Lorsqu’on a été formé à la fiscalité des collectivités locales et que l’on s’adonne à la pratique depuis un demi-siècle, la réforme de la DGF constitue un challenge de choix. Je dois donc reconnaître, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, que votre initiative pouvait me séduire, a priori. J’avoue y avoir cédé dans un premier temps, avant qu’un examen attentif ne m’en détournât.
Aussi me bornerai-je à l’exercice proposé, sans trop rentrer dans la technique – cela exigerait des développements exhaustifs, que le temps imparti nous interdit –, mais en me concentrant plutôt sur les corrections à apporter au niveau de la méthode et sur le cheminement à conduire pour que nous arrivions ensemble à bonnes fins.
Chacun l’admet aujourd’hui, la DGF doit être réformée. Elle est devenue illisible et souvent injuste à force de sédimentation. Elle est devenue insoutenable : le système a atteint ses limites !
L’importance de la dette et la nécessité de rendre de la compétitivité à notre économie ont d’abord – durant la dernière décennie – freiné la DGF jusqu’à la geler. Aujourd'hui, la dotation est mise à contribution, avec, pour seules variables d’ajustement, le contribuable, autrement dit les ménages, et l’investissement.
Dans le même mouvement, la mondialisation et la numérisation ont profondément modifié la géographie économique de notre pays, concentrant les ressources sur des territoires de plus en plus réduits et menaçant les équilibres qui sous-tendent l’aménagement de l’espace français.
Nous en avons tiré une partie des conséquences, sans toutefois rédiger une véritable feuille de route, ni en donner une projection lisible.
Aux exonérations de l’impôt mises à la charge de l’État, a succédé la réforme de la taxe professionnelle qui a réduit le poids de l’impôt économique, mais également validé la substitution constitutionnelle sans équivoque de l’autonomie financière à l’autonomie fiscale des temps heureux.
La péréquation horizontale a été mise en place pour tenter de ramener chacun à une philosophie du partage mieux comprise.
Si besoin était, la loi organique de 2012 a transposé le contenu du traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, en posant les principes et les instruments d’un pilotage de la trajectoire, rappelant que les enjeux ne se limitaient pas au secteur « État » et ne s’arrêtaient pas non plus aux frontières nationales.
Dans des lois dites « territoriales », aux sigles aussi variés que MAPTAM ou NOTRe, ont été proposées une nouvelle organisation spatiale et la prise en compte d’une asymétrie, également nouvelle, qui bouscule un centralisme séculaire. Je veux parler de la reconnaissance des métropoles, qui s’affirment comme les nouveaux acteurs du XXIe siècle, venant bouleverser compétences, géographie et fiscalité.
De tels mouvements imposent, exigent leur traduction en termes de fiscalité locale, et cette réforme ne peut se limiter à la proposition que vous nous faites, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, ni dans sa construction ni dans sa formulation !
Votre réforme n’est pas à la hauteur de l’attente des collectivités. Elle ne correspond pas non plus aux enjeux d’une démocratie moderne. Elle se heurte à deux écueils : vouloir répondre à d’autres fins que son but initial et ne pas adopter un process et des outils susceptibles de lui conférer un caractère durable.
Elle s’inscrit, en effet, dans la logique d’atténuement temporaire de la contribution au redressement des finances publiques qui, si elle se justifie, n’en est pas moins d’une violence inouïe dans son quantum comme dans son calendrier – cela a été souligné – et exigeait certes un peu de cosmétique.
Dès lors, la copie souffre de ce péché originel : en tentant de satisfaire, l’espace d’un temps électoral, le plus grand nombre et les plus gros contribuables, elle s’éloigne de la recherche de l’équité, sacrifiant le gros des collectivités médianes sans distinction.
Ce jeu de bonneteau explique le fait que vous ayez livré les simulations au compte-goutte, et le désarroi de votre propre majorité, qui a tenté vainement de modifier la réforme à l’Assemblée nationale.
Tout cela n’est pas conforme à la dimension du sujet qui nous préoccupe !
La réforme de la DGF exige que nous posions le principe de la refonte complète du financement par dotations des collectivités locales, en embrassant non seulement la DGF, mais aussi les dispositifs de péréquation verticale et horizontale. Il faut surtout veiller à ce que chacun ait une vision à terme et une lisibilité complète du système adopté et, plus encore, y adhère.
La réforme nouvelle doit reposer sur une vision partagée de l’adéquation des ressources aux charges pesant sur les collectivités, dans leur diversité reconnue, et cela au plus près des réalités locales, en s’éloignant de canevas historiques souvent dépassés.
La péréquation doit figurer au rang de ces enjeux nouveaux. Sa nature, mais aussi ses mécanismes doivent faire partie du consensus, tout comme la durée de mise en place du processus de convergence.
Le lissage ne doit pas s’inscrire dans une nébuleuse, comme vous le proposez, et le « spontané » doit faire place à des objectifs identifiés et partagés.
Seconde faiblesse, cette réforme n’est pas à la hauteur d’une démocratie moderne.
Il aura fallu la double insistance du président du Sénat pour que, tout d’abord, vous nous transmettiez un premier jet, limité aux simulations pour 2016, puis que l’on assiste à l’« atterrissage » de la réforme en cours, qui ressemble d’ailleurs plus à un « touch and go ».
À cette heure, les chiffres du Grand Paris ne sont toujours pas calés, et nous peinons encore à décrypter les effets de cette « réforme à mèche lente ». Je n’évoquerai pas le caractère superficiel, voire anecdotique, du rapport sur le FPIC qui vient de nous être remis.
Dès lors, vous rangeant au fait que la nouvelle carte de l’intercommunalité rendait incohérente toute simulation de la dotation territoriale de centralité, vous avez bien voulu admettre un report à 2017 de l’application de cette réforme.
Nous pouvons, nous semble-t-il, mettre à profit les mois à venir pour travailler ensemble l’architecture d’une réforme globale des ressources des collectivités locales. Celle-ci ferait l’objet d’une loi spécifique, qui concernerait les dotations d’État, bien sûr, mais aussi les mécanismes d’ajustement des charges et des ressources, et la nécessaire rénovation de la péréquation, cela de manière corrélée à l’ensemble des ressources des collectivités.
C’est le sens de notre proposition de réécriture de l’article 58 du projet de loi de finances pour 2016.
Nous devons fixer le calendrier et les modalités de ce travail au plus tôt, pour l’articuler avec l’exercice de modification et de finalisation de votre propre texte. Le Sénat, qui a toute légitimité pour intervenir sur la question, y est prêt.
Enfin, il serait dommage de ne pas profiter de cette réforme historique pour mettre en place les outils et mécanismes d’une nouvelle gouvernance des finances publiques.
Nous ne pouvons poursuivre nos travaux mutuels dans le cadre actuel, qui laisse apparaître une approximation navrante, ainsi qu’une absence de partage d’objectifs et de confiance dans l’information échangée.
Le Parlement doit pouvoir disposer des bases et effets en simultané. Notre pays accuse, à cet égard, un retard considérable.
Nous devons sortir du manichéisme entretenu entre gouvernement et collectivités, pour rechercher, dans le cadre d’une responsabilité partagée, l’équilibre des comptes publics et relever les défis en termes de compétitivité de notre siècle.
Dans ces conditions, pour peu que nous ayons la volonté de travailler ensemble, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, la République, en particulier le Sénat, dont c’est le cœur de métier, apportera les réponses attendues par nos concitoyens et les territoires.