditions de conservation, la proposition de loi fixe les durées maximales de conservation des différentes catégories de données qui peuvent être recueillies. Elle précise aussi les conditions de destruction des renseignements recueillis et des informations exploitées qui peuvent en être tirées, en renvoyant pour cela au droit commun.
En ce qui concerne le contrôle, comme l’exige le Conseil constitutionnel, le texte détaille les prérogatives qui permettront à la CNCTR de s’assurer de la légalité des autorisations délivrées par le Premier ministre – relevons au passage que le Conseil constitutionnel n’exige pas, dès lors, de contrôle préalable à la délivrance de celles-ci – ainsi que des conditions de mise en œuvre de ces autorisations.
Enfin, la proposition de loi organise un contrôle juridictionnel des mesures de surveillance internationale, en prévoyant que le Conseil d’État pourra être saisi par la CNCTR, et même par seulement trois de ses membres, si le Premier Ministre ne donnait pas suite à l’une de ses recommandations relative à un manquement au texte ou s’il n’y donnait suite que de façon insuffisante à ses yeux.
L’ensemble des garanties que le Gouvernement s’apprêtait à faire figurer dans les textes d’application de la loi relative au renseignement sont donc intégrées, grâce à la proposition de loi, au niveau législatif, ce qui remédie au vice identifié par le Conseil constitutionnel. Il était important, au vu notamment de l’urgence de la situation sécuritaire, que cette correction soit effectuée le plus rapidement possible, et je veux remercier à nouveau le Sénat d’avoir contribué à cet important travail.
Au terme des travaux de vos commissions, je me réjouis donc qu’un accord émerge entre les deux assemblées sur les grands principes de cette proposition de loi. Les différences entre la version du texte votée par l’Assemblée nationale et celle établie par votre commission des lois sont essentiellement d’ordre légistique et rédactionnel. Vous me permettrez de signaler les trois points les plus significatifs.
Le premier concerne la possibilité pour le Premier ministre de déléguer sa signature pour la désignation des réseaux de communications interceptées : votre texte supprime cette possibilité. Ce n’est pas très orthodoxe au regard du principe de séparation des pouvoirs, l’organisation administrative relevant du pouvoir exécutif. Je me souviens des propos tenus à ce sujet par le président Bas lors de l’examen du projet de loi précédent, et je sais à quel point il est attaché à ce principe.
Le Conseil d’État, dans son avis sur la proposition de loi déposée par Philippe Bas, qui présente nombre de similitudes avec la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui, a considéré que les décisions en cause étaient suffisamment stratégiques et peu nombreuses pour que l’exclusion de toute délégation ne pose pas de difficulté d’ordre constitutionnel. Bien que ce choix ne soit pas nécessairement le plus opportun, le Gouvernement, dans ces conditions, n’entend pas proposer d’amendement tendant à revenir au texte initial.