Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, une fois encore, le sujet de la fin de vie est débattu à la Haute Assemblée. Je risque donc de nouveau d’avoir le sentiment de me répéter, car ma position est restée inchangée sur ce point depuis mon arrivée au Sénat en 2001.
Au cours de cette période, j’ai déposé ou signé plusieurs propositions de loi qui relevaient toutes du même esprit et de la même intention. Nous avions réussi à proposer un texte signé par des sénatrices et sénateurs appartenant à tous les groupes politiques de cette assemblée, comme l’a rappelé Mme Bouchoux tout à l’heure.
Je le répète, ma conviction repose sur cette question posée par Balzac dans La Comédie humaine : « Les souffrances les plus vives ne viennent-elles pas du libre arbitre contrarié ? » Le reste n’est que développement et déclinaisons de cette idée.
Comme nous l’avons constaté tout au long des débats, écrire la loi sur les façons de mourir, sur les souffrances de la fin de vie et sur l’aide qui peut être apportée dans ces situations est un exercice très délicat pour le législateur. Nous devons le faire en portant toute notre attention sur l’individu, sa dignité, sa liberté et le respect de ses valeurs. Autant que possible, je considère que notre rôle doit être de lui laisser le droit de décider pour lui-même.
Le professeur Jean-Claude Ameisen a posé récemment une très bonne question : « En fin de vie, entre soulager la douleur ou raccourcir le temps qu’il reste à vivre, qu’est-ce qui est essentiel ? » La réponse devrait être simple : c’est au malade de choisir ce qui est fondamental pour lui, et à personne d’autre.
Il n’est question que d’un droit ; un droit contre la souffrance ; le droit de refuser certaines souffrances. Il est question d’une liberté aussi, d’une toute dernière liberté ! Que l’on en use ou non, la possibilité de bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir lorsque des conditions strictes sont réunies constituerait une liberté en soi, qui suffirait souvent à apaiser certains malades et ne s’imposerait à personne.
Les opinions sur ce sujet ne reproduisent pas les clivages que l’on retrouve habituellement dans notre assemblée, car elles se forment sur des convictions intimes, qui peuvent être religieuses, philosophiques ou qui rappellent parfois le vécu de ceux qui ont accompagné une personne souffrante en fin de vie.
Je ne vous étonnerai donc pas en exprimant le regret de ce que je perçois comme un décalage avec la volonté de l’opinion publique. J’espérais que cette proposition de loi permettrait aux personnes qui le souhaitent de bénéficier d’une aide pour mourir, qui aurait été réalisée par un acte délibéré. C’est le sens de l’amendement que j’ai déposé avec un certain nombre de mes collègues à l’article 3.
Le droit à une assistance active pour mourir n’est pas un choix entre la vie et la mort ; c’est un choix entre deux façons de mourir. J’ai osé un temps espérer une loi qui irait plus loin, avec des avancées plus franches. Mais je sais aussi que les véritables changements se font souvent par petits pas. Finalement, cette proposition de loi prend le bon chemin. C’est ce que j’ai compris de votre intervention à l’Assemblée nationale, madame la ministre, lorsque vous avez déclaré que le débat restera ouvert et qu’une étape supplémentaire pourra à l’avenir paraître nécessaire au Parlement. Je l’espère bien. Mais quand ? Et avec quelle majorité ?
Plusieurs dispositions du texte présentent à mes yeux de véritables avancées, qui doivent être reconnues.
L’article 3 de la proposition de loi prévoit la mise en œuvre d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès, afin d’éviter toute souffrance et de ne pas prolonger inutilement la vie. Cette sédation est associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie.
La sédation terminale est une assistance médicalisée pour mourir que je qualifierais de « passive ». Nous savons qu’elle est en réalité déjà bien souvent pratiquée. L’inscrire dans la loi permettra non seulement de clarifier le droit, mais aussi d’uniformiser les pratiques sur le territoire. Cela protège donc tant les médecins qui pratiquent cette sédation, que les patients dans leur droit à y avoir accès.
L’opposabilité des directives anticipées est prévue par l’article 8. Là aussi, il s’agit d’une avancée non négligeable. À mesure que l’on élargira ce qui pourra être inscrit dans les directives anticipées, le sens de cette disposition grandira. Donner un caractère contraignant aux directives anticipées, c’est reconnaître l’autonomie de la volonté des malades, ce qui est une très bonne chose.
L’article 9 crée, quant à lui, un réel statut de la personne de confiance. Il la reconnaît comme véritable interlocuteur dont le « témoignage prévaut sur tout autre » et lui donne sa place dans tout dispositif d’hospitalisation, ou lorsque la personne serait hors d’état d’exprimer sa volonté. C’est une avancée considérable. Cet article me semble essentiel tant on voit à quel point ces situations difficiles peuvent déchirer les familles. La désignation d’une seule personne de confiance qui sera l’unique personne référente et d’un éventuel suppléant choisis par la personne malade est une disposition de nature à préserver la liberté et les choix du malade. Je ne peux donc que l’approuver.
Enfin, je souhaite insister sur un dernier point, dont nous aurons à débattre cet après-midi : la question de l’hydratation artificielle qui avait déjà fait débat en première lecture et sur laquelle nous avons trouvé un point d’accord. Cette hydratation doit-elle être considérée comme un traitement qui peut donc être interrompu au même titre que l’alimentation artificielle ou comme un soin ? La commission des affaires sociales a estimé que, au regard de la souffrance que peut entraîner la déshydratation, celle-ci constitue un soin qui peut être – j’insiste sur cette nuance – maintenu jusqu’au décès. Cette rédaction me semble adaptée.