Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors qu’il est souvent reproché au Parlement d’empiéter sur le pouvoir réglementaire, il nous est au aujourd’hui permis de réparer l’incompétence négative du législateur.
Cela a été souligné, le Conseil constitutionnel a censuré l’article L. 854-1 du code de la sécurité intérieure instauré par la loi relative au renseignement, qui concerne les mesures de surveillance des communications électroniques internationales, mesures renvoyées jusque-là à deux décrets en Conseil d’État. Plus précisément, les Sages ont considéré que cette lacune contrevenait à l’article 34 de la Constitution, le législateur n’ayant pas, aux termes de la décision du 23 juillet dernier, « déterminé les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ».
Pour ma part, soucieux du respect des prérogatives du Parlement, ce motif pourrait suffire à emporter mon adhésion, ainsi que celle du RDSE, à cette proposition de loi. C’est en effet un bel exemple qui poursuit une jurisprudence visant à faire respecter « la réserve de la loi ». Par conséquent, ce texte est sans aucun doute bienveillant sur la forme, car il redonne au législateur la plénitude de ses compétences, de surcroît sur un sujet sensible.
Sur le fond, il s’agit avant tout d’étoffer un régime spécifique pour les activités de surveillance des communications électroniques internationales, dont les grandes lignes avaient été posées par la loi relative au renseignement votée au mois de juin dernier. Je souligne que ce régime diffère de celui des interceptions de sécurité, ce dernier ne s’appliquant qu’aux personnes situées sur le territoire national, tandis que le premier vise par nature les communications électroniques émises ou reçues à l’étranger.
Du fait de son champ opérationnel international, le dispositif a été aménagé en conséquence. L’Assemblée nationale, puis la commission des lois du Sénat ont conservé l’essentiel des dispositions de l’article L. 851-1 tout en répondant aux griefs du Conseil constitutionnel. L’objet des mesures de surveillance est détaillé. Les modalités de déclenchement des autorisations et les conditions de leur contrôle sont précisées. La traçabilité des actions est renforcée.
Je me réjouis de deux apports nouveaux de la proposition de loi.
Le premier concerne la protection de l’exercice des professions dites « protégées » et des mandats parlementaires. Nous avons largement insisté sur ce point au mois de juin dernier…
Le second apport a trait à l’extension des conditions dans lesquelles la CNCTR peut saisir la justice administrative, même si, comme j’ai eu l’occasion de le dire lors de précédents débats, je regrette que ce soit le juge administratif qui soit chargé de la protection des libertés individuelles, devenant ainsi le juge de droit commun en matière de voies de fait.
Mes chers collègues, toutes ces mesures participent du projet global qui consiste in fine à garantir la sécurité de nos concitoyens. On ne peut que les soutenir au regard, d’une part, des évolutions technologiques facilitant la cybercriminalité et, d’autre part, du nouveau contexte de menaces, notamment le développement de filières djihadistes et la radicalisation de citoyens français, entraînant des attentats dramatiques sur notre sol.
En 2013, la prévention du terrorisme a représenté 28 % des interceptions réalisées. Si la lutte antiterroriste n’est qu’une des sept finalités définies par la loi qui autorisent les services spécialisés de renseignement à mettre en œuvre les techniques de renseignement, elle n’en constitue pas moins un axe majeur de la politique de sécurité nationale.
Dans cette perspective, le Livre blanc de 2013 et la loi de programmation militaire ont fait du renseignement une priorité. Les ressources humaines, qu’elles soient civiles ou militaires, ont été abondées. Pour autant, si je partage la volonté générale d’améliorer le cadre juridique d’exercice des activités de renseignement, je ne retire pas les réserves que j’ai exprimées avant l’été. Elles intéressent d’autant plus le volet des communications électroniques internationales que celui-ci peut être davantage sujet au rempart du secret-défense, l’instrument ultime d’un arrangement avec la légalité.
Bien sûr, je ne méconnais pas la difficulté à trouver le juste point d’équilibre entre le respect des libertés individuelles et les impératifs de sécurité, entre le principe de protection de la vie privée et le besoin d’efficacité des services. Toutefois, il me semble que l’on aurait pu faire plus s’agissant des garde-fous que l’on est en droit d’attendre quand il s’agit d’encadrer par le droit des activités qui flirtent par contrainte avec les fondamentaux de la démocratie. Je pense en particulier au fait qu’un avis préalable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement n’est pas requis pour l’autorisation de surveillance délivrée par le Premier ministre en matière de surveillance internationale ; il s’agit d’un contrôle a posteriori, donc un régime distinct de celui qui est prévu pour les interceptions intérieures. Ne pouvait-on pas lier un peu plus la responsabilité du Premier ministre aux recommandations de la CNCTR ?
Et que dire des limites du caractère consultatif de l’avis de la CNCTR, qui régit l’ensemble des interceptions, qu’elles soient nationales ou internationales ? Car s’il y a le droit qui encadre, il y a aussi la pratique ! Or celle-ci peut se révéler plus ou moins soucieuse du respect des libertés, d’où la nécessité d’avoir un avis pesant sur l’exécutif. À cet égard, je fais miens les propos de Jean-Marie Delarue, président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, que j’ai eu le plaisir d’auditionner récemment dans le cadre de la commission d’enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l’organisation, de l’activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes. Il a affirmé que la loi relative au renseignement, d’une part, et les techniques de saisine, d’autre part, ne donnaient pas les garanties d’un contrôle suffisant. Je n’en dirai pas plus...
Mes chers collègues, monsieur le ministre, vous connaissez l’attachement du RDSE aux valeurs qui fondent le pacte républicain, parmi lesquelles se trouve le respect des libertés publiques. Cependant, nos concitoyens ont aussi droit à une sécurité qui leur permette justement d’éprouver cette liberté sans entrave, sans risque. Aussi, parce qu’il y a peu de marge entre le possible et le souhaitable, la majorité des membres du RDSE votera la proposition de loi.