Intervention de Dominique Estrosi Sassone

Commission des affaires économiques — Réunion du 24 novembre 2015 à 14h30
Loi de finances pour 2016 — Mission « égalité des territoires et logement » - examen du rapport pour avis

Photo de Dominique Estrosi SassoneDominique Estrosi Sassone, rapporteur pour avis :

Les crédits de la mission « Égalité des territoires et logement » augmentent de 34 % en autorisations d'engagement et de 35 % en crédits de paiement pour atteindre plus de 18,3 milliards d'euros.

Les crédits de la politique d'hébergement d'urgence, regroupés dans le programme 177, augmentent de 10,6 % et le nombre de places d'hébergement d'urgence, en augmentation constante depuis 2011, atteint 103 000. Cette progression est le signe d'une forte pression due à la situation économique et à l'engorgement des capacités d'hébergement des demandeurs d'asile. L'accueil de 30 000 réfugiés sur deux ans annoncé par le président de la République ne peut qu'accentuer la pression sur les dispositifs d'hébergement généraliste et l'on peut craindre une concurrence des publics, même si le Gouvernement veut orienter les réfugiés vers les zones détendues. On peut se demander si ce nombre de réfugiés ne sera pas en réalité plus important.

Face à cette pression continue, le recours aux nuitées d'hôtel s'est imposé comme une solution de facilité. Au 30 juin, on constatait une augmentation de 15,5 %. Conscient du coût élevé de cette politique, le Gouvernement a lancé un plan de développement de solutions pérennes alternatives à ces nuitées, en particulier les places en intermédiation locative. Cette solution, intéressante, demande du temps pour démarcher et convaincre les propriétaires privés.

Sur le plan financier, comme l'année dernière, le programme 177 n'échappe pas à la sous-budgétisation. Les prévisions pour 2016 sont déjà inférieures à l'exécution prévue fin 2015. Inévitablement, les crédits manqueront en cours d'année.

Les efforts de gestion devront être poursuivis, qu'il s'agisse du déploiement des SIAO ou du diagnostic à 360 degrés. Une réflexion d'ensemble sur les dispositifs d'hébergement d'urgence me paraît inéluctable.

Le Fonds d'accompagnement vers et dans le logement (FNADVL) a pour unique ressource les astreintes prononcées et liquidées à l'encontre de l'État dans le cadre du Dalo. Or depuis 2014, cette liquidation n'est plus systématique dans certaines juridictions.

Je vous inviterai à donner un avis favorable à l'adoption de l'article 55 ter qui a pour objet d'améliorer, en facilitant la liquidation des astreintes, les conditions d'exercice de l'activité du FNADVL.

Le programme 109 « Aide à l'accès au logement », qui comprend principalement la contribution de l'État au financement du Fonds national d'aide au logement (FNAL), voit ses crédits augmenter de 40 % pour des raisons comptables, l'État ayant décidé de budgétiser les aides au logement à caractère familial, qui étaient auparavant couvertes par la branche famille de la sécurité sociale. Outre la contribution de l'État, l'article 54 prévoit deux autres ressources pour le FNAL : une contribution d'Action logement de 100 millions d'euros et le produit de la taxe sur les plus-values de cessions d'immeubles autres que des terrains à bâtir dans la limite de 45 millions d'euros. Ces deux ressources restent très modestes au regard du montant de financement recherché.

Les articles 55 et 55 quater prévoient plusieurs mesures censées contenir la hausse continue des dépenses liées aux aides personnelles au logement : 17,7 milliards d'euros versés en 2014 à 6,5 millions de bénéficiaires. On ne peut que s'en réjouir ; mais les économies annoncées de 185 millions d'euros, associées aux effets d'une troncature du montant des aides à l'euro inférieur, restent très loin des ambitions initiales.

Malgré les multiples propositions de réformes formulées au premier semestre - j'ai dénombré pas moins de quatre rapports - la réforme qui nous est soumise est pour le moins limitée. L'article 55 modifie les règles d'éligibilité aux APL en prenant en compte le patrimoine du demandeur à compter de 30 000 euros et en instaurant des plafonds au-delà desquels l'aide serait versée dégressivement. Il prévoit en outre l'abrogation de la réforme des APL-Accession engagée l'an dernier, répondant ainsi à un souhait que j'avais formulé à l'époque. L'article 55 quater retire le bénéfice des APL aux étudiants rattachés au foyer fiscal de leurs parents redevables de l'ISF.

