Afin d'éviter tout doublon avec les travaux de nos collègues des autres commissions et de mettre l'accent sur les problématiques pour lesquelles la commission des affaires sociales est spécifiquement compétente, mon avis budgétaire sur la mission « Égalité des territoires et logement » est centré sur le programme 177, consacré à l'hébergement, à l'accompagnement vers le logement et à l'insertion des personnes vulnérables.
Les dispositifs d'accueil et d'hébergement financés par le programme 177 prennent en charge les échecs des différentes politiques sociales : jeunes majeurs sortant des dispositifs de l'aide sociale à l'enfance, anciens détenus non réinsérés, chômeurs tombés dans la précarité, personnes souffrant de troubles mentaux non prises en charge en psychiatrie, immigrés victimes des échecs de l'intégration..., tous ces publics se retrouvent souvent à la rue et doivent être pris en charge en vertu du principe d'inconditionnalité de l'accueil.
Or au cours de la période récente, le nombre de personnes sans abri s'est fortement accru sur l'ensemble de notre territoire. En 2012, l'Insee estimait à plus de 140 000 le nombre de personnes sans domicile, chiffre qui a presque doublé en dix ans et auquel il faut ajouter les 3,5 millions de mal-logés. En outre, la crise économique a entraîné une évolution des publics concernés et une augmentation du nombre de femmes, de jeunes et d'enfants. Cette situation nous préoccupe tous, et les ressources budgétaires qui y sont consacrées ne sont pas à la hauteur des enjeux.
La sous-budgétisation du programme 177 est récurrente : les crédits demandés en loi de finances initiale sont systématiquement inférieurs aux crédits exécutés lors du dernier exercice clos. Le 23 octobre dernier, un décret d'avance a complété à hauteur de 130 millions d'euros les crédits pour 2015, que le projet de loi de finances rectificative de fin d'année majore à nouveau de 54 millions d'euros, soit une rectification de 13,46 %.
Les crédits initialement demandés pour 2016 s'élevaient à 1,44 milliard d'euros, soit 2 % de moins que ceux consommés en 2014. Toutefois à l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a majoré ces crédits de 69,85 millions d'euros dans le cadre de la mise en oeuvre du plan « migrants ». Ces crédits supplémentaires sont bienvenus, mais ils visent à répondre à un besoin nouveau lié à la relocalisation de demandeurs d'asile. Globalement, les crédits demandés pour 2016 restent inférieurs aux crédits 2015, si l'on tient compte du décret d'avance du 23 octobre dernier et du projet de loi de finances rectificatif.
La politique de l'hébergement est ainsi gérée à flux tendus : des crédits supplémentaires pallient en fin d'exercice l'insuffisance de la programmation initiale. Ce mode de gestion s'explique sans doute en partie par la nature imprévisible et saisonnière des besoins, mais n'en est pas moins regrettable. Au-delà du principe de sincérité budgétaire, la sous-budgétisation fragilise les opérateurs de l'hébergement, souvent associatifs, privés de la visibilité nécessaire à leur action. S'il est sans doute impossible de prévoir un niveau de crédits couvrant l'ensemble des besoins, il conviendrait de programmer un niveau de dépenses au moins équivalent aux crédits exécutés lors de l'exercice passé.
En outre, le périmètre du programme 177 évolue : les 3,8 millions d'euros finançant le Fonds de coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire (Fonjep) sont transférés vers la mission « Jeunesse et vie associative ». Facteur de cohérence, ce transfert s'accompagne toutefois d'une réduction de 700 000 euros de l'enveloppe globale. Les crédits Fonjep finançant des projets souvent importants au niveau local, les acteurs associatifs que j'ai rencontrés m'ont fait part de leur inquiétude.
Au-delà du niveau des crédits votés, leur répartition entre l'urgence et le long terme pose problème. Alors qu'il existe un consensus sur la nécessité d'offrir une réponse globale aux personnes sans abri et de préparer leur réinsertion, une partie des crédits consacrés au logement adapté, au demeurant insuffisants, est réaffectée en cours d'exercice à l'hébergement d'urgence.
L'accès au logement détermine la sortie réussie des dispositifs d'hébergement. La politique du logement dépasse le cadre du programme 177, mais le financement de l'accompagnement vers et dans le logement (AVDL) ne fait plus l'objet d'une ligne budgétaire spécifique. En effet, ce fonds est depuis 2015 financé exclusivement par le Fonds national d'accompagnement vers et dans le logement (FNAVDL), abondé par les astreintes que l'État est condamné à verser dans le cadre du droit au logement opposable (Dalo). Cette débudgétisation s'est accompagnée d'une forte réduction des montants engagés, en raison notamment de la complexité des procédures de liquidation des astreintes. Au demeurant, ce mode de financement met en concurrence le respect du droit au logement et le financement des mesures d'accompagnement, deux objectifs pourtant complémentaires.
