Intervention de Philippe Bas

Réunion du 20 novembre 2015 à 15h00
Prorogation de l'état d'urgence — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Philippe BasPhilippe Bas, rapporteur :

Je salue également les inflexions très importantes qui viennent d’être apportées, avec pragmatisme, à la politique de la nation, dont la priorité est désormais donnée à l’éradication de l’organisation criminelle qui s’est abusivement donné le nom d’État islamique. Cette organisation se rend coupable de crimes contre l’humanité. La combattre jusqu’à son élimination est un objectif qui doit dorénavant l’emporter sur tous les autres dans notre politique en Syrie. De même, la volonté de fortifier notre coopération avec la Russie au Proche-Orient et l’appel au Conseil de sécurité des Nations unies constituent des évolutions qui méritent d’être approuvées.

À l’évidence, la lutte contre le terrorisme, ce n’est pas seulement l’état d’urgence, c’est aussi la politique étrangère, la politique européenne et l’action de nos forces armées, dont l’engagement vient d’être accru au Proche-Orient.

Vous nous avez saisis d’un texte très important. Il ne vise pas seulement à proroger l’état d’urgence. Il vise à étendre les pouvoirs exceptionnels confiés au ministre de l’intérieur et aux préfets quand l’état d’urgence est déclaré ainsi qu’à conforter la légalité des mesures prises dans ce cadre juridique et les modalités de leur contrôle juridictionnel. Sur ces points, je veux poser trois préalables.

Tout d’abord, l’état d’urgence, ce n’est en aucun cas la suspension de l’État de droit ; c’est au contraire son prolongement dans des circonstances exceptionnelles qui le menacent en mettant en péril la sécurité publique, sans laquelle l’exercice des libertés publiques deviendrait impossible. La déclaration d’urgence, son champ d’application et les mesures d’interdiction, de perquisition ou d’assignation à résidence susceptibles d’être prises en cette situation sont toutes passibles de recours devant le tribunal administratif ou le Conseil d’État et seront annulées si elles ne sont pas strictement justifiées et proportionnées aux circonstances qui les fondent.

Ensuite, dans le contexte que nous connaissons, j’ai estimé que notre travail législatif, lui-même contraint par l’urgence puisque l’état d’urgence tomberait le 26 novembre à zéro heure si le législateur n’autorisait pas sa prorogation, devait reposer sur un processus coopératif lui-même exceptionnel – mais éventuellement reproductible – entre le Gouvernement, l’Assemblée nationale et le Sénat. C’est ce que nous avons fait, depuis dimanche dernier, afin de forger un large accord entre le Gouvernement, les rapporteurs des deux assemblées et les assemblées elles-mêmes sur la rédaction du texte qui nous est soumis.

Je suis allé jusqu’à proposer au Gouvernement un amendement, à mes yeux très important, affirmant le rôle du juge judiciaire dans le cadre des perquisitions administratives autorisées par l’état d’urgence. Vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre, cet amendement a été voté à l’unanimité par l’Assemblée nationale et son origine sénatoriale a loyalement été reconnue. Comme nous l’avons fait pour la loi relative au renseignement, il traduit la vigilance du Sénat dans l’application de l’article 66 de notre Constitution. L’autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles, doit voir ses prérogatives reconnues, même lors de la mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels de la loi de 1955.

De la même façon, j’ai donné mon plein accord à toutes les dispositions qui facilitent le contrôle de la légalité des actes pris dans le cadre de l’état d’urgence, afin de rendre le contrôle des tribunaux administratifs et du Conseil d’État plus rapide et plus effectif.

Enfin, je veux soulever la question de la conformité, à la Constitution et à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de la loi de 1955, telle qu’elle a été modifiée par l’ordonnance de 1960 – donc, sous le régime de la Ve République – et telle qu’elle va l’être de nouveau, de manière substantielle aussi, si nous adoptons le présent projet de loi.

Notons déjà qu’en supprimant la possibilité d’une censure de la presse et des publications, le projet de loi élimine une difficulté possible. De même, en précisant les conditions de la légalité des décisions du pouvoir exécutif, il évite qu’on reproche au législateur de n’avoir pas pleinement satisfait aux obligations de l’article 34 de la Constitution, qui lui impose de fixer les règles relatives au respect des libertés publiques et de le faire lui-même, sans déléguer cette mission au pouvoir réglementaire.

