Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016, les crédits de la mission « outre-mer » s'élèvent à 2,08 milliards d'euros en autorisations d'engagement, soit une baisse de 0,6 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2015, et à 2,6 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une stabilisation par rapport à 2015.
Malgré un léger repli, ces crédits reflètent la pérennité de l'effort budgétaire en faveur des outre-mer. Dans le contexte de redressement des comptes publics, on peut s'en féliciter. C'est le moins que l'on pouvait attendre, compte tenu des difficultés économiques chroniques que connaissent les territoires ultramarins.
Ces crédits ne représentent toutefois qu'une part très limitée de l'effort financier total de l'État en faveur des outre-mer. En y intégrant les dépenses fiscales, cet effort devrait s'élever à 18,4 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 18,6 milliards d'euros en crédits de paiement en 2016. Les crédits de la mission « Outre-mer » ne représentent ainsi que 14,4 % de cet effort total, qui est porté par 85 programmes relevant de 26 missions différentes. Cette situation ne me paraît pas optimale pour le ministère des outre-mer, qui ne dispose pas toujours de l'ensemble des éléments relatifs à l'exercice des politiques publiques dans les outre-mer. Je relève au passage que seuls deux tiers des réponses à mon questionnaire me sont parvenus avant la date limite fixée au 10 octobre et que la qualité de certaines d'entre elles m'a laissé dubitatif. Plus qu'ailleurs, le risque est que chaque ministère travaille « en silo » sans se préoccuper de la cohérence d'ensemble de l'action de l'État.
Malgré la pérennité de l'effort budgétaire, on constate une inégalité entre les territoires ultramarins en termes de dotations budgétaires. À titre d'exemple, la dotation globale de fonctionnement ne représente que 136 euros par habitant pour Mayotte contre 446 euros par habitant pour La Réunion ou 410 euros par habitant pour la Martinique. Mayotte est donc sous dotée budgétairement ; alors que cette collectivité exerce également des compétences régionales, elle ne bénéficie pas de la dotation globale de fonctionnement (DGF) perçue par les régions.
À mes yeux, cela n'est ni juste ni équitable d'autant que le département connait un contexte budgétaire et financier difficile. Cette situation a été dénoncée, à plusieurs reprises, par les rapporteurs successifs de notre commission. C'est pourquoi j'espère qu'il y sera apporté des réponses concrètes, a minima par la prise en compte, au titre de la DGF, de la double compétence - départementale et régionale - du département de Mayotte, comme cela sera la règle pour les futures collectivités uniques de Guyane et de Martinique : ce serait une mesure d'égalité.
Sous ces réserves, je vous proposerai d'émettre un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
Au-delà de ce cadrage budgétaire, j'ai souhaité m'intéresser à un sujet particulier : la politique menée outre-mer en matière de sécurité et, plus particulièrement, l'action des forces de l'ordre auxquelles l'actualité invite, une nouvelle fois, à rendre hommage. Compte tenu des évènements dramatiques récents et des menaces existantes, l'état d'urgence est en vigueur depuis une semaine dans les départements d'outre-mer, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin ; le Parlement a décidé, à la quasi-unanimité, la prorogation jusqu'au plus tard le 26 février prochain.
Ayant engagé ces travaux avant le déroulement des attentats, j'ai pu constater que les phénomènes de radicalisation, qui appellent un effort de prévention, n'épargnent pas les collectivités ultramarines, ce qui préoccupe les services de l'État. À cet égard, loin des a priori, la radicalisation n'est pas forcément liée à la composante religieuse du territoire. J'en veux pour preuve que ce n'est pas tant à Mayotte, où la population est pourtant majoritairement de confession musulmane, que l'on observe le plus de comportements de radicalisation religieuse issus de l'islamisme radical, mais bien plutôt dans d'autres départements d'outre-mer. Ceci doit nous inviter à aborder cette question avec le sens de la nuance.
Je voudrais également souligner le décalage qui peut naître dans la population entre le niveau constaté de faits de criminalité et de délinquance et le sentiment d'insécurité qui s'y exprime.
Pour apprécier ce constat, j'ai cherché les statistiques existantes consacrées aux outre-mer pour savoir s'il existe une spécificité ultramarine en la matière et si elle est partagée uniformément dans l'ensemble des territoires ultramarins.
