Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 24 mars 2009 à 21h45
Simplification et clarification du droit — Article 15

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

Cet article vise à permettre aux entreprises d'émettre des bulletins de paie dématérialisés en lieu et place des bulletins établis sur support papier.

Il prévoit deux garanties : que le bulletin de paie ne puisse être électronique qu'avec l'accord du salarié et que le format des fichiers utilisés soit non modifiable afin de garantir l'intangibilité des données y figurant. L'économie annoncée pour les employeurs – et c’est certainement là le but de la manœuvre – serait de 145 millions d'euros chaque année.

Sur le plan juridique, la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique autorise déjà la dématérialisation de l'écrit, en accord avec les textes européens. La proposition de loi n'apporte donc aucune innovation à cet égard.

Sur le plan social, cette proposition n'a fait l'objet d'aucune concertation, alors qu'elle concerne potentiellement quinze millions de salariés. Cependant, le salariat se caractérisant par le lien de subordination, les salariés pourraient être fortement incités à accepter la dématérialisation de leurs bulletins de paie, et ce même s'ils n'ont les moyens ni de les consulter ni de les imprimer chez eux.

Le problème concret est celui de la conservation par le salarié de ses bulletins de paie, qui doit être d'une durée illimitée.

La rapide obsolescence des technologies informatiques, et donc de l'archivage électronique, devrait conduire à mettre à la disposition des salariés de véritables « coffres-forts électroniques » susceptibles de garantir la pérennité des documents électroniques et leur lisibilité future.

À l'heure actuelle, les services de conservation des documents électroniques n'ont fait l'objet d'aucune initiative gouvernementale. Les exigences fixées par les articles 1316-1 et 1316-4 du code civil pour qu'un écrit électronique ait la même valeur juridique qu'un écrit papier sont la possibilité d'identifier l'émetteur du document – en l'espèce l'employeur sur une longue durée, y compris après l'éventuelle disparition de l'entreprise –, ainsi que l’établissement et la conservation dans des conditions de nature à garantir l'intégrité du document.

Le rapporteur de la proposition de loi à l'Assemblée nationale a ainsi pu écrire ceci : « Les incertitudes techniques » – il le reconnaît – « relatives au fonctionnement du coffre-fort électronique sont réelles, mais relèvent du pouvoir réglementaire. Il faudra donc être vigilant sur la rédaction et la mise en œuvre du décret ».

Cela fait beaucoup d’incertitudes pour voter un texte consacré à la simplification et à la clarification ! Je ne suis pas certain que nous prenions le chemin de ces dernières !

L'autre solution envisageable est de laisser à la discrétion du salarié le choix d'imprimer lui-même ses bulletins de paie pour les archiver.

Cette hypothèse suscite deux observations : tout d’abord, la mesure n'est qu'un simple transfert de charge de l'employeur vers le salarié, puisqu’on laisse à ce dernier le soin d’imprimer lui-même son bulletin de paie ; ensuite, le bulletin ainsi imprimé ne sera qu'une simple copie de l'écrit électronique original, aujourd'hui sans force probatoire. En effet, je le souligne, monsieur le secrétaire d'État, l'administration fiscale précise qu'elle n'accorde aucune valeur à une facture papier qui ne serait qu'une simple impression d'une facture électronique.

La mesure proposée comporte donc, particulièrement au stade actuel du développement de l'électronique, de nombreuses incertitudes, génératrices de contentieux, notamment sur la réalité de l'accord du salarié et les modalités de son expression, sur la valeur probante des documents, sur la pérennité et la lisibilité dans le temps des bulletins de paie informatiques.

Aucune étude d'impact n'a été réalisée. L'article, en l'état actuel, apparaît comme une simple commodité offerte aux employeurs et à leurs sous-traitants des relations humaines, sans aucune garantie d'application correcte.

Par conséquent, il serait fort judicieux de supprimer cette disposition de la proposition de loi et de l’examiner de plus près.

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