Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, alors que la piraterie semblait avoir disparu des mers et des océans depuis le XIXe siècle, ce phénomène a connu une forte résurgence ces dernières années.
Ainsi, selon le Bureau maritime international, plus de 4 000 actes de piraterie ont été recensés au cours des vingt dernières années et le nombre d’attaques est en forte augmentation.
En 2009, 159 navires ont subi des actes de piraterie et 49 ont été capturés par des pirates.
Au total, 1 052 marins ont été pris en otage, 8 ont été tués et 68 ont été blessés au cours de ces attaques.
Plus de la moitié de ces actes de piraterie ont été commis dans le golfe d’Aden et au large des côtes somaliennes, où passent près de 25 000 navires par an et qui constitue une région stratégique, au carrefour de l’Europe, de l’Asie et du Moyen-Orient.
La piraterie constitue aujourd’hui une menace sérieuse à l’encontre de la liberté de navigation et de la sécurité des approvisionnements, alors que le transport de marchandises au niveau mondial s’effectue à 90 % par voie maritime.
La France n’a pas été épargnée par la piraterie, comme en témoignent les attaques au large de la Somalie contre plusieurs voiliers français, à l’image du Ponant, du Carré d’As ou du Tanit, ou encore contre nos pêcheurs de thon et même contre plusieurs navires de notre marine nationale.
Depuis l’abolition de la « guerre de course » par la déclaration de Paris, signée en 1856, la France a toujours joué un rôle majeur dans la lutte contre la piraterie.
Face à l’ampleur de la piraterie au large des côtes somaliennes et dans le golfe d’Aden, notre pays a ainsi été à l’initiative de l’adoption, par le Conseil de sécurité des Nations unies, de plusieurs résolutions sur ce sujet.
La France a également été à l’initiative du lancement par l’Union européenne, en décembre 2008, de sa première opération navale, « Atalanta », de lutte contre la piraterie.
Or, si la France joue un rôle moteur au niveau international sur ce sujet, il n’existe pas, actuellement, en droit français, de cadre juridique spécifiquement consacré à la répression de la piraterie.
Cette lacune peut constituer une entrave à une lutte efficace contre la piraterie, alors que plusieurs bâtiments de la marine nationale participent à l’opération Atalanta.
Le présent projet de loi vise donc à doter la France d’un cadre juridique et de moyens efficaces pour lutter contre ce fléau.
Il comporte trois volets principaux.
Le projet de loi vise tout d’abord à introduire en droit français un cadre juridique pour la répression de la piraterie.
Rappelons que la France disposait d’une loi sur la piraterie datant de 1825, mais que celle-ci a été abrogée en 2007.
Le texte détermine les infractions pénales constitutives d’actes de piraterie, les modalités de recherche et de constatation de ces infractions, ainsi que les agents habilités à y procéder.
Ces dispositions s’appliqueront aux actes de piraterie commis en haute mer et dans les espaces maritimes ne relevant de la juridiction d’aucun État.
Ces deux premiers critères sont repris de la convention des Nations unies sur le droit de la mer dite de Montego Bay.
Au-delà des zones visées par la convention de Montego Bay, le projet de loi prévoit que ces dispositions seront également applicables dans les eaux territoriales d’un État à condition que le droit international l’autorise.
Cet ajout vise à prendre en compte la situation particulière de certains États « fragiles », qui ne sont plus en mesure d’assurer le contrôle de leurs eaux territoriales, à l’image de la Somalie.
Ainsi, dans le cas de la Somalie, la résolution 1816 du Conseil de sécurité des Nations unies, du 2 juin 2008, a autorisé les États qui coopèrent avec le gouvernement fédéral de transition à « entrer dans les eaux territoriales de la Somalie afin de réprimer les actes de piraterie et les vols à main armée en mer ».
Le projet de loi vise ensuite à introduire dans notre droit une compétence quasi universelle des juridictions françaises pour juger d’actes de piraterie commis hors du territoire national.
Rappelons que la piraterie est l’une des rares infractions internationales à déroger à la loi du pavillon et à se voir appliquer une compétence universelle, d’après la convention de Montego Bay.
Toutefois, d’après le projet de loi, deux conditions doivent être réunies pour permettre la compétence des juridictions françaises.
La première est que les auteurs doivent avoir été appréhendés par des agents français. Ensuite, les juridictions françaises ne sont compétentes qu’à défaut d’entente avec les autorités d’un autre État pour l’exercice par celui-ci de sa compétence juridictionnelle.
La seconde condition vise à prendre en compte le cas des accords conclus par l’Union européenne avec certains pays tiers comme le Kenya ou les Seychelles, qui ont accepté jusqu’à présent le transfert sur leur territoire des suspects afin qu’ils soient jugés par leurs juridictions.
Elle pourrait également trouver à s’appliquer si un autre État s’estime mieux placé pour juger d’une affaire, notamment si le navire attaqué ou ses victimes sont de sa nationalité.
Ainsi, le projet de loi vise à reconnaître aux juridictions françaises une « compétence quasi universelle » en matière de lutte contre la piraterie, dont la mise en œuvre est toutefois encadrée par certaines conditions.
Enfin, le projet de loi vise à mettre en place un régime sui generis pour la consignation à bord des personnes appréhendées dans le cadre des actions de l’État en mer.
Il s’agit ainsi de répondre aux griefs formulés à l’encontre de la France par la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt dit Medvedyev du 29 mars 2010.
Dans cet arrêt, la Cour de Strasbourg a constaté une violation par la France de la convention européenne des droits de l’homme, à l’occasion d’une opération d’interception d’un navire suspecté de se livrer au trafic de produits stupéfiants.
En l’espèce, il a été reproché à la France de ne pas disposer, à cette époque, d’un cadre légal suffisant organisant les conditions de privation de liberté à bord d’un navire.
La procédure proposée par le projet de loi serait donc la suivante.
Dès que le commandant met en œuvre des mesures restrictives ou privatives de liberté à bord d’un navire, le préfet maritime doit en informer sans délai le procureur de la République.
Le procureur de la République doit, dans les quarante-huit heures qui suivent, saisir le juge des libertés et de la détention, qui est, rappelons-le, un magistrat du siège.
Le juge des libertés et de la détention statue sur la poursuite de ces mesures pour une durée maximale de cinq jours, renouvelable dans les mêmes conditions.
Que faut-il penser de ce régime ?
Si ce régime s’inspire sur certains aspects de celui qui est prévu pour la garde à vue, il est fondamentalement différent dans la mesure où il s’agit d’une phase qui précède l’enquête judiciaire. On pourrait la comparer au flagrant délit où la personne est arrêtée et transportée dans la voiture de police jusqu’au tribunal.