Les économies attendues dépendent très largement des critères retenus, dont la détermination est renvoyée le plus souvent à un décret. Je regrette que le Gouvernement ne soit pas en mesure à ce stade de nous indiquer avec précision les seuils exacts qui seront retenus, qu'il s'agisse du patrimoine ou de la dégressivité de l'aide, nous empêchant ainsi de voter les crédits de ce programme en pleine connaissance de cause.

La mesure sur les APL étudiants est elle aussi très éloignée des mesures ambitieuses qu'avaient adoptées nos collègues députés, proposant de prendre en compte le revenu des parents, l'éloignement géographique et les cas de rupture familiale dans le versement des APL aux étudiants. En réalité, il s'agit d'une mesure d'affichage, plus symbolique qu'efficace sur le plan budgétaire. Je souhaite que le Gouvernement se penche sérieusement sur cette question afin de proposer une réforme juste et équitable.

Il est très difficile de dire si les montants prévus seront à la hauteur des besoins. On peut penser que les crédits pour les APL ne suffiront pas à couvrir les besoins en 2016, puisque depuis 2008, les prévisions sont toujours inférieures à l'exécution constatée.

Le programme 135, qui inclut notamment les aides à la pierre, voit ses autorisations d'engagement diminuer de 8,7 % et ses crédits de paiement augmenter de 2,2 %.

Lors de l'examen à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a augmenté les crédits destinés aux aides à la pierre, les portant à 500 millions d'euros en autorisations d'engagement et 250 millions en crédits de paiement, complétés par voie de fonds de concours. Certes bienvenues, ces mesures ne doivent pas nous dissimuler que l'État n'assume plus la part principale des aides à la pierre, désormais assurée par les bailleurs sociaux à travers la cotisation versée à la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS).

L'article 56 prévoit la création du Fonds national des aides à la pierre (FNAP), qui remplacera le fonds de péréquation actuellement géré par la CGLLS et le Fonds national de développement d'une offre de logements locatifs très sociaux. Il aura pour principale mission de contribuer au financement des opérations de développement, d'amélioration et de démolition du parc de logements locatifs sociaux. Ses ressources seront constituées d'une fraction fixée à 270 millions d'euros des cotisations versées par les organismes Hlm pour 2016 ; des subventions de l'État ; et de la majoration du prélèvement sur les communes carencées en logements sociaux, qui sera exclusivement destinée au financement de la réalisation de logements locatifs sociaux et des dispositifs d'intermédiation locative dans les communes carencées.

Nous ne disposons d'aucune visibilité sur les crédits de l'État qui seront effectivement affectés au FNAP ni sur leur pérennité. De plus, le Gouvernement opère à l'article 14 du présent projet de loi de finances un prélèvement de 100 millions d'euros sur le fonds de roulement de la CGLLS, c'est-à-dire sur les cotisations des organismes HLM, au profit du budget général. Ainsi, ce sont en réalité les organismes HLM qui contribueront le plus aux aides à la pierre. Nous allons vers une disparition inéluctable des crédits de l'État en la matière - en témoigne la création du Fonds national d'aide à la pierre (FNAP), qui ne sera peut-être plus alimenté dans quelques années que par des ressources extra-budgétaires.

Sans réelle justification, cet article augmente de 125 % le montant des cotisations des bailleurs sociaux - arrêté l'an dernier à 120 millions d'euros par an pour les années 2015 à 2017 - pour le porter à 270 millions d'euros. Le taux maximal de la cotisation versée par les bailleurs sociaux augmente de 1,5 % à 3 % alors même que l'assiette de la cotisation est élargie afin d'y inclure au maximum 75 % des suppléments de loyer de solidarité (SLS) perçus par les organismes HLM.

