Monsieur le Président, mes chers collègues, il me revient de vous présenter les crédits relatifs aux transports aériens pour l'année 2016, en ayant une pensée particulière pour François Aubey, qui s'était brillamment acquitté de cette tâche l'année dernière. Je vous remercie de m'avoir donné cette occasion d'examiner à mon tour un domaine stratégique pour notre pays.
Rares sont les secteurs qui connaissent d'aussi solides perspectives de croissance au niveau mondial que l'aérien. Le trafic est tiré par les besoins de mobilité d'une classe moyenne émergente dans de nombreux pays. On estime généralement qu'il croît deux fois plus vite que le PIB. En 2014, ce trafic dépasse 6 000 milliards de passagers kilomètres transportés (PKT) au niveau mondial, contre 3 000 milliards en 2000, soit un doublement en quinze ans et un taux de croissance annuel moyen supérieur à 5 %. Sauf crise économique majeure, les projections restent favorables et la France possède des atouts incomparables pour capter cette croissance, grâce à son « triple A » : un grand constructeur d'avions, une grande compagnie nationale et le plus grand groupe aéroportuaire du monde.
Mais nous savons aussi que le pavillon français souffre, notamment de la concurrence déloyale des compagnies du Golfe persique. Les tensions chez Air France sont d'ailleurs très révélatrices des difficultés rencontrées. Nous savons aussi que les hubs européens voient leur position menacée par les plateformes du Moyen-Orient et de Turquie, qui jouissent d'une position stratégique. Les trois grands hubs du Golfe réalisent un volume de correspondances intercontinentales trois fois supérieur à celui des quatre grands hubs européens, alors qu'ils étaient équivalents en 2005. Nous savons enfin que notre industrie aéronautique continue d'enregistrer des succès, mais la pression concurrentielle est de plus en plus forte pour Airbus : les pays émergents sont sur le point de faire leur entrée par le bas de la gamme, tandis que les Américains soutiennent massivement leur constructeur Boeing.
Derrière les enjeux économiques, on mesure donc toute l'importance des ambitions étatiques et des rapports de force géopolitiques dans un secteur qui n'entre pas dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). C'est désormais au niveau européen qu'il faut une réaction forte : face à l'agressivité de nos concurrents, il n'est plus possible de se contenter d'une politique limitée au seul contrôle aérien dans le cadre du Ciel Unique. L'Europe doit parler d'une seule voix pour soutenir la compétitivité de nos compagnies, renforcer l'attractivité de nos hubs et défendre notre industrie aéronautique.
Ce n'est donc pas un hasard si, dans son programme de travail pour 2015, intitulé « Un nouvel élan », la Commission Juncker s'est fixé pour objectif de dynamiser la compétitivité du secteur de l'aviation. Elle prévoit d'ailleurs de présenter un nouveau train de mesures lors du Conseil Transports du 10 décembre. Les autorités néerlandaises ont d'ores et déjà clairement exprimé que l'examen de ce « paquet aviation » serait la priorité de leur présidence au premier semestre 2016.
Pour l'heure, il n'est pas certain que le « paquet aviation » intègre une proposition visant à modifier ou à remplacer le règlement de 2004 sur la protection contre les subventions et les pratiques tarifaires déloyales, afin d'élaborer un instrument plus efficace. C'est pourtant la position qu'ont défendue conjointement Alain Vidalies et son homologue allemand, le ministre Alexander Dobrindt, dans un courrier adressé à la Commissaire européenne chargée des transports, Violeta Bulc, en février 2015, puis devant leurs homologues européens lors du Conseil Transports du 13 mars 2015.
Il serait en effet plus que souhaitable que l'Europe se dote d'un outil réellement efficace et dissuasif, à l'image de l'instrument dont disposent les États-Unis avec le US International Air Transportation Competition Act. A fortiori, les trois rencontres qui ont eu lieu en novembre 2013, octobre 2014 et mai 2015 entre la Commission et les États du Golfe, sans la moindre avancée, laissent planer le doute sur la volonté réelle de ces États d'aller vers un fonctionnement plus transparent de leur secteur aérien. Je ne m'étends pas davantage car la commission des Affaires européennes examine demain un rapport sur ce sujet présenté par nos collègues Jean Bizet, Eric Bocquet, Claude Kern et Simon Sutour. Je ne puis que vous inviter à suivre attentivement ce dossier important dans les mois à venir.
