Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, après avoir longtemps affecté le détroit de Malacca, la mer de Chine et le golfe de Guinée ou la mer des Caraïbes, la piraterie connaît depuis maintenant deux ans un développement sans précédent dans le golfe d’Aden et dans l’océan Indien.
Ce phénomène est extrêmement préoccupant. Il constitue une menace pour la sécurité des individus comme pour les intérêts du commerce mondial.
En effet, les pirates interviennent de plus en plus loin de leurs bases, jusqu’au large des Seychelles. Ils sont de plus en plus déterminés dans leurs attaques, n’hésitant pas à recourir à la force, à faire usage des armes et à s’attaquer à des bâtiments de combat. Ils s’en prennent à des cibles variées, tels des thoniers ou des voiliers de croisière, mais aussi de plus en plus imposantes, comme des superpétroliers.
Face à cette situation, nous apportons une réponse militaire et diplomatique.
Nous le faisons à l’échelon national, en bilatéral.
Nous le faisons aussi au niveau international, dans le cadre de l’opération Atalante, qui fait de l’Union européenne le pivot de la lutte internationale contre la piraterie dans l’océan Indien et qui est le fruit d’une initiative franco-espagnole.
Nous intervenons enfin auprès des États riverains de l’océan Indien pour accélérer le traitement judiciaire et pénitentiaire des pirates appréhendés. C’est en particulier le cas avec les autorités kenyanes, puntlandaises et seychelloises.
Ces efforts portent leurs fruits : près de 800 arrestations en deux ans par les forces anti-pirates, dont plus de 140 présumés pirates appréhendés par les moyens français. Ce week-end encore, les bâtiments français Tonnerre et La Fayette ont procédé à vingt nouvelles captures, pour lesquelles lesmodalités de transfert sont actuellement à l’étude.
Au-delà de cette réponse militaire, pour que notre action reste la plus efficace possible, nous devions adapter notre droit interne. C’est l’objectif du projet de loi qui vous est soumis aujourd’hui.
Le texte inscrit la lutte contre la piraterie au sein du dispositif de l’action de l’État en mer, en l’intégrant à la loi du 15 juillet 1994 relative aux modalités de l’exercice par l’État de ses pouvoirs de police en mer. Je rappelle que cette loi avait déjà été modifiée à plusieurs reprises, notamment afin d’intégrer des dispositions spécifiques à la lutte contre le trafic de stupéfiants en haute mer et à la lutte contre l’immigration illégale.
Le projet de loi prévoit d’accorder au commandant du navire d’État français les pouvoirs d’un officier de police judiciaire, à savoir : exécuter ou faire exécuter, sous l’autorité d’un délégué du Gouvernement, les mesures de contrôle et de coercition prévues par la loi, s’il a de sérieuses raisons de soupçonner que des infractions ont été commises, se commettent ou se préparent à être commises ; constater les infractions commises ; en rechercher les auteurs et le cas échéant les appréhender ; faire procéder à la saisie des objets et documents liés à l’infraction ; ordonner le déroutement du navire vers une position ou un port approprié ; procéder à des constatations approfondies ; remettre à une autorité judiciaire compétente les personnes, objets et documents appréhendés.
Le texte prévoit également qu’à défaut de pouvoir être jugés par un État tiers les auteurs et complices puissent être jugés par les juridictions françaises.
En métropole, le tribunal compétent est le tribunal de grande instance situé au siège de la préfecture maritime ou le tribunal de grande instance du port vers lequel le navire a été dérouté.
Dans les départements, collectivités et territoires d’outre-mer, le tribunal compétent est la juridiction de première instance en matière correctionnelle située au siège du délégué du Gouvernement pour l’action de l’État en mer ou du port vers lequel le navire a été dérouté.
Le texte vise aussi à conforter la validité de nos procédures juridiques, conformément à l’arrêt Medvedyev de la Cour européenne des droits de l’homme.
Il intègre au code de la défense les dispositions permettant un processus de mise en œuvre juridiquement sécurisé des mesures privatives ou restrictives de liberté liées à la prévention et à la répression de la piraterie.
Je pense à l’obligation pour le commandant du navire d’État d’informer le procureur de la République dans les meilleurs délais de la mise en œuvre de mesures de coercition à l’égard d’un suspect.
Je pense aussi à l’application sur le navire d’un régime extrêmement proche de celui de la garde à vue, avec notification des droits et examen médical ou examen de santé du suspect par une personne qualifiée dans un délai de vingt-quatre heures.
Je pense enfin à l’obligation pour le procureur de la République de saisir le juge des libertés et de la détention dans les quarante-huit heures qui suivent la mise en œuvre des mesures de coercition. Le texte dispose que le juge des libertés et de la détention statue sur la poursuite des mesures pour une durée de cinq jours et que sa décision, renouvelable, n’est pas susceptible d’appel.
Permettez-moi de remercier chaleureusement, pour son investissement et sa coopération avec le ministère de la défense, le rapporteur du projet de loi au Sénat, mon ami André Dulait.