Je crois que nos points de vue ne divergeront pas sur la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », à laquelle nous sommes tous attachés. Le contexte y incite. Il est bien différent de celui de l'an dernier, ou même de celui dans lequel nous avons auditionné le ministre il y a trois semaines. En une nuit, le 13 novembre, tout a basculé et ces attentats nous ont rappelé que la France est engagée dans un conflit d'un nouveau genre, contre une organisation qui combat nos valeurs par la terreur. Ces événements tragiques montrent combien les politiques publiques portées par cette mission sont encore et toujours essentielles dans la perpétuation du pacte républicain. Ils font mentir ceux qui estiment qu'une telle mission est condamnée à s'éteindre progressivement avec la disparition des générations des conflits de l'armée de conscription.
Le budget de la mission s'élève à 2,61 milliards d'euros. Elle est composée de trois grands programmes. Le premier, intitulé « Liens entre la nation et son armée », traite de sujets importants tels que la Journée Défense et Citoyenneté (JDC) et la politique mémorielle, malgré un poids budgétaire limité de 37,5 millions d'euros. Le programme « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant » comprend l'ensemble des rentes et pensions versées aux anciens combattants. Il regroupe l'essentiel des crédits de la mission, soit 2,4 milliards d'euros. Le troisième programme a pour objet l'indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie commis pendant la deuxième guerre mondiale, pour un montant de 100,75 millions d'euros.
Il ne faut pas nier la diminution du nombre de bénéficiaires des principales prestations servies au titre du droit à réparation. Le nombre de titulaires de la retraite du combattant devrait baisser de 4,1 % entre 2015 et 2016, et celui des personnes touchant une pension militaire d'invalidité (PMI) de 4,8 %. En conséquence, le budget de la mission sera, en 2016, inférieur de 4,7 % au niveau qui était le sien en 2015. Cette baisse est inférieure à celle subie cette année mais bien supérieure à des années précédentes.
Il avait été décidé l'an dernier d'élargir les conditions d'attribution de la carte du combattant aux soldats ayant servi en opération extérieure (Opex). Cette mesure n'a pas encore d'impact budgétaire car une très faible part des 150 000 militaires qui pourraient en bénéficier a atteint l'âge à partir duquel est versée la retraite du combattant (65 ans) ou est attribuée une demi-part fiscale (75 ans). Rappelons également que la reconnaissance de la Nation en faveur du monde combattant a une traduction non seulement budgétaire mais également fiscale. Le montant des dépenses fiscales associées à la mission s'élèvera à 789 millions d'euros en 2016. Leur rythme d'augmentation est assez dynamique et ce d'autant plus que l'Assemblée nationale a adopté un amendement, contre l'avis du Gouvernement, abaissant à 74 ans l'âge à partir duquel la demi-part est accordée, pour un coût de 44 millions d'euros par an. Je suis moi aussi réservé sur cette mesure et je note que les associations sont avant tout désireuses de stabilité et ne souhaitent pas voir s'ouvrir à nouveau un débat sur les enjeux fiscaux.
A mes yeux, l'un des principaux aspects de cette mission est l'entretien et l'affermissement du lien armée-Nation. Ce n'est pas le plus coûteux - 3,5 millions d'euros - mais c'est celui qui, plus encore depuis les attentats de Paris, doit être développé car il contribue à la cohésion de notre société et à la promotion de ses valeurs. Son principal élément, la JDC, est obligatoire, depuis la suspension de la conscription, pour tous les jeunes Français âgés de 16 à 25 ans. Le nombre de participants, en croissance ininterrompue depuis le début des années 2010 en raison de classes d'âge plus nombreuses, atteindra prochainement les 800 000 par an. Seuls 3 % des classes d'âges concernées continuent de ne pas respecter cette obligation, ce qui les prive de certains droits comme celui de passer le permis de conduire ou les concours organisés par l'Etat jusqu'à l'âge de 25 ans. Il s'agit d'ailleurs d'un sujet dont nous pourrions débattre : ce mécanisme de sanction lié au fait de ne pas avoir fait la JDC ne pourrait-il pas être maintenu après l'âge de 25 ans ?
