Intervention de George Pau-Langevin

Réunion du 18 novembre 2015 à 14h30
Autorités administratives indépendantes créées par la nouvelle-calédonie — Adoption d'une proposition de loi organique dans le texte de la commission modifié

George Pau-Langevin :

Madame la présidente, madame la vice-présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons en première lecture la proposition de loi organique relative au statut des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie.

La modification de la loi organique du 19 mars 1999 permettra, je l’espère, à la Nouvelle-Calédonie de se doter d’un cadre juridique équilibré de nature à permettre l’installation d’autorités administratives indépendantes sur le territoire.

Au-delà du débat général, il s’agit en particulier, vous le savez, d’aider les autorités calédoniennes à mettre en place une autorité locale de la concurrence.

La Nouvelle-Calédonie détient en effet de larges compétences en matière de régulation économique. À ce titre, une réflexion a été engagée, depuis plusieurs années, sur la levée des obstacles à la libre concurrence car, comme dans d’autres territoires ultramarins, les prix des biens de consommation courante demeurent élevés.

Comme l’a rappelé Mme Catherine Tasca, des mouvements sociaux se sont élevés contre cet état de fait, qui s’explique par plusieurs raisons. Outre les difficultés touchant à l’insularité et à l’éloignement des circuits de distribution, il y a l’excessive concentration de l’économie calédonienne entre quelques mains. Ainsi, à Nouméa, 80 % de la distribution en grandes surfaces sont détenus par les mêmes acteurs. Ce constat est largement partagé au niveau local : dans certains secteurs, le nombre limité d’opérateurs révèle l’existence d’obstacles à la concurrence, lesquels maintiennent les prix à un niveau élevé.

En 2013, le législateur organique a par conséquent modifié la loi statutaire de 1999 pour donner la possibilité à la Nouvelle-Calédonie de créer des autorités administratives indépendantes.

Exploitant cette nouvelle possibilité, la Nouvelle-Calédonie a donc adopté la loi du pays du 24 avril 2014 créant une autorité de la concurrence.

Selon les termes de cette loi du pays, l’autorité nouvellement établie doit « veille[r] au libre jeu de la concurrence en Nouvelle-Calédonie et au fonctionnement concurrentiel des marchés en Nouvelle-Calédonie ».

Cette démarche est à saluer. Elle rejoint les préoccupations constantes de ce gouvernement dans la lutte contre la vie chère dans les outre-mer. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

Composée d’un président et de trois autres membres nommés pour une durée de cinq ans, cette autorité locale de la concurrence doit exercer en toute indépendance les prérogatives dévolues au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en la matière.

Des précautions ont été prises pour garantir l’impartialité des décisions arrêtées par cette autorité. Ainsi, une règle de déport a été introduite et un dispositif a été imaginé pour prévenir les conflits d’intérêts.

Toutefois, en dépit de ces avancées juridiques, l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie n’a toujours pas commencé ses travaux, alors que plusieurs années se sont écoulées.

En effet, pour la désignation des membres qui la composent, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie se heurte à l’excessive rigueur du régime des incompatibilités. Si la question du président de l’autorité de la concurrence ne pose pas de difficultés sérieuses dès lors que celui-ci exerce son office à temps plein, la question des autres membres du collège est plus délicate dans la mesure où ceux-ci n’exercent leurs fonctions qu’en parallèle de leur activité principale.

Dans la pratique, il est apparu difficile d’identifier des personnalités qualifiées dont l’activité principale ne tombe pas sous le coup des incompatibilités voulues par le législateur organique.

Le besoin s’est donc fait ressentir de pondérer quelque peu les garde-fous mis en place en 2013 en aidant le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie à pourvoir aux postes de cette nouvelle autorité de la concurrence.

Le constat relatif à ces points de blocages étant posé, nous avons donc cherché le vecteur législatif approprié. Certains d’entre vous avaient souhaité que nous utilisions la loi relative à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. Toutefois, nous avons préféré, lors de la discussion de ce texte, ne pas accepter d’amendements allant dans ce sens, car nous considérions – et nous l’avons redit dans les mêmes termes à l’Assemblée nationale – que ce véhicule législatif était spécifique et que, par conséquent, il ne fallait pas y insérer d’autres sujets de réflexion.

Nous sommes donc convenus qu’un texte dédié serait plus opportun pour lever la difficulté technique qui nous occupe aujourd’hui. Je m’y étais engagée, tout comme je m’étais engagée à ce que l’examen de ce texte puisse intervenir rapidement. L’activation de la procédure accélérée atteste aussi cette volonté d’aller vite puisque j’ai bon espoir que ce texte puisse être définitivement adopté et promulgué d’ici à la fin de l’année.

Depuis cet engagement pris en séance publique devant les deux assemblées, les parlementaires ont beaucoup travaillé. Ce ne sont pas moins de trois propositions de loi organique qui ont finalement émergé, l’une au Sénat – celle de Mme Tasca – et deux à l’Assemblée nationale – celles de M. Dosière et de M. Gomes. Nous ne pouvons que nous réjouir de ce volontarisme législatif !

Nous examinons ici même aujourd’hui la proposition de loi organique déposée le 30 juin 2015 par Mme Tasca. Comme vous l’avez signalé, un travail a été fait avec les députés afin de faire converger les points de vue et les propositions au Sénat et à l’Assemblée nationale. Cela devrait permettre, je l’espère, l’adoption assez rapide d’un texte de compromis entre les trois propositions de loi organique.

Sur le fond, le texte qui vous est présenté vise à modifier l’article 27–1 de la loi organique du 19 mars 1999. Il limite l’incompatibilité applicable aux membres d’une autorité administrative indépendante aux seuls emplois publics exercés sur le territoire. En d’autres termes, un fonctionnaire d’État – par exemple, un universitaire ou un magistrat – pourra exercer les fonctions de membre de l’autorité administrative indépendante.

La proposition de loi prévoit, en outre, la mise en place d’un délai de carence appelé à faire obstacle à la désignation d’une personnalité qualifiée « si au cours des trois années précédant sa nomination, [elle] a exercé un mandat électif ou un emploi public ou détenu des intérêts considérés comme incompatibles avec [s]es fonctions ». Cette mesure, également souhaitée par le congrès de la Nouvelle-Calédonie, doit permettre de renforcer les garanties d’impartialité des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie.

S’agissant de l’examen aujourd'hui en séance publique, je note que le rapporteur a déposé un amendement issu de la concertation avec l’ensemble des parties, d’une part, pour clarifier la nature des emplois publics concernés et, d’autre part, pour préciser les modalités d’application du délai de carence. Cet amendement fait également suite aux observations en ce sens du congrès de la Nouvelle-Calédonie.

La proposition qui vous est soumise trouve ainsi un équilibre plus réaliste entre l’obligation d’impartialité, d’une part, et la nécessité de désigner des personnalités qualifiées à l’expérience reconnue, d’autre part.

L’approche consensuelle qui a présidé à la rédaction de ce texte doit être saluée. Je ne doute pas que si des points de divergence devaient émerger entre les deux chambres du Parlement, ils pourront facilement être dépassés car nous sommes tous attentifs à l’intérêt de la Nouvelle-Calédonie et à la lutte contre la vie chère.

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