Ces éléments de contexte étant posés, j'en viens à présent à l'analyse des crédits consacrés aux transports aériens dans notre budget pour 2016. Ces crédits figurent, d'une part, au budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (BACEA) géré par la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), d'autre part, au programme 203, dans les actions 11 et 14 relatives aux infrastructures de transport et au soutien des lignes pour l'aménagement du territoire.
En ce qui concerne le volet DGAC, ce PLF 2016 apporte de bonnes nouvelles. Par rapport à 2015, le dynamisme du trafic aérien permet une hausse globale de 1,1 % des recettes d'exploitation. Parallèlement, les économies de fonctionnement se poursuivent, conduisant à des dépenses d'exploitation en baisse de 1,7 %. Fait remarquable, les dépenses de personnel diminuent pour la première fois, dans le cadre d'un programme de réduction des effectifs de 100 ETP par an. Au total, le résultat d'exploitation est en forte hausse (+34 %) et atteint 199,7 millions d'euros (M€) contre 148,9 M€ en 2015.
L'autre point important du budget annexe 2016 est qu'il confirme la trajectoire de désendettement amorcée depuis 2015, avec une diminution de 107 M€ de l'encours de dette, soit -8,7 %, pour atteindre 1 117,2 M€. On retrouve ainsi un niveau proche de 2009. Pour rappel, le stock de dette avait augmenté de 75 % depuis 2005, pour atteindre 1,28 milliard d'euros (Md€) en 2014. La DGAC avait volontairement joué un rôle d'amortisseur au plus fort de la crise de 2009, en refusant d'augmenter le montant de ses redevances pour compenser la baisse du trafic, afin de ne pas pénaliser davantage nos compagnies aériennes. Il est donc positif que cette gestion conjoncturelle de la dette fonctionne. Il reste maintenant à profiter du haut de cycle pour reconstituer davantage de marges de manoeuvre et éventuellement apurer le stock de dette consécutif à la privatisation d'Aéroports de Paris en 2005-2006.
J'en viens à présent au second volet, qui concerne le programme 203 relatif aux infrastructures et services de transports. Le montant des crédits est beaucoup plus faible puisqu'il s'établit à 17 M€ en autorisations d'engagement et 13 M€ en crédits de paiement. Par rapport à 2015, leur forte hausse s'explique essentiellement par le début des travaux de rénovation de la piste de l'aérodrome de Saint-Pierre Pointe-Blanche. Par ailleurs, une dépense de 4,5 M€ a également été provisionnée, pour prendre acte du rejet des recours intentés et de la reprise des travaux à Notre-Dame-des-Landes, annoncée le 30 octobre dernier.
Enfin, les crédits consacrés aux lignes d'aménagement du territoire (LAT), après avoir atteint un point bas en 2015, sont en hausse de 8% en 2015. Cela traduit un soutien ponctuel de l'État à la ligne Rodez-Paris, à hauteur d'un million d'euros, alors que dans l'ensemble les crédits continuent de diminuer. L'objectif reste bien de concentrer le soutien aux liaisons aériennes en métropole sur les destinations les plus enclavées : Aurillac-Paris, Le Puy-Paris, Brive-Paris et Rodez-Paris.
J'en ai terminé avec la partie budgétaire à proprement parler, et je vous propose à présent de tracer quelques perspectives d'ordre général sur le secteur aérien.
Je ne reviens pas sur la situation d'Air France, que le PDG Alexandre de Juniac nous a longuement présentée il y a deux semaines. J'espère que l'on pourra sortir par le haut de ce dialogue difficile autour de la compétitivité interne, en évitant la mise en oeuvre du « plan B » pour 2017. L'attrition des personnels et des destinations desservies serait en effet une bien mauvaise nouvelle, dans un domaine où la connectivité constitue le facteur-clé de succès d'une compagnie de hub. Le groupe dispose du deuxième réseau intercontinental au monde, il faut s'efforcer de préserver cet actif inestimable.