J'ai assisté la semaine dernière à une JDC au centre du service national de Paris, qui se situe au fort de Vincennes. J'ai pu constater que le recentrage de son contenu sur la présentation des armées et des menaces qui pèsent sur notre pays et auxquelles elles doivent répondre permet désormais de sensibiliser pleinement nos jeunes aux problématiques de défense. Le Sénat débat parfois d'amendements visant à étendre le champ des sujets traités lors de la JDC. Cette journée est déjà très chargée, je crois préférable de la centrer sur les sujets directement liés aux questions de défense. En revanche, dans la mesure où la JDC doit permettre de détecter des personnes en situation de décrochage scolaire ou professionnel, il est légitime qu'une information soit fournie sur tous les dispositifs de soutien à l'orientation et à l'insertion (missions locales, Epide, etc.).
Les deux animateurs de la session, des militaires d'active, sont parvenus à établir un dialogue et lancer un débat avec leur auditoire sur les évolutions du monde contemporain, les valeurs de la République, les droits et les devoirs des citoyens ou encore le devoir de mémoire. Les jeunes ont pu échanger avec des soldats servant dans l'opération Vigipirate et ont fait preuve, au vu du nombre de questions posées, d'un grand intérêt pour la condition militaire et le service de leur pays. Sans doute les événements que nous venons de vivre contribuent-ils à renforcer cet intérêt.
La JDC est le seul moment où toute une génération de Français est en contact avec son armée. C'est également la seule journée où, toutes origines sociales confondues, ils sont brassés et extraits de leur milieu social. Dans le contexte actuel, il me semble qu'elle pourrait également être l'occasion de détecter les comportements qui peuvent constituer des signes avant-coureurs de radicalisation. J'en ai moi-même été le témoin, puisque lors de cette session un jeune a cherché, à plusieurs reprises, à mettre en difficulté les animateurs sur les valeurs de la République et les interventions françaises à l'étranger. Vendredi dernier à Nantes, une jeune femme a refusé de retirer son voile pour participer à la JDC. Ces situations sont traitées au cas par cas et conduisent chaque année à réaliser une cinquantaine de signalements auprès de la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD). Pour en avoir été témoin et au regard du contexte que nous connaissons, j'insiste sur le fait que ce type de journée est réellement utile pour repérer des fragilités.
Je tiens également à dire un mot d'un nouveau dispositif qui ne relève pas de la mission mais contribue très largement au renforcement du lien armée-Nation : le service militaire volontaire (SMV). La loi du 28 juillet 2015 a prévu son expérimentation pour deux ans, sur le modèle du service militaire adapté (SMA) existant outre-mer. Les deux premiers centres ont ouverts cet automne et accueillent pour l'instant environ 210 volontaires, orientés pour la plupart par les missions locales. Ce dispositif vise à permettre véritablement aux jeunes d'acquérir des compétences, de mener à bien leur projet professionnel et de retrouver, grâce au statut militaire, un cadre qu'ils ont parfois perdu. Au total, 1 000 jeunes devraient prendre part, sur deux ans, à l'expérimentation. Positive pour les jeunes, cette expérimentation permet aussi à l'armée de terre, qui s'y est pleinement investie, de démontrer ses capacités d'encadrement et la pertinence de ses valeurs et de son mode d'organisation pour préparer des jeunes à affronter le monde du travail.
