Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi, tout d'abord, de vous prier de bien vouloir excuser notre collègue Françoise Laborde, qui était corapporteur avec moi de ce texte. Elle s’est beaucoup investie pour procéder à des auditions et recevoir les différents partenaires. Malheureusement, elle ne peut pas assister à ce débat.
Déposée par notre collègue député Roger-Gérard Schwartzenberg et adoptée par l’Assemblée nationale au mois de mars dernier, la proposition de loi que nous examinons instaure un droit à l’accès à la restauration scolaire au profit des enfants scolarisés dans l’enseignement primaire.
De quoi s’agit-il ? Un certain nombre de communes n’ont pas les moyens matériels, humains et financiers d’accueillir l’ensemble des élèves à la cantine. Quelques-unes d’entre elles ont alors restreint l’accès à ce service ou annoncé leur intention de le faire, selon des ordres de priorité favorisant les enfants dont les parents travaillent. Cela s’effectue donc au détriment des enfants dont les parents sont au chômage. Tout le monde mesure combien il s’agit d’une discrimination inacceptable.
La proposition de loi vise à mettre fin à ces discriminations, qui sont au demeurant déjà illégales. En effet, à la différence du second degré public, où la restauration scolaire est une compétence obligatoire des départements et des régions, la restauration scolaire dans le premier degré public constitue une compétence facultative des communes.
En pratique, environ 80 % des communes possédant une école, soit 20 000 communes, proposent un tel service, qui est fréquenté, régulièrement ou occasionnellement, par la moitié des 6, 8 millions d’élèves de l’enseignement primaire. Parce que le service est facultatif, les communes sont libres de le créer ou non et d’en fixer l’organisation, dans le respect de la législation et de la réglementation. En conséquence, les communes ne sont pas tenues de créer autant de places qu’il existe d’élèves potentiels et peuvent restreindre l’accès au service.
L’intention des auteurs de cette proposition de loi apparaît donc généreuse, mais ce texte est à la fois inutile, inopportun et inopérant ; c’est pourquoi la commission l’a rejeté, et je vous inviterai, mes chers collègues, à en faire de même.
En premier lieu, il convient de rappeler que l’état du droit interdit d’ores et déjà toute discrimination à l’accès à la restauration scolaire. Bien qu’il soit facultatif, ce service public est soumis au principe d’égal accès aux services publics, qui découle des principes constitutionnels d’égalité devant la loi et les charges publiques, donc d’interdiction des discriminations, un principe qui est inscrit dans le code pénal.
Lorsqu’une commune enfreint la loi, le règlement de son service de restauration scolaire est systématiquement annulé par le juge administratif. Selon une jurisprudence constante et limpide, le juge annule tous les règlements qui tendraient à établir une distinction entre les élèves selon la situation professionnelle de leurs parents, mais également selon leur âge, leur lieu de résidence ou encore l’existence d’une intolérance alimentaire. Il en va de même pour les élèves handicapés : l’accès à la cantine ne peut leur être refusé et l’État doit prendre en charge leur accompagnement.
De plus, les moyens d’une sanction rapide existent, puisque les familles peuvent recourir au référé-suspension et obtenir la suspension du règlement incriminé dans les quinze jours.
Le préfet peut également déférer tous les règlements de la restauration scolaire qui présentent un doute sérieux de légalité. Cette dernière voie épargne aux familles visées par ces discriminations de s’engager dans des contentieux qui peuvent paraître lointains, complexes et coûteux. Elle est sans doute insuffisamment mise en œuvre. Toutefois, rappeler dans la loi l’interdiction des discriminations n’y changerait rien ; mieux vaudrait, madame la ministre, une circulaire encourageant les préfets à déférer systématiquement les règlements illégaux.
De plus, la proposition de loi crée un droit à l’accès à la restauration scolaire au profit de chaque élève, obligeant de ce fait les communes à accueillir l’ensemble des élèves qui le souhaitent, ou qui le souhaiteraient, à la cantine des écoles. Si, là encore, l’intention est louable, l'instauration d'un tel droit d’accès méconnaitrait les réalités de l’organisation de la restauration scolaire.
Ce droit d’accès ne tient pas compte du caractère élastique de la demande des élèves et de leurs familles. Outre l’abonnement, nombre de cantines scolaires permettent une fréquentation ponctuelle du service. Certaines communes ont ainsi été contraintes de restreindre l’accès à la cantine parce qu’elles étaient confrontées à des pics de fréquentation certains jours, associés à ce qu’il faut bien appeler une « consommation de confort ». Créer un tel droit d’accès se traduirait, pour les communes, en une obligation de surdimensionner leurs infrastructures et leurs équipements et de créer autant de places qu’il existe d’usagers potentiels.
Or, si certaines communes ne sont pas en mesure d’accueillir l’ensemble des élèves à la cantine et doivent en restreindre l’accès, c’est tout simplement parce qu’elles n’en ont pas les moyens. Il s’agit souvent de grandes agglomérations, dans lesquelles les capacités sont saturées malgré la mise en place de selfs ou de doubles, voire de triples services, ou bien de villes connaissant une croissance démographique forte et continue.
De plus, la compensation financière prévue par le texte relève d’une vue de l’esprit. Aucun droit à compensation par l’État n’est reconnu aux collectivités territoriales du fait de l’extension d’une compétence facultative.