Plus globalement, nous savons que la part de marché du pavillon français recule chaque année et n'est plus que de 43,7 % en 2015 contre 48,7 % en 2009 pour le nombre de passagers. D'ailleurs en 2014, le nombre de passagers transportés par le pavillon français connaît sa première baisse depuis 2010 pour atteindre 63,1 millions, soit à peine 2 % de plus qu'en 2008.
Le rapport de Bruno Le Roux, remis au Premier Ministre le 3 novembre 2014, avait dressé plusieurs pistes pour soutenir la compétitivité externe de notre pavillon, en particulier en ce qui concerne l'optimisation du coin fiscalo-social. Pour l'heure, seule l'exonération de la taxe d'aviation civile (TAC) pour les passagers en correspondance a été mise en oeuvre, laissant en suspens deux autres sujets majeurs pour la compétitivité de notre pavillon.
Le premier consiste à faire évoluer l'assiette de la taxe de solidarité dite « taxe Chirac », prélevée sur les billets d'avion pour financer l'aide aux pays pauvres. La France est le seul pays d'Europe à l'avoir adoptée et apporte plus de 90% du financement d'Unitaid, soit 200 millions d'euros par an, dont 70 millions pour la seule compagnie Air France. Le rapport Le Roux a proposé d'asseoir cette taxe sur une toute autre assiette, celle de la grande distribution. L'idée a bien été retenue l'année dernière, puisque l'on a majoré la taxe sur les surfaces commerciales, mais uniquement pour compenser l'effet d'aubaine du CICE, et non pour élargir l'assiette de la taxe Chirac.
Le second sujet consiste à maîtriser le poids de la taxe d'aéroport, due par toute entreprise de transport aérien, pour financer les missions de sécurité. Dans de nombreux pays, les autorités publiques contribuent au financement de ces missions. La sûreté du transport aérien ne concerne pas que les passagers mais l'ensemble des citoyens, comme l'ont malheureusement illustré les attentats du 11 septembre 2001. Alors que de nombreux investissements sont à prévoir, à la fois en raison du contexte actuel et des réglementations européennes, le rapport recommande que l'État contribue à leur financement. Cette piste se heurte cependant à la contrainte budgétaire.
En tout état de cause, si ces propositions méritent d'être examinées, il convient de garder à l'esprit que le soutien de la puissance publique constitue bien un accompagnement, et non un préalable ou un substitut aux efforts de compétitivité interne des compagnies aériennes.
En attendant, il est de notre responsabilité de continuer à freiner l'octroi de nouveaux droits de trafic aux pays du Golfe, afin de limiter l'impact du dumping dont elles bénéficient. Dans leur étude « Fair Skies » de mars 2015, les trois plus grandes compagnies américaines (American Airlines, Delta Airlines et United Airlines) viennent d'ailleurs de chiffrer à 42 milliards de dollars le montant des aides dont Emirates, Etihad Airways et Qatar Airways auraient bénéficié en dix ans. Elles ont également demandé au gouvernement américain de revoir les accords de ciel ouvert conclus par les États-Unis avec les États du Golfe. La France et l'Allemagne sont parmi les rares pays de l'Union européenne à disposer encore d'une réserve de droits de trafic intéressants pour les pays du Golfe, nous devons donc impérativement conserver ce levier de négociation. La crédibilité de cette stratégie est confortée par le récent engagement du sultanat d'Oman auprès de la France : une clause de concurrence loyale entre transporteurs aériens a pu être intégrée dans l'accord entre nos deux pays.
Un mot à présent sur les aéroports. Je commence par Aéroports de Paris (ADP) qui continue à afficher d'excellents résultats et une situation financière solide. Je ne rentre pas dans le détail des chiffres, mais un indicateur est particulièrement révélateur : entre janvier 2014 et novembre 2015, le cours d'ADP est passé de 80 à 115 euros environ, soit une hausse de 40 % alors que le CAC40 n'a progressé que de 16% sur la même période. Sa capitalisation boursière avoisine désormais les 11,5 milliards d'euros (Mds€), alors qu'elle était de 5,8 Mds€ en novembre 2012. Le climat social est relativement bon, en dépit de l'annonce d'un gel des rémunérations pour la première fois en 2015, afin que la situation du personnel ne soit pas totalement décorrélée de celle d'Air France, pour deux populations qui cohabitent quotidiennement.
