Séance en hémicycle du 13 janvier 2016 à 14h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • commémoration
  • d’urbanisme
  • journée
  • l’histoire
  • mémoire

La séance

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La séance est ouverte à quatorze heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe UDI-UC, de la proposition de résolution tendant à limiter le poids de la réglementation applicable aux collectivités territoriales et à simplifier certaines normes réglementaires relatives à l’urbanisme et à la construction, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Jean Marie Bockel et plusieurs de ses collègues (proposition n° 198 rectifiée).

Dans le débat, la parole est à M. Jean Marie Bockel, auteur de la proposition de résolution.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les jours se suivent et se ressemblent, tout du moins s’agissant de la problématique des normes applicables aux collectivités territoriales.

Nous avons en effet adopté, hier, une proposition de loi constitutionnelle qui devrait notablement contribuer – le jour où elle sera mise en œuvre ! – à corriger à la source la propension de notre culture politique et juridique à accumuler dans la loi et dans la réglementation des prescriptions redondantes, des exigences disproportionnées et des procédures inextricables.

Chaque élu local ne cesse d’expérimenter tout au long de ses mandats à quel point ce phénomène entrave l’action au-delà de ce que requiert la sécurité des procédures et renchérit les coûts au-delà de ce que permet la contraction des ressources publiques, surtout en ces temps de rigueur budgétaire et de réduction des dotations.

Il fallait donc viser la source de l’inflation normative, qui est bien souvent législative, et c’est pourquoi nous avons souhaité inscrire dans la Constitution elle-même le principe de la compensation par l’État des charges supplémentaires créées par les normes nouvelles. Il n’y a pas de moyen plus efficace de créer le changement dans notre façon de légiférer et de réglementer, afin de nous rapprocher de la réalité des pratiques en vigueur dans les pays européens qui nous entourent et qui, finalement, ne fonctionnent pas si mal, bien au contraire.

Toutefois, nous avons souhaité, parallèlement à cette initiative constitutionnelle, faire progresser la sobriété normative, en rappelant un principe simple : pour une norme réglementaire créée, une norme supprimée ou allégée. C’est le premier objet de notre proposition de résolution.

Des initiatives ont déjà été prises en ce sens, avec l’inscription de ce principe dans la circulaire du 17 juillet 2013 relative à la mise en œuvre du « gel » de la réglementation. Cependant, M. le secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification a indiqué lui-même, en réponse à une question orale, que ce texte n’était qu’un « premier pas ».

Donner à l’objectif de simplification la priorité qu’il mérite suppose en effet une profonde évolution de la culture administrative. Une circulaire, si utile soit-elle, ne peut y suffire dans la durée.

C’est la raison pour laquelle notre proposition de résolution suggère dans sa première partie de rehausser dans la hiérarchie des normes le principe selon lequel l’ajout d’une norme doit être compensé par la suppression ou l’allégement d’une autre, dans le cas de la réglementation applicable aux collectivités territoriales. C’est une façon pragmatique de réguler les flux de normes nouvelles tout en s’attaquant par la bande au stock existant.

En effet, le problème du stock est crucial. Alors que les ressources des collectivités territoriales subissent de la part de l’État une pression massive, les coûts économiques, techniques et administratifs de l’empilement normatif existant sont devenus insupportables. C’est pourquoi nous devons engager une action systématique de réduction de ces stocks. Les élus locaux nous le demandent, de manière insistante et réitérée, et ils ont raison.

Néanmoins, par quoi commencer ? Notre délégation a posé la question aux élus en les interrogeant sur leurs priorités à l’occasion du congrès des maires en 2014. Le niveau de participation à notre consultation, comme Rémy Pointereau le rappelait encore hier, a été significatif. Lors de la fermeture de celle-ci, en février 2015, près de 4 200 réponses avaient été transmises à la délégation.

Les résultats ont été parlants : près de 64 % des réponses ont mentionné l’urbanisme et le droit des sols comme secteurs prioritaires pour la simplification. C’est pourquoi notre délégation a décidé de consacrer ses premiers travaux de simplification du stock de normes aux dispositions régissant l’urbanisme.

Sous l’impulsion de Rémy Pointereau, notre premier vice-président délégué, nous nous sommes dans un premier temps intéressés à la réglementation. La deuxième partie de la proposition de résolution dont nous débattons aujourd’hui est l’aboutissement de cette démarche. Elle identifie plus d’une dizaine de pistes de simplification concrètes, qui nous semblent à même de montrer que le processus de simplification s’enclenche, qu’il s’intensifie, que la demande exprimée par les élus locaux ne reste pas sans réponse, que le Sénat, totalement inscrit dans sa mission de représentant des collectivités territoriales, est à la manœuvre.

Certaines de ces pistes sont connues de tous ; notre collègue Éric Doligé les a présentées dans son rapport de 2011 sur la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. Cinq ans après, elles sont toujours d’actualité.

Certaines autres pistes ont fait l’objet d’annonces de la part du Gouvernement, dont les plus récentes remontent au 14 septembre dernier. Souhaitons que le Sénat serve d’aiguillon pour que ces annonces se concrétisent pleinement et rapidement.

