Intervention de Michel Vaspart

Réunion du 24 novembre 2015 à 22h15
Organisation de la manutention dans les ports maritimes — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Michel VaspartMichel Vaspart :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons ce soir les conclusions de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à consolider et clarifier l’organisation de la manutention dans les ports maritimes, qui s’est réunie le 10 novembre dernier et est parvenue à un accord.

Je ne reviens pas en détail sur le contenu de cette proposition de loi, que nous avons examinée en commission le 7 octobre et dans l’hémicycle le 15 octobre.

Je vous rappelle simplement que le régime d’emploi des dockers est issu de la loi du 9 juin 1992 modifiant le régime du travail dans les ports maritimes, dite « loi Le Drian ». Cette réforme courageuse avait mis fin à quarante-cinq ans d’un monopole syndical qui avait, au fil des années, gravement fragilisé la compétitivité de nos ports.

C’est pourquoi cette proposition de loi ne doit pas remettre en cause le délicat équilibre de 1992 : il ne s’agit ni d’une réforme du régime des dockers ni d’une réforme portuaire, qui nécessiteraient un texte autrement plus ambitieux.

L’objectif initial du texte est ainsi de corriger une difficulté d’interprétation juridique posée par la disparition progressive de la catégorie des dockers intermittents, au profit des dockers mensualisés en contrat à durée indéterminée, tel que cela a été prévu par la loi Le Drian de 1992.

À ce sujet, le Sénat a salué le travail du groupe présidé par Martine Bonny, qui a fourni un rapport d’une grande qualité, en ce qui concerne les aspects juridiques liés au régime des dockers. Nous ne pouvons que nous féliciter que le dialogue social fonctionne dans un secteur historiquement marqué par de très nombreux conflits.

Le Sénat s’est évidemment prononcé en faveur du toilettage qui vise à « décorréler » la priorité d’emploi et la présence de dockers intermittents sur une place portuaire, puisque ceux-ci sont en voie de disparition. Il est indispensable de lever l’ambiguïté juridique qui est à l’origine de l’affaire de Port-la-Nouvelle, tous les acteurs en sont conscients.

Le Sénat, en revanche, a exprimé des inquiétudes quant aux autres dispositions de cette proposition de loi, qui prétexte l’affaire de Port-la-Nouvelle pour modifier plusieurs points de la réforme Le Drian de 1992.

Il s’agit, en particulier, du sujet délicat du périmètre de la priorité d’emploi des ouvriers dockers : d’un côté, les dockers sont attachés à leur « pré carré », qui leur apporte une certaine garantie d’emploi ; de l’autre, les entreprises peuvent être tentées d’avoir recours à une main d’œuvre moins onéreuse.

Sur cette question essentielle pour la compétitivité de nos ports, le Sénat a regretté les mauvais choix du Gouvernement en termes de calendrier et de méthode.

En effet, le rapport Bonny ne dit absolument rien sur les conséquences économiques des modifications proposées. Une solide étude d’impact aurait dû nous éclairer sur ce point. Cependant, le Gouvernement a fait le choix de déguiser un projet de loi en proposition de loi, de surcroît examinée en procédure accélérée alors qu’aucune urgence ne le justifie, ce qui nous prive de ces éléments précieux.

Au final, on ignore absolument tout des conséquences de l’entrée en vigueur de ces dispositions pour un grand nombre d’entreprises, dont les marges sont déjà très faibles.

De plus, ce texte anticipe sur les discussions prévues en 2016 au comité du dialogue social sectoriel européen pour les travailleurs portuaires, afin d’élaborer des lignes directrices pour la formation des ouvriers dockers et d’éviter le dumping social. Aucune urgence ne le justifie sachant que, contrairement à la Belgique ou à l’Espagne, notre réglementation n’a fait l’objet d’aucune mise en demeure de la Commission européenne.

Pour ces raisons, le Sénat a estimé que la mise en œuvre de certaines dispositions était, au mieux inutilement précipitée, au pire dangereuse. Pour préserver ce qui fonctionne, nous avons fait le choix d’écarter toute modification susceptible d’aboutir à des conséquences économiques mal maîtrisées.

À l’issue d’un large débat, la commission mixte paritaire a cependant décidé de revenir à la version du texte adoptée par l’Assemblée nationale le 25 juin 2015.

Je crois qu’il est peu constructif de prolonger davantage le débat. Nous avons exprimé fortement nos doutes et nos inquiétudes quant à la compétitivité, déjà fragile, de nos places portuaires. L’avenir nous dira si nous avons eu raison de vouloir être prudents ; j’espère sincèrement que cela ne sera pas le cas.

J’en profite, monsieur le secrétaire d’État, pour vous rappeler que l’Assemblée nationale examine actuellement la proposition de loi pour l’économie bleue. Ce texte n’est, lui aussi, qu’un projet de loi déguisé regroupant une myriade de dispositions issues de divers ministères en rapport avec le monde maritime. Il s’agit en quelque sorte d’une « loi Macron » de la mer, dont l’origine est bel et bien gouvernementale.

Comme vous avez pu le constater, le Sénat est très attaché à l’impact économique des dispositions qu’il examine. Sans doute le Gouvernement pourra-t-il nous fournir, en temps voulu, une étude d’impact en bonne et due forme des dispositions de ce texte, afin de ne pas répéter le même scénario qu’avec cette proposition de loi relative aux dockers ? Vous n’aurez pas cette fois l’argument du dialogue social pour vous justifier. Pouvons-nous, monsieur le secrétaire d’État, compter sur votre engagement sur ce point ?

Enfin, l’examen de cette proposition de loi relative aux dockers est l’occasion de rappeler le rôle essentiel des ports et du transport maritime pour l’avenir de notre pays. Toutes les grandes économies du monde disposent de ports puissants et de nombreux navires pour exporter leurs productions. Il n’y a pas de grand pays industriel qui ne soit pas aussi un grand pays maritime. C’est une loi intangible, de la Venise d’hier à la Chine d’aujourd’hui, disait un de mes collègues la semaine dernière.

Or, en matière maritime, nous sommes en train d’aller à rebours de toute logique économique et historique. Le document de politique transversale relatif à la politique maritime de la France, que nous examinons avec le budget 2016, montre que les pouvoirs publics ne consacrent même pas un dixième de point de PIB à notre politique maritime, alors que la France possède le deuxième domaine maritime du monde, que 90 % des échanges mondiaux transitent par la mer et que l’on prétend faire le pari de la croissance bleue !

Je regrette, monsieur le secrétaire d’État, qu’il n’y ait pas une vraie volonté d’agir pour retrouver la vocation maritime de notre pays, au moyen de mesures économiques ambitieuses, et non uniquement de simplification administrative.

Je pense qu’en la matière nous ne pouvons plus nous satisfaire des annonces grandiloquentes autour d’une politique maritime ambitieuse ou d’une nouvelle stratégie nationale de la mer et du littoral, annoncée chaque année pour mieux être repoussée.

Le comité interministériel de la mer du 22 octobre dernier a été l’occasion d’annoncer quelques améliorations procédurales bienvenues, mais je n’y vois rien qui puisse permettre à nos grands ports de concurrencer Rotterdam, Anvers ou Hambourg.

Pour l’heure, afin de nous épargner une nouvelle lecture qui ne ferait pas progresser le débat, je vous invite, mes chers collègues, à vous abstenir sur le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire, en ayant la satisfaction du devoir accompli.

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