La principale actualité pour ADP est le renouvellement de son contrat de régulation économique, le CRE3, pour la période 2016-2020. Il existe un débat avec les compagnies aériennes sur le montant des plafonds retenus pour l'évolution des redevances aéroportuaires. Le Gouvernement a fixé cette évolution au milieu du gué, sur la base d'une évaluation du coût du capital à 5,4 %, alors que la Commission consultative aéroportuaire (Cocoaéro) l'a estimé à moins de 5%. Les compagnies ont porté plainte auprès de la Commission européenne, pour non-respect du principe d'indépendance de l'autorité chargée de cette évaluation. Au-delà de ces considérations juridiques, je pense que l'équilibre retenu est au final satisfaisant pour les compagnies, Alexandre de Juniac l'a d'ailleurs reconnu à demi-mots la semaine dernière. En effet, le CRE3 et le plan Connect 2020 d'ADP prévoient un programme d'investissement sans précédent, à hauteur de 3 milliards d'euros sur le périmètre régulé et de 4,6 milliards d'euros pour l'ensemble d'ADP.
Investir dans le hub parisien est en effet devenu une nécessité, tant la concurrence est féroce avec les autres plateformes. Je pense bien sûr à Amsterdam, Londres et Francfort, mais surtout aux hubs du Golfe persique et à Istanbul, car ils sont idéalement positionnés. À ce sujet, le Gouvernement turc a confirmé que le nouvel aéroport d'Istanbul sera opérationnel au premier trimestre 2018, grâce à deux pistes d'atterrissage et un terminal. Les travaux se poursuivront progressivement afin de porter sa capacité à terme à 150 millions de passagers annuels, alors que Turkish Airlines poursuit son expansion.
Je reviens rapidement sur les privatisations des aéroports régionaux. En ce qui concerne Toulouse-Blagnac, la cession de 49,99 % de la société gestionnaire a été effectuée au profit du consortium chinois Symbiose en avril 2015, pour un montant de 308 millions d'euros. L'opération transite par une société de droit français CASIL Europe, dont le président Mike Poon a mystérieusement disparu au mois de juin 2015, sur fond d'accusations de corruption. Une lettre de démission a été reçue au mois de septembre par Anne-Marie Idrac, présidente du Conseil de surveillance. Globalement, l'objectif affiché par les nouveaux investisseurs est de faire de Toulouse-Blagnac un hub destiné aux compagnies chinoises pour acheminer les touristes vers le sud de la France et le sud de l'Europe. Leur ambition est de tripler le trafic passagers de 7,5 millions aujourd'hui à 18 millions à l'horizon 2046.
Après cette opération, l'État travaille désormais à la privatisation des aéroports de Nice (11,6 millions de passagers en 2014) et Lyon (8,4 millions de passagers), respectivement troisième et quatrième aéroports français (derrière Roissy - Charles de Gaulle et Orly). Les valorisations pourraient atteindre respectivement 1,5 milliard et 900 millions d'euros. Comme à Toulouse, l'État conserverait la propriété des terrains, des bâtiments et la régulation de l'activité. Ces privatisations concernent donc bien les sociétés d'exploitation, mais l'infrastructure demeure publique. Une concertation a actuellement lieu avec les collectivités locales, et nous en avons sécurisé le cadre juridique dans la loi Macron.
Sans m'y opposer par principe, je m'interroge cependant sur l'opportunité de multiplier les privatisations d'aéroports, qui sont des monopoles naturels. Prenons garde à ne pas commettre, dans l'urgence dictée par la contrainte budgétaire, les mêmes erreurs qu'avec les concessions autoroutières.
Je passe à présent aux petits aéroports, avec le sujet sensible des lignes directrices sur les aides d'État qui ont été publiées le 4 avril 2014, après plus de deux ans de débats intenses. La DGAC estime qu'une quarantaine d'aéroports de plus de 10 000 passagers commerciaux perçoit des aides et peu l'ont notifié : ces aéroports sont donc pour la plupart dans l'illégalité au regard du droit communautaire. 23 d'entre eux sont toujours sous le coup d'une plainte déposée par Air France en raison des avantages accordés à la compagnie Ryanair sur 27 aéroports français.