Or j'ai malheureusement constaté que l'enquête nationale de victimation, dénommée « cadre de vie et sécurité », qui permet de saisir la représentation que se font les populations du niveau de sécurité, n'est pas réalisée sur l'ensemble des collectivités ultramarines. Toutes les collectivités d'outre-mer et la Nouvelle-Calédonie en sont exclues. S'agissant des départements d'outre-mer (DOM), l'intégration est lente et récente puisque si La Réunion est intégrée depuis 2011, la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique n'entreront dans l'enquête qu'à partir de cette année et il n'est envisagé d'intégrer Mayotte à ces travaux qu'en 2017 ou 2018. Pourtant, la situation y est suffisamment préoccupante pour avoir déterminé le ministre de l'intérieur à diligenter une mission sur la question de la délinquance confiée conjointement aux inspections générales des affaires sociales, de la gendarmerie nationale et de la police nationale.
Il serait pourtant utile d'étendre cette démarche à l'ensemble du territoire national, dans la mesure où les statistiques administratives dans les DOM témoignent d'un profil de délinquance et de criminalité particulier, avec des faits en nombre largement supérieur à ceux que l'on constate dans des départements comme la Seine-Saint-Denis ou les Bouches-du-Rhône, qui se situent déjà largement au-dessus de la moyenne métropolitaine. S'agit-il d'une réalité objective ou est-ce le fruit d'une propension plus forte, constatée outre-mer, à déposer plainte ? C'est là une explication avancée par le directeur général des outre-mer, que j'aurais tendance à démentir : à Mayotte, les gens sont tellement excédés de constater que rien n'aboutit qu'ils finissent par renoncer à porter plainte. En tout état de cause, on ne saurait trancher, faute, je le répète, de statistiques spécifiques aux outre-mer. On oppose des questions de coût budgétaire, ce qui me paraît difficilement acceptable, car l'État se prive ainsi d'un outil pour faire évoluer le dispositif de sécurité et adapter la réponse pénale outre-mer.
Compte tenu du temps qui m'est imparti, je ne détaillerai pas les statistiques administratives, que j'ai pu recueillir pour les seuls DOM. Vous les retrouverez dans mon rapport.
Pour conclure, je rappellerai que le déploiement des forces de sécurité dans les territoires ultramarins doit nécessairement prendre en compte les spécificités ultramarines que sont l'insularité, la superficie ou l'éloignement. C'est ainsi que la police et la gendarmerie nationales doivent adapter leur organisation outre-mer. À titre d'illustration, mentionnons le choix de compenser le sous-effectif de brigades de gendarmerie par un renfort permanent de gendarmes mobiles qui peuvent, sans attendre des renforts venus de métropole, se reformer en escadrons pour assurer le maintien ou le rétablissement de l'ordre.
Par ailleurs, la conduite de la politique de sécurité outre-mer implique une coordination ministérielle des différents services de l'État. Je prendrai l'exemple de l'opération « Harpie » qui vise à lutter contre l'orpaillage illégal en Guyane, avec l'appui des armées. Relevons également que le développement de stratégies partenariales avec les collectivités territoriales figure au rang des priorités de l'État en outre-mer. Ces partenariats s'appuient en partie sur les zones de sécurité prioritaires au nombre de quatre en outre-mer sur des actions, financées par le fonds interministériel pour la prévention de la délinquance, dans le cadre des plans de prévention de la délinquance - qui n'existent dans certains territoires, comme la Polynésie française, que depuis deux ans.
Cette coopération s'étend également aux États et aux pouvoirs locaux étrangers. Ce constat est particulièrement vrai pour la lutte contre l'immigration illégale en Guyane et à Mayotte. Il l'est aussi à Saint-Martin qui doit composer avec la partie néerlandaise de l'île, sans frontière terrestre et hors de l'espace Schengen.
En résumé, l'action des services de l'État outre-mer, où se poursuivent des coopérations plus ou moins abouties, n'est pas remise en cause, même si, je le répète, les lacunes statistiques limitent l'efficacité du pilotage.
Je vous remercie, au nom de ces territoires éloignés, de votre écoute.