Intervention de Félix Desplan

Réunion du 18 novembre 2015 à 14h30
Autorités administratives indépendantes créées par la nouvelle-calédonie — Adoption d'une proposition de loi organique dans le texte de la commission modifié

Photo de Félix DesplanFélix Desplan :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chère Catherine Tasca, auteur de la proposition de loi organique, mes chers collègues, le texte que nous examinons ce soir ne comporte qu’un article. Il a un objectif simple et concret : permettre à l’Autorité de la concurrence créée il y a un peu plus d’un an par le congrès de la Nouvelle-Calédonie de fonctionner enfin. Sa mise en marche est très attendue, tant par le gouvernement calédonien, les groupes politiques du congrès, les provinces, les intersyndicales, les organisations patronales que par les consommateurs calédoniens.

Ce texte est attendu, parce que, comme dans les autres territoires ultramarins, marqués par leur éloignement géographique, par une population restreinte et par une attirance pour les produits de consommation de la métropole, la vie est chère en Nouvelle-Calédonie.

Le surcoût du « panier » varie encore, selon les enseignes de grande surface, de + 96 % à + 155 % par rapport à la métropole. Sur la zone du Grand Nouméa, qui représente 90 % du chiffre d’affaires des grandes surfaces alimentaires, deux opérateurs détiennent ainsi plus de 80 % des surfaces commerciales, situation aggravée par les barrières réglementaires à l’entrée du territoire. Dans le secteur automobile, 80 % des marques sont aussi aux mains de deux groupes.

De façon plus générale, dans les secteurs où la concurrence existe, le différentiel de prix est de + 15 %. Mais, ailleurs, les prix sont en général deux fois plus élevés.

La cherté de la vie, que ce soit en matière de produits alimentaires, de tarifs bancaires, de coût de l’énergie ou dans le domaine du logement, a fait descendre les syndicats et les populations dans la rue à plusieurs reprises, notamment aux mois de mai 2011 et mai 2013. Grèves et manifestations ont conduit les autorités locales à mettre en place des mécanismes divers pour lutter contre ce qui ne doit pas être admis comme une fatalité.

La concurrence est l’une des clefs de cette lutte. La loi organique de 1999 a attribué à la Nouvelle-Calédonie les compétences de réglementation des prix, de concurrence, de répression des fraudes et de réglementation des professions commerciales. Depuis, la Nouvelle-Calédonie a adopté des textes mettant en place un droit de la concurrence avancé et des règles de transparence des relations commerciales. Elle a ainsi instauré un contrôle des concentrations, un contrôle des exploitations des surfaces commerciales et une injonction structurelle pour résorber les situations soulevant des risques de concurrence.

La Nouvelle-Calédonie a également souhaité la mise en place d’une autorité administrative indépendante, dotée de pouvoirs d’enquête, de recours et de sanctions, pour veiller à l’application de ces nouvelles dispositions.

On a critiqué – dans cette enceinte même – la multiplication des autorités administratives indépendantes, déplorant parfois leur inutilité pour les trois quarts d’entre elles. Cependant, à une question que lui posait, lors d’une audition, notre collègue le président Mézard, Bruno Lasserre, le président de l’autorité de la concurrence hexagonale, a répondu : « Il n’existe pas une économie de marché au monde qui n’ait son autorité de la concurrence. Si vous voulez la jungle, c’est-à-dire des réunions secrètes d’entente sur les prix entre les entreprises, supprimez-la. »

Les autorités calédoniennes ont le souci d’apporter des réponses structurelles, mais aussi des modes d’action lisibles par les consommateurs. C’est pourquoi le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a créé un Observatoire des prix, un outil d’information grand public et facile d’accès.

Tout cela est d’autant plus nécessaire aujourd’hui que la conjoncture économique est défavorable.

