Intervention de Catherine Tasca

Réunion du 18 novembre 2015 à 14h30
Autorités administratives indépendantes créées par la nouvelle-calédonie — Adoption d'une proposition de loi organique dans le texte de la commission modifié

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avec Jean-Pierre Sueur et l’ensemble des sénateurs du groupe socialiste et républicain, nous avons déposé la présente proposition de loi organique relative au statut des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie au lendemain de l’adoption par le Sénat du projet de loi organique relatif à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté.

À l’occasion de ce débat, j’avais déjà appelé l’attention de la Haute Assemblée sur la difficulté d’appliquer la principale disposition de la loi organique du 15 novembre 2013, dont j’avais été rapporteur, à savoir la possibilité de création par la Nouvelle-Calédonie d’autorités administratives indépendantes, des AAI, aux fins d’exercer des missions de régulation dans des domaines relevant de sa compétence.

L’un des objectifs de cette loi était de permettre la création d’une autorité de la concurrence chargée de veiller à la régulation économique et de sanctionner les pratiques anticoncurrentielles, afin de donner à la Nouvelle-Calédonie les moyens de lutter contre « la vie chère ».

Il faut rappeler ici la gravité des mouvements sociaux de février 2011 puis de mai 2013 provoqués par la vie chère, et le protocole d’accord finalement intervenu, sous l’égide de l’État, entre syndicats et patronat, le 27 mai 2013, organisant une baisse des prix des produits essentiels.

L’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie a été créée par une loi de pays adoptée unanimement par le congrès le 24 avril 2014. Cependant, elle n’a pu être mise en place, car, dans sa rédaction finale, la loi de 2013 rend incompatible la fonction de membre d’une AAI calédonienne avec tout autre emploi public. Or l’objectif était d’adosser l’AAI calédonienne à l’autorité de la concurrence en métropole afin de pouvoir nommer en tant que membre de l’autorité calédonienne des fonctionnaires experts non permanents de l’autorité métropolitaine. L’incompatibilité bloquait donc la mise en place de l’AAI calédonienne.

Le problème de la vie chère gardant toute son actualité, l’installation de l’autorité calédonienne reste une urgence. Nous avons pu, lors du déplacement effectué en Nouvelle-Calédonie en août 2014, Jean-Pierre Sueur, Sophie Joissains et moi-même, mesurer l’acuité de ce problème dans un contexte économique particulièrement difficile. Le congrès de la Nouvelle-Calédonie a d’ailleurs de nouveau autorisé, le 16 juin 2015, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie à prendre des mesures spécifiques de fixation des prix pour trois ans.

Tout juste deux ans après la loi du 15 novembre 2013, il a donc fallu se résoudre à remettre l’ouvrage sur le métier. Dans un premier temps, j’avais choisi de déposer un amendement au projet de loi relatif à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté tendant à permettre à un fonctionnaire n’exerçant pas en Nouvelle-Calédonie d’être membre d’une AAI calédonienne, et ce afin de remédier à la situation de blocage actuelle, tout en garantissant l’indépendance de la nouvelle institution.

Lors du débat, le 29 juin 2015, le rapporteur du texte, Philippe Bas, et la ministre, George Pau-Langevin, ont également exprimé leur volonté de remédier à cette situation de blocage dans les plus brefs délais, mais dans un véhicule législatif distinct. C’est l’objet de la présente proposition de loi organique.

Le congrès de la Nouvelle-Calédonie, saisi de ce texte par le président du Sénat, a rendu un avis favorable le 28 septembre dernier, tout en proposant d’assouplir l’incompatibilité en permettant à un fonctionnaire exerçant en Nouvelle-Calédonie, mais qui n’est pas placé sous l’autorité des institutions ou des communes de Nouvelle-Calédonie, d’être membre d’une AAI calédonienne. Cette formulation rejoint celle qu’a choisie le député Philippe Gomes, qui a déposé, le 17 septembre dernier, une proposition de loi organique en ce sens.

Selon moi, il est très important de permettre la mise en place d’autorités qui inspirent la confiance, et qui jouent un véritable rôle de régulateur et d’arbitre. C’est la raison pour laquelle j’ai plaidé pour que la fonction de président d’une AAI soit incompatible avec un emploi public exercé en Nouvelle-Calédonie.

Pourquoi poser tant de conditions ? C’est que la Nouvelle-Calédonie est un petit territoire où tout le monde connaît tout le monde. Particulièrement dans le domaine de la régulation économique, le rôle de l’autorité de la concurrence ne sera pas aisé. Aussi, il faut dès le départ lui donner toutes les chances d’affirmer à la fois son autorité et son indépendance, qui ne doit pas pouvoir être mise en doute.

Un compromis a été trouvé grâce à l’excellent travail de notre rapporteur, Mathieu Darnaud, en étroite collaboration avec nos collègues de l’Assemblée nationale, Philippe Gomes et René Dosière. Ainsi, la rédaction adoptée par la commission des lois distingue entre les fonctions de président, seul membre à plein temps, et les fonctions de membre d’une AAI calédonienne, le président ne pouvant exercer aucun autre emploi public en Nouvelle-Calédonie, tandis que les autres membres peuvent exercer parallèlement un emploi public, mais uniquement au sein de la fonction publique d’État.

Dans son avis, le congrès de Nouvelle-Calédonie a suggéré la mise en place d’un délai de carence pour empêcher que soit nommée une personne qui, au cours des trois années précédant sa désignation, aurait exercé des fonctions comprises dans le champ des incompatibilités s’appliquant aux membres d’une AAI. C’est ce que retient la rédaction qui vous est aujourd’hui proposée.

Sur ce point, j’y insiste, si la présente proposition de loi organique impose le délai de carence, je forme personnellement le souhait que la personne qui sera appelée à présider une AAI n’ait jamais exercé en Nouvelle-Calédonie, au moins pour le premier mandat. Nul doute que les modalités de nomination des membres des AAI calédoniennes par le congrès, en application de l’article 93–1 de la loi organique de 1999, c’est-à-dire selon la règle des trois cinquièmes positifs, ainsi que la sagesse des élus calédoniens permettront d’aboutir à la meilleure solution possible.

Je tiens ici à remercier tous ceux qui ont œuvré à la formation d’un consensus pour favoriser l’aboutissement rapide de ce texte, notamment le rapporteur, Mathieu Darnaud, qui a effectué un travail de qualité, mais aussi les députés Philippe Gomes et René Dosière, ainsi que, bien sûr, Mme la ministre George Pau-Langevin.

La commission des lois de l’Assemblée nationale a d’ailleurs adopté, ce matin même, un amendement à la proposition de loi organique de Philippe Gomes autorisant une convergence vers une rédaction identique à celle qui a été adoptée par notre commission des lois, sous réserve de quelques modifications rédactionnelles qui seront présentées par notre rapporteur au cours de ce débat. Il faut dire que la recherche d’un consensus a toujours été la règle au Parlement, spécialement dans cette assemblée, lorsqu’il s’agit de traiter des dossiers de la Nouvelle-Calédonie. Je pense que c’est une saine tradition.

S’il s’agit d’une petite modification législative, vous l’aurez compris, tout est fait pour aller vers une adoption conforme par les deux assemblées et permettre dans les meilleurs délais à la Nouvelle-Calédonie d’évoluer vers plus de justice sociale et de lutter efficacement contre la « vie chère », ce qui est attendu par les Calédoniens. Je forme le vœu que notre assemblée, au terme de ce débat, autorise le cheminement de ce texte.

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