Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en son article 19, le projet de loi prévoit le transfert des personnels d’orientation de l’AFPA vers Pôle emploi. Or cette disposition est contestable à plusieurs égards, car elle retire à cet organisme, dont les compétences et performances sont reconnues, sa qualité de service public de l’emploi, le requalifiant de simple « organisme de formation ».
Le transfert des personnels d’orientation traduit la fin du service public que l’AFPA accomplissait, en lien avec l’État et les régions. L’article 19 achève ainsi de démanteler ce segment du service public de l’emploi que le droit européen soumet par ailleurs à la libre concurrence.
Les régions et Pôle emploi devront désormais soumettre leurs actions de formation à une obligation de mise en concurrence. Si l’on considère que cette perspective, toute regrettable qu’elle soit, est aujourd’hui inévitable, il convient de l’assortir des meilleures garanties, afin que le marché de la formation professionnelle ne se transforme pas en « foire du moins-disant », où les règles de libre concurrence, dont nous connaissons l’agressivité, et souvent même l’absurdité, se contenteraient de tirer la qualité vers le bas.
Contrairement à ce qui nous est affirmé, ces garanties ne sont pas incompatibles avec l’idée du service public, tout au moins avec celui de la formation professionnelle, qui, s’il bénéficie de cette qualification, peut s’appuyer en interne sur des personnels d’orientation.
Monsieur le secrétaire d'État, vous nous avez fait part des obstacles juridiques que présente un tel choix, mais nous pouvons compter sur les multiples ressources du droit français, qui est riche en nuances ! Je pense, notamment, au mécanisme de la délégation de service public, qui concilie la mise en concurrence et l’intérêt général.
J’illustrerai mon propos par un exemple récent : dans le département dont Marie-Christine Blandin est l’élue, la sélection d’un lot « transport » n’a porté que sur des critères théoriques, aucunement liés à la capacité réelle de dispenser ces formations. Il en résultera inévitablement un recours systématique à la sous-traitance et une imprécision hallucinante quant aux qualités de l’opérateur retenu.
Pourtant, c’est de l’avenir des salariés en phase de réinsertion qu’il s’agit, un enjeu essentiel, si on l’en croit l’exposé des motifs du projet de loi sur lequel nous nous apprêtons à statuer, et dont nous peinons à croire qu’il relève simplement du secteur marchand, alors que son objectif est l’emploi ou même « le développement social et culturel du salarié ».
Mes chers collègues, nous devons opter pour une autre voie et affirmer, d’une manière ou d’une autre, les qualités reconnues de l’AFPA, que l’on ne peut sacrifier à une prétendue « concurrence libre et parfaite », dont les offres manquent de crédibilité, voire de sincérité quant à leur intérêt pour la matière proposée.
On ne s’improvise pas formateur ! C’est tout l’intérêt des précautions contenues dans une délégation de service public : il faut exiger de celui qui remportera la délégation de service public des garanties de sérieux et de sincérité, grâce auxquelles I’AFPA pourra valablement présenter sa candidature sans craindre d’être victime d’un dumping concurrentiel.
En effet, outre l’apprentissage du geste professionnel, l’AFPA assure des services associés qui permettent l’insertion sociale, voire la resocialisation de la personne en cours de formation. Elle propose, notamment, une approche de l’enseignement fondée sur une dynamique de groupe, ainsi que des formules de restauration et de logement adaptées à des publics de tous horizons, surtout d'ailleurs aux personnes qui sont en difficulté. Car, ne l’oublions pas, les formations de type IV et V, qui constituent les principales activités de l’AFPA, obéissent à un objectif d’insertion.
L’insertion sociale à laquelle participe la pédagogie de groupe est une priorité à intégrer : la personne formée doit apprendre le geste professionnel, certes, mais aussi être capable de travailler au sein d’un collectif et d’accepter librement les contraintes imposées par le travail.
La cohabitation sereine est nécessaire au monde du travail, comme elle l’est à la société tout entière. D’ailleurs, elle est aussi un gage de performance économique ; monsieur le secrétaire d'État, j’ose espérer que vous serez sensible à ce vocable, proche des dogmes que le Gouvernement défend sans cesse.
Fort de cet aspect non marchand, qui appréhende l’individu dans sa globalité et pas seulement à l’aune du simple geste professionnel, il paraît indispensable que soit réalisée une mise en concurrence de l’AFPA, à la faveur de délégations de service public.
Je tiens à insister sur cette nécessité : il ne s’agit en rien de conserver des acquis ; notre objectif est de prémunir cet outil performant qu’est l’AFPA contre des mises en concurrence qui pourraient déboucher sur des résultats grotesques, le lot éligible étant le moins à même d’accomplir sa mission.
Au-delà de la qualité de l’accompagnement, il y a un autre avantage à conserver la qualité de service public : la réactivité. En temps de crise, l’AFPA, telle que nous la connaissons aujourd’hui, a systématiquement été sollicitée pour mettre en œuvre des formations en adéquation avec l’offre. Souvent, le temps de réponse était d’un mois, grâce à l’économie des délais de mise en concurrence.
En outre, l’argument selon lequel le secteur marchand entraîne des coûts de fonctionnement moindres n’est pas fondé, car l’AFPA a brillamment rempli les termes du contrat de progrès passé avec l’État voilà quatre ans, afin de rationaliser au mieux ses dépenses internes.
Mes chers collègues, je vous demande donc de changer de logique, en passant du marché public à la délégation de service public pour les formations que diligenteront Pôle emploi et les régions.