Pourtant, les faits la valident. L’esclavage n’a pas été abrogé en un jour par un accord concerté de l’ensemble des nations. Les abolitionnistes ont dû lutter, chacun dans leur pays respectif, pour l’obtenir.
C’est dans cette logique que nous nous inscrivons. On ne cesse pourtant de nous répéter : « plus tard », « ailleurs », « pas ici », « pas maintenant ». On nous demande, comme le faisait M. Dallier à l’instant, si nous avons bien pensé aux parts de marché de nos entreprises.
Nous l’avons bien compris : sur ce type de sujet, ce n’est « jamais le bon endroit; jamais le bon moment ». Puisque les opposants à ce texte invoquent l’argument de la compétitivité, je centrerai mon propos sur l’économie.
Le monde dans lequel nous vivons change, très vite. Le consommateur et le citoyen sont une seule et même personne. Et cette personne considère évidemment le prix avant de procéder à un achat, surtout si elle connaît des difficultés, mais ce n’est pas son seul critère. Elle pense également aux conséquences en termes d’emploi, d’environnement et de respect des droits de l’homme. Pourquoi croyez-vous que les consommateurs soient de plus en plus exigeants sur la traçabilité des produits qu’ils achètent ? Pourquoi croyez-vous qu’ils se tournent vers le made in France aujourd'hui ?
Tout simplement parce qu’ils regardent le monde tel qu’il est, et pas tel qu’ils souhaiteraient le voir ! Ils savent que les multinationales ne sont pas toujours vertueuses, qu’il faut parfois encourager les grands groupes à améliorer la mondialisation et qu’il faut parfois recourir à la loi. C’est la raison pour laquelle je soutiens ce texte aujourd’hui.
Je suis conscient des progrès accomplis par les grands groupes en matière de responsabilité sociale et environnementale. Le 3 novembre dernier, le géant suédois du textile H&M, la fédération syndicale internationale IndustriAll Global Union et le syndicat suédois IF Metall ont signé un accord-cadre mondial sur le respect des droits fondamentaux dans la chaîne d’approvisionnement. En bougeant sur le sujet, ils nous ont montré la voie à suivre. Accompagnons-les ! Cessons d’être à la remorque ! Quand les groupes seront devenus plus compétitifs parce que les consommateurs auront reconnu leurs efforts, ils nous remercieront !
Je veux d’ailleurs reprendre un argument qui a été développé par notre collègue Évelyne Didier lors de la première partie de ce débat. Nos entreprises craignent moins des règles exigeantes qu’une absence de règles et une insécurité juridique permanente. Pour preuve, selon le baromètre HEC, 93 % des grands donneurs d’ordre européens considèrent les achats responsables comme une priorité.
Cette semaine, le Forum pour l’investissement responsable s’est déclaré favorable à notre proposition de loi, avec des arguments similaires. Ses membres déclarent que la transparence et l’information sont « des conditions nécessaires à l’analyse des investissements ». Ils soulignent également que l’analyse des controverses est « devenue, ces dernières années, une question-clé pour les investisseurs responsables ». À leurs yeux, le plan de vigilance sera « un outil technique utile pour l’analyse de ces controverses ».
Avec de telles références, j’espère vous convaincre, monsieur Frassa. Les acteurs économiques ne raisonnent plus seulement « prix et de qualité ». Ils pensent aujourd’hui « coût total de possession », acceptant un coût unitaire plus élevé s’il leur garantit la pérennité et la fiabilité des livraisons.
Et si ma voix ne suffisait pas à vous faire changer d’avis sur ce texte, je tiens à vous rappeler la multitude de soutiens publics à cette initiative. Je pourrais mentionner M. Berger, de la Confédération française démocratique du travail, la CFDT, M. Lyon-Caen, juriste émérite, l’ensemble des syndicats au moment de la conférence sociale ou les ONG, notamment via la plate-forme Éthique sur l’étiquette.
En tant que sénateurs, nous ne sommes pas, je crois, « spectateurs du désespoir », pour reprendre une jolie formule des rappeurs du groupe IAM. Nous pouvons aussi être les acteurs de l’espoir. Pour cela, il nous appartient de passer aux actes et de voter ce texte. Prise lors de la semaine de la solidarité internationale, cette décision serait utile à nos entreprises ici et à tous les salariés, où qu’ils soient. Ce serait une réelle avancée sociale et un beau symbole !