Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il y a deux ans, l’activité de pirates au large de la Somalie avait fait irruption dans notre paysage médiatique et avait suscité une certaine émotion dans l’opinion publique.
La capture du Ponant, un navire de croisière qui avait à son bord trente hommes d’équipage, dont une vingtaine de nos compatriotes, avait fait de la piraterie dans cette région un enjeu national. Ensuite, les attaques d’autres navires de plaisance ou de commerce ont alimenté l’actualité au fil des mois.
Ce phénomène n’est pas récent et il ne faut pas le sous-estimer.
Alors qu’elle était marginale en 2006, la croissance des actes de piraterie est devenue extrêmement rapide en 2007, ce qui avait, par exemple, conduit le Programme alimentaire mondial à lancer un appel international pour la protection de ses navires convoyant l’aide humanitaire indispensable à la survie de près de deux millions de Somaliens.
Certes, comme l’a récemment indiqué le Bureau maritime international, le nombre d’actes de piraterie maritime a baissé dans le monde au cours du premier semestre de l’année 2010, mais le risque d’attaques lancées par des pirates somaliens reste élevé.
Cet état de fait a motivé notre participation à l’opération navale militaire de l’Union européenne « Atalante » lancée en décembre 2008, sur notre initiative, dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense.
Menée avec plus d’une vingtaine de bâtiments, des avions et 1 800 militaires de neuf pays, cette opération vise à dissuader les pirates, à protéger les navires et, le cas échéant, à réprimer.
Je rappelle en effet que, entre 2008 et 2009, 315 pirates ont été retenus ou appréhendés et que plus de la moitié des actes de piraterie ont eu pour théâtre le golfe d’Aden et le large des côtes somaliennes, avec 47 navires détournés et 867 membres d’équipages pris en otage.
À la fin du mois d’avril, les pirates somaliens détenaient encore 23 navires et 384 marins, en attente d’une rançon.
Dans cette zone géographique où transitent près de 25 000 navires par an et 20 % du commerce mondial, outre les atteintes à la sécurité des personnes difficilement tolérables, ces actes font donc peser une très sérieuse menace sur la liberté de navigation et la sécurité de nos approvisionnements.
Tous ces éléments expliquent et légitiment ainsi la nécessité et l’urgence de ce projet de loi, qui définit un cadre juridique spécifique pour lutter contre la piraterie et qui adapte notre législation pénale aux stipulations des conventions internationales en la matière.
Cependant, avant d’examiner si ce texte permet de répondre efficacement à l’objectif qui lui est assigné, je voudrais souligner qu’il sera insuffisant à lui seul pour résoudre cette question dans la région.
En effet, les problèmes de fond que pose la piraterie ne se régleront ni seulement en mer, ni uniquement de cette façon. C’est principalement à terre qu’il faut chercher des solutions.
La population somalienne souffre d’un tel dénuement que tout lui est bon pour obtenir de l’argent, même s’il lui faut pour cela prendre de gros risques, allant même par inconscience jusqu’à s’attaquer tout récemment à des bâtiments de la marine nationale.
Le développement de la piraterie au large de la Somalie a pour cause principale, nous le savons, la situation de ce pays qui n’a plus d’État et dont les habitants sont les victimes d’une extrême misère.
Ce pays est ravagé depuis dix-huit ans par une guerre civile. La moitié de ses habitants dépendent de l’aide humanitaire. En Somalie, un pêcheur gagne un dollar par jour pour nourrir sa famille.
Les attaques de navires sont donc nombreuses parce que ceux-ci, aux yeux de gens démunis de tout, ont longtemps semblé être une proie facile.
Le dernier rapport du groupe de contrôle sur la Somalie, remis le 10 mars dernier au Conseil de sécurité de l’ONU, souligne, par ailleurs, que ces pirates ne sont que le dernier maillon d’une chaîne sur laquelle prospèrent des groupes très organisés, aux mains de véritables hommes d’affaires qui, eux, ne prennent pas de risques et ne sont nullement inquiétés lorsque ces opérations échouent.
Nous sommes ici au cœur du problème.
À ce propos, je comprends, comme le prévoit le texte de la commission, la démarche qui consiste à adopter un régime de compétence quasi universelle afin de privilégier le traitement judiciaire des actes de piraterie par deux pays de la région, le Kenya et les Seychelles.
Mais soyons lucides. L’efficacité de cette option est très limitée, car du fait d’institutions judiciaires locales inadaptées et largement corrompues, ce sont les lampistes qui sont condamnés quand les commanditaires de ces opérations échappent à toute sanction.
Soyons aussi réalistes, cette façon de procéder agit uniquement sur les effets et non sur les causes.
Les pays de l’Union européenne, qui assurent le fonctionnement de ce système par le biais du programme anti-piraterie de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, risquent d’ailleurs d’être bientôt de nouveau seuls pour affronter cette question, puisque le Kenya a récusé les accords qu’il avait signés dans ce domaine en raison de prisons surpeuplées et de tribunaux débordés.
Pour éviter une telle situation, l’Union européenne a proposé lundi dernier un renforcement de son soutien au Kenya et aux Seychelles afin que ces États puissent continuer à juger et à emprisonner les pirates somaliens.
Également conscient de la difficulté de cette question, le Conseil de sécurité de l’ONU a, pour sa part, adopté à l’unanimité une résolution appelant l’ensemble des États à durcir leurs législations nationales et les pays riverains à s’impliquer davantage dans cette lutte.
