Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur spécial, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, le budget de la mission « Santé » de l’État, qui atteint 1, 257 milliard d’euros, est sans commune mesure avec le montant des prestations de protection sociale, évaluées, pour 2014, en France, à près de 689 milliards d’euros, dont 244 milliards d’euros pour la santé.
Reconnaissons toutefois que les objectifs ne sont pas les mêmes. La mission « Santé » a un périmètre bien plus limité, l’essentiel des actions sanitaires relevant des lois de financement de la sécurité sociale.
Le projet de loi de finances pour 2016 tend à prévoir une augmentation de 4, 7 % des crédits de la mission « Santé » par rapport à 2015. Le déséquilibre dans l’affectation des budgets entre les deux programmes de la mission est de plus en plus criant. Les crédits du programme 204 diminuent de 2, 4 %, tandis que ceux du programme 183 augmentent de 10 %. Ces évolutions s’expliquent principalement par l’accroissement des dépenses d’AME. J’y reviendrai.
Tout d’abord, le programme 204 se caractérise par un maître mot : la rationalisation. Ce programme devra faire face à une baisse de crédits de 9 millions d’euros par rapport à 2015 pour financer, à titre principal ou complémentaire, huit opérateurs sanitaires de l’État. Il s’agit d’un effort important, car il fait suite à une diminution de 4, 4 % des crédits en 2015. Plus de 100 équivalents temps plein seront supprimés sur la période couvant les années 2015 et 2016.
Dans une période de redressement des comptes publics, chacun doit faire sa part. Toutefois, si les efforts demandés aux agences sanitaires devaient s’ancrer à un tel niveau dans la durée, il serait à craindre que celles-ci ne soient plus à même d’assurer leurs missions.
J’en veux pour preuve le cas de l’ANSM, qui représente 40 % du budget du programme et se trouve dans une situation précaire. Créée en 2012, l’agence a vu le nombre de ses missions substantiellement augmenter. Elle doit être plus productive, mais les moyens pour répondre à un tel objectif n’ont pas suivi. Pis, depuis 2012, l’État n’a cessé d’amputer son fonds de roulement, preuve que le Gouvernement ne sait plus où chercher les économies, sans se risquer à des réformes courageuses, et pénalise les bons gestionnaires !
Les professionnels du médicament se plaignent des délais de l’ANSM, notamment s’agissant du traitement des demandes d’autorisation de mise sur le marché. Notre industrie pharmaceutique, l’un des fleurons de notre pays, doit pouvoir compter sur une agence nationale solide, réactive et modernisée pour perdurer et, surtout, maintenir sa place sur le marché national et au niveau européen.
La rationalisation demandée par le Gouvernement aux agences sanitaires passe aussi par des fusions. Il est vrai que le nombre d’agences publiques n’a cessé de se multiplier au cours des dernières décennies, ce que nous avons été plusieurs à critiquer.
Le projet de loi santé tend à prévoir, dans son article 42, la fusion de trois agences sanitaires centrées sur la prévention. L’INPES, l’INVS et l’EPRUS vont donner naissance à l’Agence nationale de santé publique. Espérons que, à terme, les synergies s’opèrent pour gagner en efficacité, car je regrette l’érosion des crédits de prévention alloués au niveau national, notamment concernant les maladies chroniques et la qualité de vie des malades. Cette mesure entre en contradiction avec les annonces gouvernementales inscrites dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale ou dans le projet de loi santé. Or chacun sait que la prévention réduit les dépenses de soins à long terme. Aujourd’hui, le nombre de patients en affection de longue durée se multiplie.
Par ailleurs, le budget du programme 183 semble devenu incontrôlable. Les crédits consacrés à l’AME progresseront de 10 % en 2016. Nous pourrions nous dire que cette forte hausse permettra de partir sur un budget sincère, n’appelant pas de rectificatif… Rien n’est moins vrai !
Comme l’indique notre rapporteur spécial, Francis Delattre – que je félicite, ainsi que ma collègue de la commission des affaires sociales, Corinne Imbert, de leur travail et de la clarté de leur exposé –, la prévision actualisée de dépenses d’AME pour 2015 est d’ores et déjà supérieure de près de 20 millions d’euros aux 744 millions d’euros de crédits inscrits pour ce dispositif en 2016. Dès lors, comment imaginer que le programme 183 ne sera pas sous-budgétisé ?
Depuis l’entrée en vigueur du dispositif, en 2001, les dépenses d’AME ont crû chaque année à un rythme soutenu. Ainsi, entre 2002 et 2015, les dépenses d’AME de droit commun sont passées de 377 millions d’euros à plus de 750 millions d’euros, soit une progression de près de 100 %.
Derrière le problème financier de la sous-budgétisation de l’AME, se cache en réalité la question du fonctionnement même de ce dispositif. Le droit de timbre de 30 euros a été supprimé en 2012. Je ne discuterai pas de l’opportunité de le rétablir, d’autant plus que faire payer une fois 30 euros ne permettra pas de financer le dispositif et ne dissuadera pas spécialement d’y avoir recours.
Dans la continuité des propos tenus par mon collègue Vincent Delahaye à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2015, l’instauration d’un ticket modérateur pour chaque prestation, permettant d’accéder à un panier de soins défini limitativement, serait une voie à approfondir.
Nous sommes en revanche réservés sur la proposition du rapporteur spécial Francis Delattre. Ce dernier suggère de diminuer de 200 millions d’euros les crédits de l’AME pour tirer les conséquences d’un article du projet de loi sur le droit des étrangers, tendant à remplacer l’AME par une aide médicale d’urgence. Nous aurons l’occasion d’expliquer plus en détail notre position lors de l’examen de cette proposition.
Nous sommes aujourd’hui dans une impasse avec un budget de l’AME en constante augmentation et en constante sous-évaluation. Le Gouvernement doit agir et clarifier ses positions, notamment en présentant un budget sincère, mais il doit avant tout mettre en place un système de contrôle et d’évaluation. Par exemple – ma collègue Corinne Imbert y a fait référence –, il serait souhaitable d’obtenir un accès aux informations contenues dans la base Réseau mondial visas 2 du ministère des affaires étrangères.
Enfin, il est regrettable de constater, une fois de plus, à l’instar de la Cour des comptes, que « pour faire face à l’insuffisance récurrente des crédits AME, toutes les autres lignes budgétaires du programme sont progressivement réduites, voire annulées ». Je veux citer en exemple l’annulation de la dotation de l’État au FIVA en 2014 et sa sous-budgétisation en 2015. Il est nécessaire que l’État s’engage plus fortement, en 2016, en faveur des victimes de l’amiante. Il ne doit pas laisser la seule branche AT-MP assumer cette charge.
Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas, en l’état, les crédits de la mission « Santé ».