Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes tous attentifs à conclure ce débat dans un délai raisonnable ; je ne saurais donc le prolonger abusivement. Simplement, une fois nos arguments échangés, notre convergence sur le rattrapage de la malfaçon législative et sur les conséquences généralement souhaitables de l’application stricte de la loi pénale établie, nous avons quelques conclusions plus larges à en tirer.
Plusieurs intervenants sont revenus sur les méthodes de préparation de nos textes législatifs. Bien sûr, la question du temps qui peut y être consacré et du dialogue entre les Chambres revient.
Je voudrais en introduire une autre, une petite campagne personnelle que je développe dans cette maison, généralement dans les salles de travail, mais que j’ai l’occasion d’évoquer à la tribune. Puisque nous écrivons la loi, si nous travaillions sur un document comparatif entre le texte initial et le texte que nous allons adopter, ce qui me semble être un élément fondamental dans la préparation de tout texte législatif, les erreurs telles que celle que nous nous apprêtons à réparer auraient beaucoup moins de risques de se produire. Or nous n’utilisons jamais les comparatifs en séance, ni même en commission. Je continue donc à enfoncer le clou, en espérant que cela soit un jour suivi d’effet…
Permettez-moi d’élargir quelque peu le questionnement. Nous sommes sous l’empire de l’article 4 de la Constitution indiquant que les partis politiques « se forment et exercent leur activité librement ». L’article 72 de la Constitution précise bien que la libre administration des collectivités territoriales s’exerce dans les conditions prévues par la loi, mais une telle mention ne figure pas à l’article 4. Nous avons donc une incertitude.
Depuis 1958, la tradition républicaine veut qu’on ne légifère pas sur les partis politiques.
En outre, jusqu’à une époque récente, de mauvaises raisons étaient avancées pour ne pas légiférer. L’État de droit interne de nos formations politiques qui existait en général – c’est, me semble-t-il, assez œcuménique – nous dissuadait en quelque sorte d’ouvrir la boîte de Pandore. Une partie importante de ces mauvaises raisons a disparu. Ceux qui ont une certaine ancienneté dans la vie politique peuvent comparer la situation prévalant voilà quarante ans avec la situation actuelle : elle est favorable. Il n’empêche que nous avons ce sentiment, plus ou moins partagé, d’être dans l’impossibilité de légiférer sur les partis politiques.
De plus, nous nous trouvons aujourd'hui face à une belle contradiction dans la mesure où la loi du 11 mars 1988, dans ses multiples versions – elle a été modifiée à cinq reprises ! –, énonce des dispositions très détaillées, en principe uniquement pour des motifs de transparence financière, mais, en réalité, pour encadrer de façon très stricte la vie interne de nos formations politiques, alors même que les principes de base relatifs à l’organisation du parti échappent, quant à eux, à tout texte et sont toujours dans des limbes juridiques.
Cette situation a créé des angles morts, dont celui qui se trouve au centre de notre débat : il est interdit à toute personne physique de verser deux fois 7 500 euros à un parti politique. Toutefois, rien dans la loi, ni d’ailleurs dans le décret en Conseil d’État qui en est l’application, ne conduit aujourd'hui un parti politique à déclarer à une autorité centrale, qui serait évidemment la Commission nationale des comptes de campagne et de financements politiques, le montant des dons reçus des personnes physiques, alors même qu’un reçu est délivré à ces dernières, si bien que la probabilité de constater effectivement l’infraction du double ou du quintuple versement est quasi nulle.
Je suis tombé, par les hasards de la vie politique, sur une autre disposition qui n’est pas sans poser de problème.
Lorsque des candidats libres non présentés par un parti politique s’ajoutent à ceux qui ont déclaré s’y rattacher pour respecter l’application de la loi sur le financement des partis politiques, ils peuvent parfaitement – j’en parle savamment, car le parti socialiste a connu cette situation en 2012 – déséquilibrer la répartition entre les hommes et les femmes, puisque celle-ci se fonde non pas sur les candidats présentés statutairement par le parti, mais sur ceux ayant déclaré se rattacher audit parti ou à son association de financement pour ce qui concerne la collecte des fonds liés aux résultats des suffrages obtenus au premier tour.
Il est impossible à un parti politique – personne n’a la qualité légale pour le faire – de refuser le rattachement de M. Dupond au motif qu’il déséquilibrerait la répartition paritaire. Or, en l’occurrence, notre parti a subi une pénalisation financière, alors que nos dispositions statutaires internes permettent de respecter la loi.
J’ajoute que, dans ce flou juridique, intervient aussi la justice civile, qui est saisie par le plaignant, par celui qui a des raisons de chercher des histoires, lorsque de petits litiges, plus ou moins sympathiques, si je puis dire, s’élèvent à l’intérieur de nos partis. La justice civile se retrouve à régir le droit interne de nos partis, considérés comme des associations de droit ou de fait, et est donc conduite à énoncer des formes de jurisprudence dont nous devons tenir compte.
Il me semble que cet incident législatif regrettable, mais heureusement limité – nous allons le régler ! – doit nous inciter à poursuivre une réflexion partagée entre les représentants des différents partis politiques. C’est d’ailleurs ainsi que cela se passe dans tous les pays civilisés.
J’ai été indirectement témoin de la manière dont les partis politiques européens se sont entendus pour proposer aux institutions européennes une législation adéquate sur les partis politiques de l’Union européenne. À mon avis, il n’est pas trop tard pour que nous commencions à nous parler. Ayons des échanges pragmatiques sur ces sujets et essayons de nous accorder sur les règles de base qui devraient régir les formations politiques en démocratie !
Parfois, à quelque chose malheur est bon. L’erreur que nous réparons ici nous permettra peut-être de réfléchir de manière plus approfondie à notre propre situation.