Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie qui revient aujourd'hui au Sénat en deuxième lecture a donné lieu à de véritables débats de conscience. Autant de signes qui révèlent les difficultés et les limites qu’il y a à légiférer sur un sujet aussi sensible que la fin de vie.
Pour ma part, je me réjouis que de tels débats se soient déroulés, même s’ils ont été difficiles. Il est à l’honneur de notre assemblée et de chacun d’entre nous d’exprimer des convictions, surtout lorsqu’elles touchent à l’intime.
Je m’interrogeais déjà dans cette enceinte, lors de la première lecture, sur l’opportunité, voire sur la nécessité, de revenir sur la loi Leonetti. Je ne m’appesantirai pas sur ce point, car Gilbert Barbier vient de rappeler que l’urgence ne se situait effectivement pas là. C’est pourquoi d’autres collègues et moi-même nous sommes attachés alors à faire entendre la voix de ceux qui redoutent une judiciarisation de la mort. Les amendements que nous avions déposés – certains d’entre eux, et je vous en remercie, ont été adoptés – ne visaient pas d’autre objectif.
La navette parlementaire a eu le mérite de faire ressortir des consensus comme des points d’achoppement et de permettre, à la lumière de débats au cours desquels les consciences se sont exprimées, de tendre vers une rédaction plus nuancée, équilibrée et consensuelle du texte.
La rédaction que nous propose aujourd'hui la commission reprend ainsi certaines dispositions adoptées précédemment en séance, et je m’en réjouis. Il ne s’agit toutefois pas d’un rétablissement pur et simple du texte adopté en première lecture, la commission ayant souhaité « atteindre le plus large consensus possible, étant donné la diversité des positions qui se sont exprimées au Sénat. »
Je partage cet avis et tiens à rendre hommage aux rapporteurs et à nos collègues membres de la commission des affaires sociales pour leur travail afin d’aboutir à un texte le plus largement acceptable par tous. Je le dis clairement : le Sénat doit parvenir à un texte, nous sommes résolus à ce qu’il y arrive !
J’ai entendu les appels lancés en faveur du dialogue, mes chers collègues. Je viens de l’indiquer, nous sommes parfaitement disposés à trouver un accord. Je m’étonne néanmoins : les mêmes qui appellent au consensus affirment souhaiter revenir sans délai sur ce texte, au risque peut-être d’en briser l’équilibre ! Le consensus appelle la confiance, l’engagement et la durée. Il ne doit s’agir en aucun cas d’un marché de dupes sur l’instant pour parvenir à un texte.
La première vertu du débat aura été de poser la question des moyens qui sont affectés aux soins palliatifs. Nous avons été nombreux en première lecture à rappeler notre attachement à la mise en place de ces soins sur l’ensemble du territoire, dispositif qui était au cœur de la loi Leonetti. Cette exigence, nous la retrouvons dans le texte issu des travaux de la commission.
Je note que le Gouvernement vient d’annoncer l’octroi d’une enveloppe de 40 millions d’euros supplémentaires pour le développement des soins palliatifs. Si nos débats en première lecture n’avaient eu que ce mérite, ce serait toujours cela d’engrangé ! Il faut continuer dans cette voie.
De plus, un progrès du texte résultant des travaux de la commission concerne la formation, la suppression de la notion de traitements inutiles, la suppression de la prolongation inutile de la vie, l’hydratation considérée de nouveau comme un soin et qui peut être maintenue jusqu’au décès, les directives anticipées qui ne « s’imposent » plus au médecin, mais « sont respectées », et la personne de confiance qui exprime non plus un avis, mais un témoignage.
Toutefois, mes chers collègues, une interrogation demeure à l’article 3, voire une divergence. Nous sommes là au cœur du dispositif.
En première lecture, une majorité d’entre nous avait considéré qu’il ne fallait pas faire de la sédation une pratique irréversible et avait supprimé la mention « et continue jusqu’au décès » en adoptant un amendement en ce sens. Un grand nombre de collègues ont vu dans cette modification une dénaturation de la proposition de loi et ont voté en définitive contre le texte pour cette raison.
Je rappelle que ce qui nous choquait n’était pas tant la sédation en soi, pratique existante et déjà encadrée par la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, que son caractère impératif inscrit dans le marbre de la loi, et sans alternative. À mon sens, une latitude doit être laissée aux soignants et aux proches. J’ai donc déposé avec plusieurs de mes collègues un amendement visant à ce que la sédation soit une possibilité et non une prescription. Ce serait un précédent que d’inscrire une prescription médicale dans un texte de loi. Évitons la judiciarisation de la fin de vie, et plus encore de la médecine.
Pour conclure, je constate que les vicissitudes de la présente proposition de loi révèlent l’ampleur et les difficultés de la tâche qui nous incombe : donner un cadre législatif acceptable et satisfaisant aux pratiques médicales de la fin de vie ! C’est tout l’intérêt de la navette, qui a permis de faire apparaître et de retenir les précisions et les nuances rendant possible l’application de cette proposition de loi au nombre infini de cas de fin de vie.
Mes chers collègues, nous devons bien mesurer et peser les conséquences des mots et des virgules retenus. Les membres de mon groupe détermineront leur vote final à l’issue de la commission mixte paritaire. Nous espérons vivement que celle-ci reprendra l’intégralité des avancées figurant dans le texte de la commission des affaires sociales.