Dans ce contexte, la Commission européenne a prononcé en juillet 2014, pour la première fois, des condamnations à remboursement à propos des aéroports de Pau, Nîmes et Angoulême, auxquels les compagnies Ryanair et Transavia doivent rembourser près de 10 millions d'euros au total. Le 27 juillet 2015, la Commission a d'ailleurs traduit la France devant la Cour de Justice de l'Union européenne pour n'avoir pas encore récupéré ces aides. En tant que présidente du Syndicat mixte des aéroports de Charente de 2011 à 2015, j'ai directement été confrontée à ce sujet, et je ne puis que vous inciter à suivre attentivement ce dossier dans les années à venir.
Une bonne nouvelle vient tout de même de l'approbation de trois régimes cadres nationaux d'aide à l'investissement, à l'exploitation et au démarrage, par la Commission le 8 avril 2015 : ils devraient faciliter les échanges et écourter les délais d'approbation pour les aéroports qui y sont éligibles ; ils fournissent également un canevas-type de présentation des dossiers pour la notification.
J'aborde à présent la question de notre industrie aéronautique, dont les carnets de commande ne désemplissent pas. L'année écoulée est notamment marquée par les premières livraisons de l'A350, un salon du Bourget réussi, et une baisse de l'euro qui, moyennant la dégressivité des couvertures de change, devrait produire pleinement ses effets à partir de 2017. Il faut savoir que pour chaque dixième de dollar de dépréciation de l'euro, Airbus améliore son résultat d'un milliard.
Le principal enjeu pour l'ensemble de la filière est de trouver du personnel qualifié, dans un secteur qui recrute 15 000 personnes en 2015. Nous l'avons vu au Bourget, dans certains métiers comme l'ajustage, l'usinage, le soudage ou la chaudronnerie, les emplois sont hélas difficiles à pourvoir : d'un côté, les spécificités du secteur requièrent un degré élevé d'exigence en termes de savoir-faire manuel, de méthodologie et de rigueur ; de l'autre, le niveau des jeunes sortant du système éducatif dans les formations mécaniques de base est jugé insuffisant par beaucoup d'entreprises.
Un important effort de formation professionnelle et de valorisation de ces métiers est donc à mener. Une expérimentation de parcours partagés d'apprentissage (PPA) est conduite actuellement dans le cadre du Comité stratégique de la filière (CSF) aéronautique : cette initiative permet de créer une mobilité interentreprises entre grands groupes et PME de la filière en co-formant des apprentis. Aujourd'hui près 170 parcours ont été initiés sur un objectif de 300, impliquant 64 fournisseurs. En parallèle, un travail est mené pour mettre en place des passerelles avec la filière automobile.
Concernant le paysage concurrentiel de notre industrie aéronautique, les premiers modèles concurrents d'Airbus et Boeing sur le court-courrier (A320 et B737) devraient bientôt apparaître sur le marché. Il s'agit notamment du C919 du chinois COMAC, qui doit effectuer son premier vol en 2016 pour une mise en service entre 2018 et 2020, ainsi que du MS21 du russe UAC qui suit peu ou prou le même calendrier. Cette concurrence émergente est prise au sérieux, et Airbus préfère pour le moment remotoriser l'A320 pour se laisser le temps de développer une prochaine génération d'aéronefs, qui offrira davantage de ruptures technologiques et contribuera ainsi à garder la concurrence à distance. En ce qui concerne les avions long-courriers, la concurrence mettra plus de temps à émerger mais Russes et Chinois se sont d'ores et déjà alliés pour essayer de mettre au point ensemble un programme gros porteur.
Pour l'heure, le véritable problème reste le soutien massif accordé par le gouvernement américain à Boeing. Ce sont ainsi 8,7 milliards de dollars d'avantages fiscaux qui sont accordés par le seul État de Washington au constructeur, pour l'inciter à produire le prochain B777X, dont la mise en service est prévue à l'horizon 2020 : cette somme est jugée supérieure au coût total de développement du programme !