Ces modifications auront nécessairement des conséquences sur les capacités d'investissement des bailleurs sociaux et il n'est pas exclu que ces hausses soient répercutées in fine sur le loyer des locataires du parc social. Le prélèvement de 3 % équivaut à une baisse de 20 % sur les travaux d'entretien, ou encore à une baisse significative des investissements dans la production et la rénovation de logements.

En conséquence, je vous proposerai un amendement dont l'objet est double : maintenir le taux de cotisation des bailleurs sociaux à son niveau actuel de 1,5 %, et diminuer le montant global des cotisations des bailleurs sociaux à 200 millions d'euros - ce qui représentera tout de même une augmentation de 66 % par rapport à l'an dernier - pour compenser la non-affectation de la taxe sur les plus-values de cessions d'immeubles autres que des terrains à bâtir. Je vous proposerai également une mesure élargissant l'assiette de la cotisation versée par les sociétés d'économie mixte au produit du supplément de loyer.

Le conseil d'administration du FNAP doit être composé à parité de représentants de l'État et de bailleurs sociaux, ainsi que de représentants des collectivités territoriales et de l'Assemblée nationale et du Sénat. Philippe Dallier présentera un amendement supprimant la représentation parlementaire, introduite par l'Assemblée nationale ; de mon côté, je vous proposerai d'y introduire des représentants des métropoles.

Sous ces réserves, je vous propose d'adopter l'article 56.

Je vous invite également à adopter l'article 56 bis déduisant de l'autofinancement qui sert de base à la cotisation additionnelle des organismes HLM à la CGLLS les soldes nets perçus dans le cadre de la mutualisation financière entre les organismes HLM.

Alors que l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) est de plus en plus sollicitée, via le programme « Habiter mieux » ou la mise en oeuvre du plan triennal de mobilisation pour les copropriétés fragiles et en difficulté, ses ressources demeurent incertaines en dépit d'une évolution favorable des quotas carbone. En effet, l'agence ne bénéficiera pas de la contribution du fonds de financement de la transition énergétique ; de plus, l'article 14 du projet de loi de finances fait passer sa part du produit de la taxe sur les logements vacants de 61 millions à 21 millions d'euros ; et la mise en place de la nouvelle obligation spéciale en matière de certificats d'économie d'énergie, bouleversant l'équilibre trouvé avec certains énergéticiens, devrait conduire à un report de la contribution attendue de 59 millions d'euros des fournisseurs d'énergie. Enfin, je regrette que la contribution de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) au budget de l'ANAH ne soit, semble-t-il, pas actée pour 2016, alors même que l'adaptation des logements au vieillissement est un enjeu majeur pour notre société.

L'article 55 bis affecte la totalité du produit de l'astreinte administrative en matière de lutte contre l'habitat indigne à l'ANAH, mais la ressource reste virtuelle, le décret d'application n'ayant toujours pas été pris.

À l'heure où se profile la COP 21 et après avoir posé des objectifs ambitieux dans la loi sur la transition énergétique, il est anormal que l'ANAH n'ait pas de ressources pérennes alors qu'elle doit aider à la rénovation de 50 000 logements par an.

Enfin, si les mesures en faveur du logement intermédiaire et de l'accession à la propriété - l'extension du prêt à taux zéro, le différé de remboursement et l'augmentation du plafond de ressources - vont dans le bon sens, il faut davantage pour lever les freins que rencontre le secteur de la construction et développer du logement abordable. Ainsi, il me paraît impératif de poursuivre la simplification des normes de construction et de revoir les règles de contentieux en matière d'urbanisme. Je propose une pause d'un an dans la création de normes, qui serait mise à profit pour renforcer la cohérence des normes existantes et les simplifier. J'ai présenté trois amendements au projet de loi sur la justice du XXIe siècle pour fluidifier et accélérer les procédures administratives et limiter les possibilités de recours en justice. D'après la Fédération des promoteurs et constructeurs immobiliers, 30 000 logements seraient bloqués par des procédures judiciaires. Il me paraît également important de faciliter l'accès au foncier privé.

En conclusion, je vous invite à émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Égalité des territoires et logement ».

Je vous invite également à adopter mes amendements à l'article 56, à donner un avis défavorable à l'article 55 quater et à donner un avis favorable à l'adoption des autres articles rattachés à la mission.

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