En général, lorsque je fais une suggestion, je tâche que la proposition corresponde à mes attentes ! En l’occurrence, ce n’est pas le cas avec ce texte, fort pertinent et très intéressant au demeurant, et dont votre assemblée aura l’occasion de débattre – je ne doute pas que le Sénat s’investira également de façon forte.
Pour en revenir au texte que nous examinons aujourd'hui, j’apprécie la position qui a été exprimée par la commission. Le débat que nous avons eu a été posé dans les bons termes.
Il y a d’abord eu un événement dans un port en particulier, mais nul ne peut dire que l’objet de cette proposition de loi est de régler une affaire locale : le vrai risque, mesuré par les pouvoirs publics à l’époque, était celui de la contagion. Le problème constaté à la fois par les employeurs et par les employés à Port-la-Nouvelle pouvait très bien se répéter dans d’autres ports si nous ne disposions pas d’une réponse institutionnelle ou légale. Il fallait donc intervenir, en raison du risque de contagion.
Deux réponses étaient possibles. Nous pouvions réagir immédiatement, par un texte, un décret, une interprétation. Un recours en justice pouvait aussi être envisagé.
C’est une autre méthode qui a été choisie : il a été décidé, au travers de la mission confiée à Mme Bonny, de dialoguer et d’expertiser. C’est sur ce point qu’il y a depuis le début entre nous une différence d’approche.
Sur le plan formel, il n’est pas exact d’affirmer qu’aucune étude d’impact n’a été réalisée sur ce texte. Le rapport de Mme Bonny est bien plus riche que la plupart des études d’impact soumises au Parlement. Trente réunions ont été organisées, qui ont fait l’objet d’un compte rendu et de nombreuses discussions. À l’issue de ces travaux est née une proposition. L’accord dont elle a fait l’objet peut certes, du point de vue strictement juridique, laisser certains interrogatifs, mais nous connaissons tous la situation et la longue histoire du statut des dockers, que vous avez rappelées à juste titre, monsieur le rapporteur. Lorsque l’on est confronté à ce type de problème et que les représentants des employeurs, via leur syndicat, et les salariés tombent d’accord sur une solution commune, comment refuser de lui donner une traduction législative ?
Voilà pourquoi la proposition de loi que nous examinons ce soir me paraît être la bonne réponse. Ce texte s’inscrit dans une sorte de dynamique. Mais pour aller jusqu’au bout de mon propos, je suis d’accord avec vous : il y aura également une dynamique dans l’application de cette réponse. Au fond, le contrat que j’ai proposé au Parlement est de faire confiance aux partenaires sociaux, mais pas en leur abandonnant notre droit à légiférer. Je l’ai dit et je le redis : les seuls qui peuvent faire la loi sont les représentants du peuple, à savoir l’Assemblée nationale et le Sénat.
La question est d’ordre non pas juridique, mais uniquement politique. Compte tenu de la dimension du problème, la réponse n’était-elle pas, justement, que le législateur acceptât d’inscrire dans la loi, dans l’ordre juridique, ce que les partenaires sociaux avaient arrêté à l’issue de cette longue procédure ? Je pense que c’est la bonne solution.
Nous observerons ce qui va se passer par la suite. Mais n’oublions pas quelle a été la procédure suivie. Il y avait, au départ, un conflit, avec un risque de contagion, à la suite de quoi le Gouvernement a adopté une méthode et mis en place une expertise. Puis une négociation a eu lieu, laquelle a abouti à un accord.
Je souhaite que, pour d’autres situations conflictuelles, cette procédure aboutisse au même résultat. C’est ce que souhaite le Gouvernement, et j’ai bien compris au travers de vos interventions, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous acceptiez de suivre cette démarche. La commission mixte paritaire est en effet parvenue à un accord, dans des conditions politiques particulières, qui sortent de l’ordinaire, les députés centristes ayant soutenu le texte. Le débat devant l’Assemblée nationale a montré qu’il ne s’agissait pas d’un soutien de circonstance : des phrases très fortes ont d’ailleurs été prononcées par le représentant du groupe UDI, à la fois sur la méthode et sur le fond.
Qu’aux travaux de la commission mixte paritaire succède, au Sénat, une abstention compréhensive et l’adoption de ces conclusions, c’est une bonne chose. Ce travail positif pourra servir d’exemple, je le crois profondément, pour bâtir la démocratie sociale dans notre pays, et pour réussir cette alchimie – compliquée, je le reconnais ! – entre démocratie sociale et démocratie politique. Il y a beaucoup à construire de ce point de vue. Ce texte n’est peut-être qu’une petite étape, mais je suis certain que, dans les années à venir, nous rencontrerons souvent des situations de ce type.
Ma conviction profonde, et de longue date, est que la société avance mieux quand ce qui est, au départ, un rapport de forces finit par un contrat. Sur le dossier des dockers, donner cette chance de vivre à la démocratie sociale, c’est un acte très positif. J’invite donc le Sénat à voter les conclusions de la commission mixte paritaire.