Au-delà de ces aménagements législatifs importants, je veux souligner que la loi de 1955 est compatible avec la convention européenne des droits de l’homme, dont l’article 15 prévoit expressément la possibilité de restrictions aux libertés en cas de danger public menaçant la vie de la nation.

Je veux également souligner que le Conseil d’État, tout récemment, dans son avis du 17 novembre, s’est prononcé favorablement sur la constitutionnalité du texte qui nous est soumis et qui réforme en profondeur la loi de 1955.

Je veux souligner enfin que le Conseil constitutionnel, dans une décision de 1985, a déjà eu l’occasion d’affirmer que le défaut de référence à l’état d’urgence dans la Constitution n’avait pas eu pour effet d’abroger la loi de 1955, ainsi implicitement acceptée par le Conseil.

J’entends cependant des interrogations et, parfois, la crainte que, saisi par la voie d’une question prioritaire de constitutionnalité à l’occasion de la contestation d’une mesure prise dans le cadre de l’état d’urgence – possibilité de recours qui n’existe que depuis 2008 –, le Conseil constitutionnel n’en vienne, contre toute prévision, à prononcer l’inconstitutionnalité de telle ou telle disposition de la loi de 1955 que nous devons modifier. Je vous dis tout de suite que je ne crois pas à cette éventualité. Toutefois, monsieur le Premier ministre, si vous partagez ces interrogations, il vous est facile de les lever immédiatement. Il vous suffit pour cela d’user du pouvoir que vous donne la Constitution de saisir, dès après le vote, le Conseil constitutionnel, qui ne manquerait pas de vous répondre en temps utile, dans des délais garantissant la prorogation de l’état d’urgence à compter du 26 novembre.

Je voudrais dire aussi – ce point est pour moi essentiel – que les pouvoirs exceptionnels que l’état d’urgence confère au Gouvernement et aux préfets ne sont concevables, dans le respect de la Constitution, que parce qu’ils sont temporaires, et non permanents. Cela implique tout d’abord le contrôle du Parlement, que l’Assemblée nationale a renforcé, contrôle qui est garant de la protection des libertés de nos concitoyens. Il n’y a pas de prorogation sans loi et pas de loi sans justifications suffisantes de la part du Gouvernement. Cela implique ensuite la perspective d’un retour à la normale, comprenant la plénitude des garanties que notre État de droit fait respecter pour la défense des libertés individuelles et collectives. C’est dire que l’approbation donnée par la commission des lois à ce texte n’emporte pas mandat donné par le Sénat au Gouvernement de rendre permanent tout ou partie des pouvoirs donnés à la police par la déclaration de l’état d’urgence.

Ces préalables étant posés, mes chers collègues, je veux vous rendre compte brièvement des travaux de la commission des lois. Elle a adopté le projet de loi, sans le modifier, en tenant compte des amendements votés, avec son accord, à l’Assemblée nationale. Elle a ainsi estimé que le délai de trois mois était justifié. Il aurait pu être de six mois, mais ce délai plus court permet un meilleur contrôle du Parlement sur l’éventuelle prolongation de l’état d’urgence. La commission a également été très attentive à toutes les dispositions qui renforcent les pouvoirs exercés par l’exécutif dans le cadre de l’état d’urgence, comme à celles qui améliorent les contrôles de légalité des mesures prises en exécution de la loi de 1955.

Bien évidemment, la commission des lois s’organisera, si le texte est adopté, pour assurer le suivi continu de ces mesures. C’est donc à une très large majorité qu’elle a approuvé ce texte essentiel pour la lutte contre le terrorisme.

Après les crimes de masse odieux perpétrés le 13 novembre dernier, le Sénat, parce qu’il entre dans sa vocation de trouver le meilleur équilibre entre les nécessités de la lutte contre le terrorisme et l’exigence de la protection des libertés publiques, estime avoir joué son rôle, en veillant à ce que cet équilibre ne soit pas exagérément modifié par la mise en œuvre de l’état d’urgence.

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