Les cours du nickel, première exportation de la Nouvelle-Calédonie, qui détient 25 % à 30 % des ressources mondiales, se sont effondrés. Des fours sont fermés ou suspendus, des salariés reclassés ou en départ anticipé. Les pertes d’exploitation s’élèveraient à plusieurs centaines de millions de dollars. Cette crise a été à l’origine d’un conflit social, le « conflit des rouleurs », qui a opposé les mineurs et les camionneurs aux institutions locales plusieurs semaines au mois d’août dernier. La question se posait notamment, et elle se pose toujours, de ne plus réserver les exportations du minerai aux clients traditionnels que sont l’Australie, le Japon et la Corée du Sud, mais de vendre à la Chine du minerai à basse teneur. Pour certains, cela soutiendrait l’activité économique, mais, pour d’autres, ce serait contre-productif, la production de fonte brute – pig iron – par la Chine obtenue avec ce minerai de basse teneur et l’importance de ces stocks pouvant contribuer à une baisse des prix.

Ces choix sont du ressort des autorités calédoniennes, mais je sais, madame la ministre, que vous avez toujours été à l’écoute, appelant chaque fois à un accord raisonné et raisonnable de toutes les parties.

Pour que l’entente, obtenue par un dialogue constant entre les uns et les autres, puisse aboutir à une redynamisation de la vie économique, accompagnée d’une réduction des inégalités, les mécanismes créés doivent fonctionner. Or l’Autorité de la concurrence, seule autorité administrative indépendante créée jusqu’à présent en Nouvelle-Calédonie, ne fonctionne toujours pas.

L’actuelle proposition de loi organique doit y remédier.

Le projet de loi organique initial autorisant la création en Nouvelle-Calédonie d’autorités administratives indépendantes ne prévoyait pas d’incompatibilités. Le Sénat a adopté, sur l’initiative de Catherine Tasca, auteur de la proposition de loi organique en débat aujourd’hui, un amendement précisant que la composition et les modalités de désignation des membres de l’autorité devaient être de nature à assurer son indépendance. L’Assemblée nationale est allée plus avant : sur l’initiative du rapporteur d’alors de la commission des lois, elle a très strictement encadré les critères et modalités de nomination, pour préserver les membres de la pression des pouvoirs politiques ou administratifs, qu’ils soient métropolitains ou locaux, ou d’entités économiques privées.

La fonction de membre d’une autorité administrative est devenue incompatible avec l’exercice de tout autre emploi public. Dans la pratique, il ne s’est guère révélé possible de trouver des candidats répondant à ces critères. Il s’agit maintenant d’être un tant soit peu pragmatique.

Notre collègue Catherine Tasca a fait une proposition. Le congrès de la Nouvelle-Calédonie a émis sur ce texte un avis favorable, avec des observations dont il a été tenu compte lors de nos débats en commission des lois.

La personne présidant l’autorité ne pourra exercer aucun autre emploi public en Nouvelle-Calédonie. Les autres membres pourront exercer parallèlement un emploi public, mais uniquement au sein de l’État. Par ailleurs, un délai de carence de trois ans empêchera que soit nommée une personne qui, au cours des trois années précédant sa désignation, aurait exercé les mandats ou fonctions ou détenu des intérêts compris dans le champ des incompatibilités s’appliquant respectivement au président ou aux autres membres d’une autorité administrative indépendante.

C’est, je le crois, un texte raisonnable. C’est en tout cas un texte consensuel. Ce matin, les députés de la commission des lois ont adopté une proposition de loi organique semblable, sur l’initiative du député UDI Philippe Gomes. L’Assemblée nationale devrait se prononcer sur ce texte-là en séance le 26 novembre prochain. Si nous adoptons l’amendement déposé, les deux propositions de loi organique seront similaires. Les deux assemblées pourront donc s’accorder sur un texte conforme dans les prochaines semaines. La mise en route prochaine de l’Autorité de la concurrence en sera grandement facilitée.

Je vous appelle donc, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi organique présentée par notre collègue Catherine Tasca.

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