La généralisation progressive des diagnostics territoriaux à 360°, prévue dans le cadre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté, doit assurer une meilleure connaissance des problématiques de l'exclusion. Le développement d'une étude nationale des coûts aidera à rationaliser la tarification des structures d'hébergement. Enfin, la mise en oeuvre des services intégrés d'accueil et d'orientation (Siao), qui mettent en réseau l'ensemble des acteurs de l'accueil et d'hébergement au sein d'un territoire, se poursuit, avec notamment le développement d'un outil informatique commun. Ces chantiers sont positifs, bien que leurs effets ne soient pas encore observés sur l'ensemble du territoire.
Toutefois, le constat d'une gestion au thermomètre demeure réel, malgré la volonté affichée dans le cadre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté. Un certain nombre de places temporaires ont été pérennisées à la sortie de l'hiver, mais en nombre très insuffisant. Le recours à l'hôtel montre bien que la réponse à l'urgence prime tout effort de prise en charge globale et durable. L'hôtel étant une solution plus économique, au moins à court terme, et immédiatement mobilisable, les acteurs de l'hébergement y ont fréquemment recours, faute de mieux. Ce type d'hébergement n'offre cependant pas d'accompagnement approprié : les conditions de vie et l'insécurité alimentaire nuisent à l'insertion sociale et professionnelle.
Bien que tous les acteurs s'accordent pour considérer que le recours à l'hôtel n'est pas une solution satisfaisante, le nombre de nuitées hôtelières a augmenté de plus de 130 % entre 2010 et 2014, tandis que le nombre de places en centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) restait stable. En Ile-de-France, 15 % du parc hôtelier est consacré à l'accueil de sans-abris. Le Gouvernement a annoncé un plan triennal de réduction des nuitées hôtelières. Je me réjouis que ce problème soit enfin pris à bras le corps, mais l'objectif fixé est à la fois insuffisant et irréaliste. Insuffisant car si le Gouvernement prévoit de remplacer en trois ans 10 000 nuitées hôtelières par des solutions plus pérennes, le recours à l'hôtel représente 30 000 nuitées par an et connaît un rythme de progression très soutenu. L'objectif est en outre peu réaliste car le recours à l'hôtel explose précisément en raison de l'insuffisance des crédits consacrés au logement adapté et de l'impossibilité de mobiliser ces solutions rapidement. De plus, le logement adapté ou accompagné ne peut être mobilisé pour les familles sans papiers, qui constituent une partie importante du public accueilli à l'hôtel. L'effort doit donc être accentué ; atteindre l'objectif de faire de l'hôtel un mode de prise en charge réellement subsidiaire et exceptionnel prendra du temps.
L'insuffisance des moyens consacrés est d'autant plus problématique dans le contexte de la crise migratoire à laquelle nous faisons face et dont je voudrais dire quelques mots avant de conclure.
Les crédits destinés aux dispositifs d'accueil des demandeurs d'asile sont regroupés au sein du programme 303, compris dans la mission « Immigration, asile et intégration », mais de fait, les crédits du programme 177 sont mobilisés en réponse à la saturation des structures spécifiques. Les dispositifs généralistes prennent également en charge des déboutés du droit d'asile qui, pour diverses raisons, ne sont pas reconduits à la frontière. Ces personnes sont contraintes de s'installer dans la précarité, sans perspective de régularisation de leur situation administrative ni d'accès au logement.
Or l'acuité de la crise migratoire actuelle aggrave les difficultés auxquelles font face les acteurs du secteur de l'accueil, de l'hébergement et de l'insertion et nous avons tous en tête les images choquantes des camps qui s'installent en Ile-de-France ou dans le Nord-Pas-de-Calais. Au demeurant, les migrants et les réfugiés, dont un certain nombre ne souhaitent pas s'installer sur notre territoire, ont des besoins spécifiques et des difficultés d'une autre nature que celle des publics classiques des dispositifs d'hébergement généralistes.
S'il est malvenu de parler de concurrence entre les personnes accueillies, il y a bel et bien concurrence des énergies, les services des pouvoirs publics comme les acteurs associatifs étant débordés. Une répartition sur le territoire des migrants se met en place tant bien que mal avec la participation des collectivités territoriales et de toutes les bonnes volontés. Si je mesure que la tâche qui incombe aux pouvoirs publics est considérable, force est de constater que le contexte oblige à une improvisation continue, alors qu'il n'est pas possible d'envisager, à moyen terme, un relâchement de la pression migratoire.
Inférieurs aux crédits qui seront consommés en 2015, ceux demandés pour 2016 se révèleront sans aucun doute insuffisants. En outre, une partie des crédits consacrés au logement adapté sera probablement réaffectée en cours d'exercice à la prise en charge de l'urgence. Je vous propose d'émettre un avis défavorable à l'adoption de ces crédits.