Notons également que la Federal Aviation Administration (FAA) utilise régulièrement son pouvoir normatif pour freiner la pénétration du marché américain par Airbus en retardant la certification des nouveaux modèles pour des motifs techniques, par exemple le bruit ou la taille des pistes pour l'A380. L'impact de cette politique est d'autant plus dommageable que les États-Unis servent souvent de référence pour l'édiction des standards internationaux. Je regrette que l'Agence européenne de sécurité aérienne (EASA) ne poursuive pas le même objectif de soutien à la filière. J'espère que la révision du règlement de 2008, dans le cadre du « paquet aviation » sera l'occasion de corriger cette asymétrie.
Pour finir, j'attire votre attention sur deux enjeux relatifs au contrôle aérien. Le premier concerne la multiplication des drones, un marché qui a pu se développer en France grâce à une réglementation innovante publiée en avril 2012, et qui nous a permis d'acquérir une réelle avance dans ce domaine. La filière représente aujourd'hui 40 constructeurs, 5 000 emplois, 150 organismes de formation et connaît un véritable essor. L'EASA devrait publier, d'ici la fin de l'année, une opinion technique qui servira de base à une future réglementation européenne. L'acceptabilité des drones a été ternie par les survols illicites de sites sensibles au cours de l'hiver 2014-2015 : ce phénomène ne doit pas être surestimé mais est bel et bien réel, et représente une préoccupation importante pour les pouvoirs publics, d'ailleurs partagée par de nombreux gouvernements étrangers. Les magistrats ont de fait tendance à être de plus en plus sévères dans le traitement des dossiers « drones ».
Un autre sujet pose quelques problèmes à la DGAC. Il s'agit de l'essor d'initiatives de coavionnage, depuis le début de l'année 2015, sur le modèle de BlaBlaCar ou Uber. Il s'avère que la conformité de ce type d'activité avec la réglementation en vigueur et son classement en transport privé ou en transport public sont délicats à apprécier. Le problème majeur est celui de la sécurité : soumettre un pilote amateur à une pression économique (arriver à l'heure à un endroit précis) pourrait le conduire à effectuer de mauvais choix, notamment au regard de l'appréciation des conditions météorologiques. Il n'est d'ailleurs pas garanti qu'un assureur accepterait d'intervenir en cas d'accident.
Au niveau international, seule la Federal Aviation Administration (FAA) américaine s'est prononcée récemment en défaveur du « flight sharing ». A ce stade, la DGAC envisage surtout de freiner le coavionnage amateur pour favoriser le coavionnage professionnel, dans la mesure où l'expérience du pilote constitue le seul gage tangible de sécurité. Elle a d'ailleurs mis en place un groupe de travail en octobre 2015, auquel la Fédération Française Aéronautique, représentant les aéroclubs, et les porteurs de projets de coavionnage sont associés.
Enfin, à quelques jours de la COP21, je ne résiste pas à l'envie de vous donner quelques éléments d'actualité sur l'avion électrique, qui vole dans le sillage de Louis Blériot et Charles Lindberg. Premier point, l'E-Fan d'Airbus, dont nous avions parlé l'année dernière, a traversé la Manche le 10 juillet 2015. Pour rappel, il s'agit d'un biplace propulsé par deux moteurs électriques alimentés par des batteries lithium-ion. Pour Airbus, il s'agit d'une première étape dans la production de générations successives d'avions électriques de taille croissante, jusqu'à la construction d'un avion régional, capable de transporter une centaine de personnes, à l'horizon 2030.
Second point, la fondation Océan Vital créée par le navigateur Raphaël Dinelli, envisage de réaliser en juin 2016 un vol transatlantique sans escale et sans empreinte carbone, au moyen d'un biplan décalé à propulsion hybride solaire et bioénergie (25 % de solaire environ), baptisé Eraole. L'énergie solaire sera récoltée par des cellules photovoltaïques disposées sur les ailes et stockée dans des batteries lithium-ion, tandis que la bioénergie sera produite en utilisant un biocarburant élaboré à base de micro-algues. Les premiers vols d'essais pourraient avoir lieu depuis la base de Creil au mois de décembre prochain et l'avion devrait être présenté lors de la COP 21.
Il y aurait encore bien des sujets à aborder, mais pour le moment, au vu des éléments que je viens de vous présenter, et notamment de l'amélioration du budget de la DGAC, je vous propose un avis favorable à l'adoption de ces crédits. Je vous remercie.