Le second volet du lien armée-Nation repose sur la politique de mémoire. Sans y revenir longuement, puisque le ministre l'a détaillée lors de son audition, elle prend plusieurs formes : valorisation et entretien des hauts lieux de mémoire, soutien à des actions pédagogiques comme le concours national de la Résistance et de la Déportation (CNRD), organisation des cérémonies nationales et des commémorations ponctuelles. Après une année 2014 marquée par le centenaire du déclenchement de la Première Guerre mondiale et le soixante-dixième anniversaire des débarquements alliés en France, puis en 2015 un ralentissement du rythme avec en point d'orgue l'entrée au Panthéon de quatre figures de la Résistance, 2016 verra une nouvelle montée en puissance du cycle commémoratif, avec le centenaire des batailles de Verdun et de la Somme qui devrait s'organiser autour de deux temps forts. Le 29 mai, une cérémonie réunira à Verdun, autour du Président de la République et de la chancelière allemande, 4 000 jeunes venus de France et d'Allemagne. La bataille de la Somme sera célébrée le 1er juillet, avec une participation active du Royaume-Uni et des pays du Commonwealth. Le budget consacré à cette politique est de 22,2 millions d'euros, en baisse de 5,1 %. Il est toutefois heureux de constater que la Mission du Centenaire, qui joue un rôle clé, est pérennisée. Cette structure très ramassée - 7 ETP - a démontré son efficacité et su mener une politique active de mécénat, même si elle doit parfois composer avec des difficultés bureaucratiques externes.
J'aimerais maintenant insister sur un point qui cristallise les craintes du monde combattant : la modernisation de la politique d'action sociale dont il bénéficie et des opérateurs qui la mettent en oeuvre. Le principal est bien sûr l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (Onac), dont chacun ici connaît le rôle essentiel qu'il joue dans nos départements.
Il a connu depuis cinq ans une profonde évolution de ses missions et de son organisation. Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) puis de la modernisation de l'action publique (MAP), de nouvelles compétences lui ont été confiées, comme la délivrance de l'ensemble des cartes et titres, l'entretien des sépultures de guerre ou la gestion des prestations à destination des harkis et des rapatriés, afin d'améliorer l'efficience de cette politique publique. Confronté à de tels bouleversements, l'Onac a connu des difficultés d'adaptation et des erreurs de gestion ont été commises, en particulier en matière de commande publique et de systèmes d'information. Je veux parler du fiasco du logiciel Kapta. Une nouvelle direction, en place depuis maintenant deux ans, a redressé la barre. Si sa tâche est loin d'être terminée, j'ai pu constater la mobilisation des personnels en allant les rencontrer.
L'Onac va être confronté à des bouleversements dans les années à venir puisque ce sont bientôt les anciens des Opex qui constitueront l'essentiel de ses ressortissants. Sa direction se met en ordre de marche pour être en mesure de répondre à des besoins et des attentes qui vont évoluer. Cela est indispensable car la Nation doit montrer à ceux qui ont servi dans son armée qu'elle reste présente une fois qu'ils ont quitté le service actif pour les accompagner dans leurs projets. S'y ajoutent des enjeux informatiques importants. A l'heure actuelle, aucun système d'information de gestion des ressources humaines n'est en place : ce sont toujours cinq gestionnaires qui gèrent à la main les 1 700 personnels de l'Onac, faute de pouvoir utiliser les outils développés par l'Etat en la matière. La modernisation passe également par la cession des établissements médico-sociaux de l'Onac à des acteurs publics dont la formation des travailleurs handicapés ou l'hébergement des personnes âgées constitue le coeur de métier. Elle devrait être effective dès 2016 pour les écoles de reconversion professionnelle et au plus tard le 31 décembre 2017 pour les Ehpad, comme le prévoit l'article 33 septies du PLF.
Concernant l'action sociale, j'ai comme vous tous été sensibilisé par les associations aux inquiétudes liées à la disparition de l'aide différentielle au conjoint survivant (ADCS). Cette aide avait été mise en place en 2007 sur la base d'une simple instruction du directeur de l'Onac. De fait, elle ne disposait pas de la base juridique suffisante pour subsister. Le choix a donc été fait, et validé à l'unanimité par le conseil d'administration de l'Onac, où siège le monde combattant, de remettre à plat cette politique d'aide sociale. 2 millions d'euros supplémentaires y seront consacrés en 2016 et l'Onac sera bien évidemment attentif au suivi des personnes qui bénéficiaient de l'ADCS.
La typologie des aides va être simplifiée, et ce nouveau mécanisme d'aide individuelle bénéficiera également aux anciens combattants les plus démunis, qui ne pouvaient pas toucher l'ADCS. Ce sont les services départementaux de l'Onac qui étudieront les demandes et des commissions départementales qui prendront la décision d'attribution. Pour diminuer le risque que des inégalités de traitement entre départements n'apparaissent, des instructions devraient être données pour harmoniser les critères (financiers, sociaux, de logement, de précarité, etc.) à prendre en compte. Une commission nationale devrait examiner les recours formulés contre les décisions de rejet d'octroi d'aides.
