Intervention de Gérard Roche

Réunion du 28 octobre 2015 à 14h30
Adaptation de la société au vieillissement — Discussion en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Gérard RocheGérard Roche :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, chers collègues, Georges Labazée a parfaitement résumé le déroulement de la navette parlementaire depuis l’année dernière. Les deux assemblées ont beaucoup travaillé à amender, à préciser, à compléter parfois, un texte qui permet d’appréhender de façon globale la problématique du vieillissement. Sur bien des points, les positions du Sénat ont été comprises et acceptées en deuxième lecture par l’Assemblée nationale. De même, notre commission a rejoint beaucoup des positions défendues par cette dernière.

Madame la secrétaire d'État, je tiens à vous remercier de l’écoute dont vous avez su faire preuve et du travail que vous avez mené avec vos équipes pour tenir compte des propositions que le Sénat avait formulées lors de la première lecture.

Je pense en particulier à l’article 32 bis du projet de loi, que notre commission des affaires sociales avait introduit en première lecture. Vous nous aviez alors trouvés « audacieux » : nous le prenons comme un compliment ! Il s’agissait d’aller plus vite que ne le prévoyait le projet de loi initial dans la convergence entre les régimes d’agrément et d’autorisation des services d’aide à domicile. La solution proposée au Sénat était simple et, sans doute, un peu radicale : supprimer, à un horizon de cinq ans, le régime de l’agrément, pour créer un régime unique d’autorisation fondé sur le respect d’un cahier des charges commun à l’ensemble des services et sur l’obligation de contractualiser avec l’autorité de tarification.

L’Assemblée nationale a, sur votre initiative, madame la secrétaire d'État, proposé une nouvelle version de cet article, plus équilibrée, qui permet d’opérer dès à présent le basculement vers le régime de l’autorisation, sans pour autant créer de bouleversement, dans la mesure où l’autorisation et l’entrée dans un régime de tarification administrée sont désormais dissociées.

Je m’attarderai quelques instants sur les raisons qui ont poussé le Sénat à proposer la convergence vers un régime unique d’autorisation des services d’aide à domicile, à la suite de l’excellente étude réalisée sur le sujet par Jean-Marie Vanlerenberghe et Dominique Watrin. Nous n’avons pas souhaité instaurer une simple mesure de simplification de l’organisation de ces procédures administratives. Nous n’avons pas non plus voulu fermer la porte à toute initiative privée, en empêchant les entreprises de développer des activités en matière d’aide à domicile. Nous n’avons pas, enfin – ce serait mal nous connaître ! –, pensé qu’il serait pertinent, dans le contexte actuel, de faire peser sur les départements une charge de travail et des dépenses qu’ils ne peuvent assumer.

Nous avons tenu à affirmer clairement et sans détour des principes très simples, mais qui avaient peut-être été quelque peu oubliés en 2005 lors de la création du système dual entre autorisation et agrément. Une activité dont le développement repose, pour l’essentiel, sur les financements alloués par la puissance publique à travers l’APA et la PCH, la prestation de compensation du handicap, ne peut être considérée comme relevant d’un marché comme un autre. L’aide à domicile auprès des personnes âgées et handicapées n’est pas une activité de services comparable, par exemple, à l’aide aux devoirs. Les missions d’intérêt général qu’elle remplit doivent être valorisées et les départements doivent pouvoir reprendre la main pour organiser, sur leur territoire, une activité qui appartient pleinement au secteur médico-social.

Voilà les principes qui nous ont guidés et qui font que nous sommes aujourd’hui satisfaits de l’équilibre atteint au travers de l’article 32 bis. Notre commission ne lui a apporté que peu de changements, sinon pour prévoir l’information annuelle de l’assemblée délibérante sur les décisions prises par le président du conseil départemental dans le champ de l’aide à domicile et pour indiquer que le cahier des charges national devra comporter un tarif national de référence, modulable en fonction de critères locaux, dont je précise bien qu’il aura une valeur purement indicative.

Nous avons, par ailleurs, décalé au 1er juillet 2016 l’entrée en vigueur de l’article 32 bis, afin de laisser aux départements et aux services concernés le temps de se préparer à la mise en œuvre du régime unique d’autorisation.

J’ai exprimé à plusieurs reprises ma déception de ce que le problème central rencontré par les personnes âgées dépendantes et leurs familles, à savoir le poids du reste à charge en EHPAD, ne soit abordé qu’à la marge dans ce projet de loi.

En première lecture, le Sénat avait adopté un article 40 bis qui, profondément remanié par l’Assemblée nationale, engage aujourd’hui une réforme de la tarification des EHPAD, en prévoyant que les conventions tripartites seront progressivement remplacées par des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, les CPOM. Cette réforme suscite bien sûr l’inquiétude des conseils départementaux, mais elle doit, en principe, s’accompagner d’une augmentation progressive, sur sept ans, du niveau du forfait soins alloué à chaque EHPAD, afin d’éviter tout risque de glissement de dépenses sanitaires vers les dépenses sociales. Pour nous, ce point est très important.