Bien qu’il ne s’attaque pas aux causes de la piraterie – mais, après tout, tel n’est pas son objet, qui est plus limité –, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a le grand mérite de clarifier la situation et de combler un vide juridique. Pour cela, il détermine les infractions pénales constitutives d’actes de piraterie, les modalités de leur recherche et les agents habilités à poursuivre les auteurs d’infractions. Je ne m’attarderai pas sur ce volet, qui répond à la nécessité d’améliorer l’efficacité de la lutte contre les actes de piraterie commis en mer en renforçant les mesures de prévention et de répression dont dispose l’État.
Par ailleurs, afin de tenir compte de plusieurs condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme, ce texte vise aussi à « sécuriser » juridiquement les mesures de coercition prises à l’encontre de personnes appréhendées lors d’une opération de police de l’État en mer.
Sur ce point, je ne suis pas persuadée que le dispositif retenu nous mette totalement à l’abri d’autres contentieux, sur l’initiative d’associations ou de particuliers, qui entraîneraient de nouvelles condamnations par la Cour.
En effet, comme le souligne très justement le rapport de la commission, « le régime proposé par le projet de loi pour la consignation des personnes retenues à bord sera applicable à la fois aux actes de piraterie, mais aussi aux personnes appréhendées dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants par mer, en matière de lutte contre l’immigration illégale par voie maritime, ou pour toutes les autres actions de l’État en mer qui nécessiteraient une telle mesure de privation de liberté ». Ainsi, le fondement légal sur lequel doivent reposer des mesures privatives ou restrictives des libertés individuelles, en l’occurrence celle de pouvoir aller et venir librement sur un navire, restera certainement sujet à interprétation de la part de la Cour européenne des droits de l’homme tant que celle-ci estimera que le procureur français n’est pas une autorité judiciaire. Or, dans le dispositif proposé, c’est le juge des libertés et de la détention qui est saisi par le procureur de la République, quarante-huit heures après que celui-ci a été informé de la mise en œuvre de mesures de restriction ou de privation de liberté.
Surtout, je déplore qu’il nous soit proposé dans un texte portant sur la piraterie maritime de rendre applicables à l’immigration illégale les dispositions de rétention à bord. Je considère en effet que l’immigration illégale n’est en aucune façon comparable aux actes de piraterie ou au trafic de stupéfiants. Ce mélange des genres n’est pas acceptable.
Il se trouve que le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire a récemment annoncé la mise en place d’un dispositif de lutte contre le trafic des migrants par mer qui prévoit notamment la surveillance en Méditerranée et l’interception des navires dans ses eaux. Si je comprends la nécessité de renforcer la coopération internationale pour faire face à cette forme de délinquance, je crains que, ajouté au nouveau dispositif prévu par M. Besson, ce texte sur la répression de la piraterie maritime ne donne désormais une base légale à la possibilité de retenir sur des bâtiments de la marine nationale des immigrants dont les embarcations auraient été interceptées dans le cadre des pouvoirs de police de l’État en mer.
N’est-ce pas là une façon de résoudre, au-delà de nos eaux territoriales, un problème qui s’était posé l’an dernier, lorsque des Kurdes syriens avaient été débarqués par leurs passeurs sur une plage corse ? Immédiatement retenus dans des locaux inadaptés, hors de tout contrôle judiciaire, ils avaient dû être par la suite libérés les uns après les autres sur décision de justice. Plusieurs juges des libertés et de la détention avaient en effet estimé que les victimes de ce trafic pouvaient être autorisées à débarquer et, dans l’attente de leur admission sur le territoire ou de leur rapatriement, devaient être traitées avec dignité et mises en mesure d’être entendues et de faire valoir leurs droits – en l’occurrence, déposer une demande d’asile.
Je redoute donc que ce texte ne légalise indirectement la création sur des bâtiments de la marine nationale de centres de rétention administrative qui seraient soumis à un régime moins protecteur que celui qui existe actuellement.
Pour cet ensemble de raisons, et au-delà de la solution juridique, dont le seul et légitime objet est de protéger des personnes et des intérêts économiques, il est impératif, si l’on veut véritablement éradiquer ce fléau, d’agir aussi à d’autres niveaux.
Dans l’immédiat, c’est notamment dans le cadre de l’Union européenne, en particulier au travers de la politique européenne de sécurité et de défense, que des réponses adéquates peuvent être trouvées. L’opération militaire navale « Atalante », dont nous avons été les initiateurs, est une première étape.
L’engagement militaire de notre pays et l’amélioration de nos moyens juridiques ne sont pourtant qu’un élément de réponse. Il faut surtout trouver une solution politique à la crise dramatique que connaît la Somalie, crise qui a en outre un effet déstabilisateur sur toute la région.
À cette fin, nous devrions, avec nos partenaires européens, accentuer nos efforts pour soutenir l’Union africaine et le gouvernement fédéral somalien de transition.
Ce sont là des questions qui vont bien au-delà du projet de loi que vous nous présentez, monsieur le secrétaire d’État, et sur lesquelles le groupe CRC-SPG souhaiterait que le Gouvernement prenne des positions encore plus affirmées.
Compte tenu des réserves que j’ai émises sur la possible application de certaines dispositions de ce projet de loi à la lutte contre l’immigration illégale, notre groupe s’abstiendra sur ce texte.