L'Onac doit par ailleurs développer sa politique à destination de deux nouveaux publics, les anciens des Opex, les harkis et les rapatriés, pour lesquels l'Onac est devenu le guichet unique. Il est indispensable d'améliorer l'information en direction de cette dernière population, toujours légitimement meurtrie par le traitement que la France lui a réservé.
Un mot enfin sur le programme 158, qui porte sur l'indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la Seconde Guerre mondiale. La Commission d'indemnisation pour les victimes des spoliations (CIVS) a été reconduite pour cinq ans. Aucune forclusion des mécanismes concernés n'est envisagée, et les indemnisations se poursuivent, à un rythme certes moins soutenu que dans les années 2000. Il s'agit d'une structure légère, efficiente et mobilisée. La perspective d'une refonte des décrets pour élargir le champ de ces dispositifs à tous les orphelins de guerre ne se rapproche pas puisqu'une telle mesure aurait un coût d'environ 2 milliards d'euros. Le travail de recherche des victimes de spoliations se poursuit. Il faut toutefois savoir que si les oeuvres d'art concentrent, dans ce domaine, l'attention médiatique, elles ne représentent qu'une très faible part des dossiers traités.
J'en viens maintenant aux trois mesures nouvelles prévues dans le cadre de ce budget, dont le coût s'élève 5,2 millions d'euros, soit un niveau très inférieur à celui de la diminution mécanique des crédits, lié à la démographie, qui s'établit à 135 millions d'euros. La mission participe donc activement à l'objectif de réduction des déficits, alors même que certains besoins ne sont sans doute pas encore tout à fait satisfaits.
La première mesure porte sur l'assouplissement des critères de versement et sur le lissage des effets de seuil liés à la majoration spéciale dont bénéficient les veuves de grands invalides qui ont dû cesser toute activité professionnelle pour s'occuper de leur mari (article 49). Le temps passé auprès du conjoint pour pouvoir prétendre au bénéfice de la majoration, que nous avions déjà ramené de 15 à 10 ans, sera l'année prochaine fixé à 5 ans. La deuxième mesure consiste à étendre le bénéfice de la campagne double aux anciens combattants d'Algérie agents publics qui avaient liquidé leur pension de retraite avant le 19 octobre 1999, qui correspond à la date à laquelle la guerre d'Algérie a officiellement été reconnue en tant que telle (article 50). Enfin, est mise en place une allocation viagère au bénéfice des conjoints survivants de harkis décédés après la date de forclusion des demandes de l'allocation de reconnaissance instituée par la loi du 23 février 2005, c'est-à-dire depuis décembre 2014 (article 51).
L'Assemblée nationale a par ailleurs ajouté un article additionnel demandant au Gouvernement de réaliser un rapport sur les conséquences du remplacement de l'ADCS (article 51 bis). Marc Laménie, rapporteur spécial de la commission des finances, a déposé un amendement de suppression de cet article auquel le Gouvernement n'était en effet, pour des raisons constitutionnelles, pas favorable. Quoi qu'il en soit, le secrétaire d'Etat s'est engagé à le réaliser.
Au total, ce budget 2016 ne rogne pas sur les droits acquis, comporte plusieurs mesures nouvelles dont la portée est plus symbolique que financière et n'appelle pas de critique particulière de la part du monde combattant. Il est toutefois regrettable de constater que l'une des principales revendications de ce dernier, le déclenchement d'un travail de réflexion visant à définir les modalités d'un rattrapage du retard accumulé par la valeur du point des pensions militaires d'invalidité, ne reçoive, à ce stade, aucune réponse.
Il convient enfin d'être vigilant sur l'entretien de l'esprit de défense et du devoir de mémoire, qui sont aujourd'hui plus que jamais d'actualité.
Sous ces réserves, vous comprendrez que je vous invite à émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission et des articles qui y sont rattachés.