Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’en venir à la proposition de loi à proprement parler, je formulerai quelques observations.
Il faut espérer – c’est la première observation – que ce texte représente le dernier jalon d’un processus qui modernise un cadre législatif jusqu’alors plutôt léger. Le Livre blanc de la défense de 2008 et celui de 2013 ainsi que les lois de programmation avaient besoin d’une traduction législative spécifique pour prendre le relais de la loi de 1991 sur les interceptions de sécurité. Cette loi était devenue obsolète : elle ne couvrait plus qu’une faible partie d’un champ très élargi par les différentes innovations technologiques de ces vingt-cinq dernières années.
L’objectif de la loi relative au renseignement que nous avons votée assez unanimement le 24 juin dernier répondait donc à une quadruple exigence : passer le cap imposé par les révolutions technologiques en matière de technique de renseignement, notamment la prise en compte du cyberespace ; tirer les conséquences d’un contexte où la menace sécuritaire est devenue plus que jamais transnationale – la situation que nous vivons valide évidemment le concept de continuum entre sécurité intérieure et sécurité extérieure, toutes deux indissociablement liées aujourd'hui aux yeux de tous, et impose une force nouvelle à la fonction stratégique connaissance-anticipation, et par là aux questions liées au renseignement – ; poser un cadre législatif aux services de renseignement ; garantir – ce n’est pas le plus simple – un équilibre entre impératifs de sécurité, découlant d’une situation qui, hélas ! ne relève plus de l’exception, et nos libertés publiques, véritable sel de notre régime républicain.
Sur ces deux derniers points, contrairement à ce que l’on peut lire ou entendre çà et là, le Parlement – c’est la deuxième observation – consolide et œuvre en faveur de l’État de droit qui est le nôtre.
D’ailleurs – c’est la troisième observation –, le Conseil constitutionnel, dans sa décision à laquelle répond la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, rappelle qu’il appartient au législateur d’autoriser et d’encadrer les techniques de renseignement : le législateur n’a pas déterminé « les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ». Je note au passage que les Sages ont validé le reste de la loi relative au renseignement, mais qu’ils ont considéré, pour une fois, que le législateur n’était pas suffisamment intervenu en matière de surveillance internationale, afin que l’État de droit puisse être garanti. D’habitude, ce sont plutôt les empiètements sur le domaine réglementaire qui sont reprochés...
Venons-en aux garanties. Nous considérons que cette mise en forme législative de ce qui était prévu dans les décrets offre précisément des garanties supplémentaires.
Il en va ainsi de l’exclusion du champ de la surveillance internationale des communications ou identifiants rattachables à l’échelon national, à l’exception des personnes faisant d’ores et déjà l’objet d’une autorisation d’interception de sécurité dans le cadre de leur présence sur le territoire national ou présentant un danger avéré pour les intérêts nationaux.
Il en va également ainsi des délais de conservation précisés, car ces délais doivent être nécessairement plus longs : dix mois au moins, comme le préconise le rapporteur de la commission des lois, ou douze mois selon le texte initial. Les difficultés liées à l’exploitation de ces données les justifient largement. C’est non pas un luxe, mais une question de pragmatisme.
Il en va encore ainsi du rôle du Premier ministre, dont la qualité d’autorité est précisée, d’une part, dans la délivrance des autorisations visant la surveillance de tel ou tel système de communication, pour une durée d’un an renouvelable, mais aussi en tant qu’autorité organisatrice des dispositifs d’interception, et, d’autre part, du point de vue organique avec la possibilité qui lui est donnée de déléguer ou non sa signature à un nombre limité de collaborateurs. La délégation ne retire rien à la responsabilité engagée du Premier ministre.
Il en va en outre ainsi du contrôle exercé a posteriori par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement sur les décisions du Premier ministre. En recevant toutes les autorisations délivrées par le Premier ministre, en disposant d’un accès aux renseignements collectés, cette instance est en mesure de veiller à ce que les techniques employées le soient dans les conditions fixées par le législateur. En cas de refus du Premier ministre de suivre sa recommandation, elle pourra opérer une saisine du Conseil d’État.
Il en va enfin ainsi de l’existence pour le justiciable du droit de saisir en dernier ressort la CNCTR.
Une fois effectives, ces dispositions constitueront un faisceau de garanties consolidant l’État de droit dans un domaine où celui-ci était jusqu’alors pratiquement inexistant.
En résumé, ce texte parachève un édifice qui construit peu à peu une politique publique du renseignement. Alors qu’elle avait accusé un retard considérable sur le plan législatif, en trouvant un savant équilibre entre impératif de sécurité et respect des libertés publiques, la France fait non seulement œuvre utile pour elle-même, mais également pour les autres États européens ; des collègues parlementaires, notamment ceux de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, observent avec attention le travail que nous sommes en train d’accomplir sur le plan législatif en matière de renseignement. Elle évite aussi les excès engendrés aux États-Unis par le Patriot Act à la suite des attentats du 11 septembre 2001.
Je salue le travail accompli en commission des lois, qui a eu le mérite d’améliorer notablement la rédaction de ce texte et de débattre de manière salutaire sur des points tels que les délais de conservation des données ou la délégation ou non de la signature du Premier ministre.
Naturellement, le groupe socialiste votera ce texte.