Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, rappelons en préambule que la norme est un outil, et non une fin en soi. Souvenons-nous de cette vérité simple, exprimée en son temps par Portalis : « Les lois sont faites pour les hommes et non les hommes pour les lois. »
Certes, monsieur Bosino, des règles sont indispensables pour assurer la sécurité et réguler la vie en société, mais force est de constater que leur accumulation finit par en détraquer le bon fonctionnement. Nous avons besoin de pouvoir agir avec souplesse, réactivité, inventivité, alors que l’accumulation des règles paralyse, ralentit et tétanise toute initiative.
Au dernier classement du Forum économique mondial, la France occupait la cent vingt et unième place sur cent quarante-huit pour le poids des contraintes administratives. L’OCDE estime, quant à elle, que notre frénésie réglementaire aurait un coût annuel de 80 milliards d’euros.
Aujourd’hui, quelque 400 000 normes réglementaires s’imposent aux seules collectivités locales. En quatre ans, de 2011 à 2015, le coût induit par les normes nouvelles a été évalué à plus d’un milliard d’euros !
Ce que MM. Lambert et Boulard appellent l’« incontinence normative » dans leur excellent rapport de 2013 est un obstacle considérable à l’initiative et, surtout, à l’efficacité de l’action publique, a fortiori, comme le président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation le rappelait, dans un contexte de crise économique et de baisse des ressources de nos collectivités. Les normes deviennent un véritable casse-tête pour les élus et, ce qui est inadmissible, un empêchement de faire !
Face à ce constat, la simplification des normes et la jugulation d’un flux toujours plus important sont primordiales. Aussi, le président du Sénat, Gérard Larcher, a fait à juste titre de la simplification des normes l’une des priorités de notre institution, qui, depuis plusieurs années, a pleinement pris la mesure de ce problème.
À cet égard, il convient de saluer ici l’excellent travail de nos collègues Éric Doligé, Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur, à l’origine de la loi de 2013 portant création du Conseil national d’évaluation des normes, le CNEN. Pourtant, si les pouvoirs de ce dernier ont bien été élargis, il faut aussi souligner que les saisines en urgence ou en extrême urgence sont utilisées à outrance, empêchant les élus membres de ce conseil de mener correctement leur travail de fond sur ces normes.
Le Conseil national ne peut, à lui seul, réaliser l’évaluation de la totalité des normes. Aussi, il a préconisé la mise en place d'une procédure de déclassification des normes existantes, confiée non seulement au législateur, mais aussi aux administrations elles-mêmes ; l’un de nos brillants collègues le rappelait tout à l’heure.
De même, le CNEN recommande de limiter la surtransposition des directives européennes, recommandation qui devrait devenir pour nous, mes chers collègues, un principe à suivre obligatoirement.
Nous le savons, les normes représentent un coût financier considérable. La circulaire datant de juillet 2013 et instaurant la règle « une norme créée, une norme supprimée ou allégée » a été publiée à la suite de l’annonce d’un « choc de simplification » par le Président de la République. Or, en 2014, l’instance d’évaluation des normes a examiné 303 projets, dont le coût a été évalué à environ 1, 4 milliard d’euros en année pleine. Cette tendance montre bien que le « choc de simplification » peine, pour le moment, à se traduire dans les faits.
En octobre 2014, le Premier ministre – qu’il en soit félicité ! – a enjoint les ministères de compenser toute charge financière liée à une nouvelle norme par un allégement équivalent. Au moment des vœux inaugurant cette nouvelle année, nous attendons avec impatience les résultats de cette prescription.
L’enquête réalisée par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation auprès des maires est très significative : sur 4 200 réponses, quelque 61 % des élus considèrent la simplification des normes sur l’urbanisme comme prioritaire.
En tant qu’élus locaux, pour la plupart, nous avons tous vécu des moments de très grande solitude et de profond désarroi dans des situations confinant à l’absurde, face à une administration qui justifie trop souvent et inlassablement l’empêchement de faire par des formules du type : « Je comprends bien votre question, madame ou monsieur le maire, mais ce que vous demandez n’est pas possible à cause des règles d’accessibilité, qui ne sont elles-mêmes pas forcément compatibles avec les règles de sécurité ou le PLU. »
Citons quelques exemples. Les normes de construction parasismiques concernent aujourd’hui 21 000 communes, contre 5 000 auparavant. Comme Rémy Pointereau l’a rappelé, MM. Lambert et Boulard ont, en 2013, attribué le « troisième prix des normes absurdes » aux « normes sismiques là où la terre n’a jamais tremblé ».
Rappelons également l’empilement des documents d’urbanisme – le SCOT, le PLU, le PLH, le plan de déplacement, le plan climat-énergie –, la nécessité de réaliser parfois trois études distinctes avant d’entreprendre des travaux en zone humide, l’excès ubuesque de surprotection, qui conduit parfois – je l’ai vécu – des commissions de sécurité à exiger un contrôle de l’avis du contrôleur.
Je pourrais aussi évoquer l’incompatibilité de la norme et des usages – dans les crèches ou les unités d’Alzheimer, il faut s’assurer de l’impossibilité de sortie, alors même qu’il est nécessaire de disposer d’issues de secours ouvrables à tout moment –, l’étonnante réglementation sur l’implantation des classes mobiles, fréquentes dans nos communes – à ce sujet, notre collègue Éric Doligé a, à juste titre, suggéré que l’autorisation d’implantation de classes mobiles soit non pas renouvelable chaque année, mais valable pour la durée du chantier –, ou encore l’insupportable complexité des procédures de ZAC – le délai actuel de 3 à 5 ans, alors que l’on nous presse de produire des logements, détourne les maires de cet outil très pertinent d’aménagement, qui oblige à avoir une vraie vision du développement de notre commune, appuyée sur une démarche de concertation. Mes chers collègues, en ces matières comme en tout, le mieux est l’ennemi du bien !
Enfin, j’évoquerai les situations invraisemblables provoquées par l’évolution des textes de loi et de réglementation, en prenant l’exemple, très révélateur, d’une commune de mon département. Entre le lancement de la procédure de révision de son PLU et la date définitive d’approbation de celui-ci, le contexte réglementaire a bougé trois fois, pour finalement revenir à la situation initiale.
Manque de chance, cette commune avait achevé l’enquête publique sur la révision de son PLU au moment de la promulgation de la loi ALUR, qui était d’application immédiate. Elle a donc dû relancer la révision de son PLU, réaliser une étude supplémentaire pour intégrer les nouvelles dispositions et, surtout, répondre à l’étonnement justifié des habitants, qui ne comprenaient pas pourquoi le maire recommençait un travail qu’il n’avait pas achevé.
À peine six mois plus tard, la loi d’avenir pour l’agriculture a apporté son lot de modifications et de nouveautés sur le sujet. Enfin, la loi Macron a assoupli ces dispositions, pour que, peu ou prou, l’on revienne aux dispositions applicables avant l’adoption de la loi ALUR.
Mes chers collègues, nous marchons sur la tête !