L’article ayant été inséré en cours de lecture, nous ne disposons d’aucune étude d’impact qui nous permettrait d’apprécier en détail les conséquences pratiques de son application sur le fonctionnement des établissements et sur leurs résidants, mais nous approuvons l’esprit de mesures dont la Cour des comptes avait souligné la nécessité en septembre 2014 et qui semblent avoir fait l’objet de travaux poussés entre le Gouvernement et les acteurs du secteur.

Nous avons malgré tout souhaité atténuer le mécanisme de sanctions prévu dans l’hypothèse où un gestionnaire d’EHPAD refuserait de signer un CPOM, afin de ne pas déséquilibrer les conditions de la négociation du contrat entre établissements, départements et ARS. Une sanction financière démesurée serait automatiquement répercutée par le gestionnaire sur le prix de journée, et c’est au final le résidant qui subirait les conséquences de l’absence d’accord entre l’EHPAD et les autorités de tarification.

Cette remarque me conduit à aborder un autre point qui, malheureusement, fait beaucoup moins consensus entre nos deux assemblées.

Il s’agit de l’article 45 ter, introduit en première lecture au Sénat, supprimé par l’Assemblée nationale, puis rétabli la semaine dernière par notre commission. Au travers de cet article, il est prévu de créer, au sein du budget de la CNSA, une section consacrée au financement de l’aide à l’investissement dans le secteur médico-social. Trop souvent, le poids des investissements réalisés par les établissements pèse lourdement sur le reste à charge acquitté par les résidants.

La nécessité de sécuriser l’aide à l’investissement devait, déjà, sembler suffisamment importante pour que le Sénat formule, lors de l’élaboration de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, une proposition exactement identique à celle que présente notre commission aujourd’hui. L’Assemblée nationale avait alors rejoint notre analyse. C’est le gouvernement de l’époque qui nous avait demandé de patienter jusqu’à la grande réforme de la prise en charge de la dépendance, alors annoncée pour 2011.

Depuis, les mesures provisoires succèdent aux mesures provisoires. Chaque plan d’aide à l’investissement est généralement gelé en début d’exercice avant que ne soit prélevée, pour compenser ce gel, une partie des réserves de la CNSA.

Ces jeux de tuyauterie, exercice ô combien chéri par la CNSA, fonctionnent à plein. Au final, les structures médico-sociales n’ont pas de visibilité pluriannuelle sur le niveau des aides qui pourront leur être allouées et les membres du conseil de la CNSA ne peuvent qu’observer ces mécanismes tout en conservant l’espoir de pouvoir un jour comprendre la façon dont est structuré le budget de la caisse…

Nous vous proposons un dispositif simple et clair, qui permettra d’alimenter de façon pérenne l’aide à l’investissement. Madame la secrétaire d'État, vous vous êtes engagée à financer un plan pluriannuel d’investissement pour les années 2015 à 2017 avec une partie du produit de la CASA qui n’aura pas été consommée pendant la montée en charge du dispositif de la loi actuellement en vigueur. L’article 45 ter adopté par notre commission tient compte de cet engagement et prévoit que, à l’issue de cette période, 4 % du produit de la contribution de solidarité pour l’autonomie soient consacrés à l’aide à l’investissement.

Le dernier point de divergence entre les deux assemblées est également d’ordre financier. Notre commission a souhaité, comme en première lecture, flécher les modalités d’utilisation du produit de la CASA s’agissant des sommes qui seront allouées aux conférences des financeurs de la prévention et à la perte d’autonomie, ainsi qu’à la réforme de l’APA. Nous tenons beaucoup à ce fléchage, qui doit permettre d’apaiser les inquiétudes des présidents de conseil départemental : nous voulons pouvoir leur dire que les dépenses nouvelles liées à l’amélioration de la prise en charge des GIR 1 et GIR 2 et la diminution du reste à charge n’induiront pas, pour les départements, de dépenses sensiblement supérieures à celles qu’ils supportent actuellement.

L’Assemblée nationale considère qu’une telle proposition sera source de rigidité excessive. Nous estimons, au contraire, cohérent de donner la main au législateur pour définir les modalités financières de mise en œuvre d’une réforme qu’il s’apprête à voter. Nous soulignons en outre qu’il sera loisible au Parlement de réexaminer chaque année, au moment de l’élaboration de la loi de financement de la sécurité sociale, les modalités d’utilisation du produit de la CASA. Cette démarche nous semble plus vertueuse que rigide, et de nature à responsabiliser le Parlement pour le suivi de la mise en œuvre de la loi.

Nous aurons l’occasion de revenir sur ces différents points au cours de nos débats. Nous ne sommes pas d’accord sur tout avec l’Assemblée nationale et le Gouvernement, mais le contraire aurait été fortement suspect ! Je crois cependant que nous pouvons nous accorder sur l’essentiel et démontrer ensemble que le bicamérisme, lorsqu’il permet de construire, au-delà des clivages politiques et des prises de position de circonstance, une réforme attendue de longue date par nos concitoyens a encore son utilité.

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