Je ne mets nullement en doute la détermination du Gouvernement, la vôtre, monsieur le secrétaire d’État ou celle de M. Mandon, avec qui nous avons eu l’occasion de nous entretenir de ce sujet. Toutefois, entre la volonté et l’action, nous avons un rôle d’impulsion à jouer, et c’est aussi l’esprit de cette résolution, qui n’a aucune valeur contraignante, mais qui constituerait un signal fort si elle était adoptée.

Je distinguerai quatre catégories de propositions.

Tout d’abord, trois dispositions de la proposition de résolution appellent le Gouvernement à clarifier, au moyen d’instruments de droit souple – des chartes ou des référentiels élaborés en concertation avec les élus locaux –, les relations entre les collectivités et certains de leurs interlocuteurs – les commissions de sécurité et les officiers préventionnistes, les architectes des bâtiments de France, les agences régionales de santé.

Quatre dispositions de la proposition de résolution incitent le Gouvernement à simplifier les règles de construction et de gestion des établissements recevant du public – il s’agit là d’un sujet sensible – en portant à la connaissance des préfets et des élus locaux les dérogations aux règles d’accessibilité existantes dans une circulaire ; en ajustant la périodicité de certains contrôles, à commencer par ceux qui sont relatifs aux installations électriques ; en élargissant la possibilité d’installation de classes démontables dans les établissements scolaires faisant l’objet de travaux ; enfin, en assouplissant les normes parasismiques dans les zones et pour les bâtiments présentant un très faible enjeu au regard du risque sismique.

Quatre autres dispositions de la proposition de résolution invitent le Gouvernement à alléger les formalités pesant sur les actes et les documents d’urbanisme grâce à la simplification d’un formulaire de déclaration préalable – le CERFA 13 404 – pour certains types d’aménagement, de construction et de travaux ; à l’établissement de la liste précise des actes d’urbanisme de faible importance pouvant être exclus du contrôle de légalité ; à la limitation à un mois de la majoration éventuelle des délais d’instruction de droit commun des déclarations préalables, des permis de construire et des permis d’aménager ; enfin, à la simplification des obligations réglementaires pesant sur les plans locaux d’urbanisme, en particulier les études exigées dans les zones humides. Qui, sur son territoire, n’a pas été confronté à des conflits, des interrogations et des incertitudes sur ce sujet sensible ?

M. Jacques Mézard acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Les deux dernières dispositions de la proposition de résolution ont trait à des équipements et des aménagements posant des difficultés spécifiques dans nos territoires. Elles tendent, d’une part, à accompagner les communes dans la mise en conformité de leurs équipements d’assainissement collectif avec la réglementation européenne, et, d’autre part, à permettre le regroupement des différents dossiers préalables à la création d’une zone d’aménagement concerté en un seul.

Cet ensemble pourrait paraître un peu technique et passablement fragmentaire, mais nous savons tous, en tant qu’élus locaux, ce qu’il y a de vécu, et souvent de mal vécu, dans cette énumération.

C’est la raison pour laquelle nous invitons le Sénat à adopter la présente proposition de résolution, fruit d’un travail collectif mené notamment avec Rémy Pointereau, qui anime, au sein de la délégation, un groupe de travail très actif. Avec Alain Lambert, qui préside aujourd’hui le conseil des normes, mais qui a longtemps siégé dans cet hémicycle, il effectue un travail considérable que je tiens à saluer.

Nous travaillons également en bonne intelligence avec les différentes commissions permanentes. Nous n’entendons nullement remettre en question leur rôle et nous œuvrons dans la transversalité, notamment avec la commission des lois, avec laquelle nous entretenons un très bon dialogue sur ces questions qui relèvent de sa compétence, mais également avec les autres commissions, comme nous le verrons dans la suite des travaux de la délégation.

Nous sommes nombreux, au sein de la délégation, mais aussi sur toutes les travées de notre assemblée, à souhaiter que cette proposition soit adoptée.

Les élus locaux y verront un signe de l’attention que nous portons à leurs problèmes concrets. Le président Gérard Larcher y est lui-même personnellement sensible et a donné une impulsion forte à nos travaux. Notre délégation y verra un encouragement à poursuivre sa tâche austère et le Gouvernement, à n’en pas douter, une incitation à mener à bonne fin les travaux qu’il a entrepris de son côté, car tous les gouvernements, quels qu’ils soient, sont toujours confrontés à un certain nombre de freins et de pesanteurs.

Au travers de ce projet de résolution, nous appuyons la volonté sincère du Gouvernement d’avancer sur cette question qui nous tient à cœur.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du RDSE. – MM. Joël Labbé et René Vandierendonck applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bosino

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous abordons aujourd’hui un sujet récurrent au sein de notre hémicycle et dans les réflexions des pouvoirs publics.

Ainsi, en 1991, le Conseil d’État faisait déjà part de ses inquiétudes concernant la complexité du droit, caractérisé par la prolifération désordonnée des textes, l’instabilité croissante des règles et la dégradation manifeste de la norme.

En 2011, une mission d’information sur cette question a été conduite par le Sénat sous l’égide de la délégation aux collectivités territoriales, portée par notre collègue Éric Doligé. Ce rapport a abouti au dépôt d’une proposition de loi, toujours en cours de navette, que l’examen de cette proposition de résolution remet d’une certaine façon au goût du jour.

De fait, le sujet est important, en particulier pour les élus locaux. Aujourd’hui, ce sont plus de 400 000 normes qui sont applicables. Cette situation pose de vraies questions, liées notamment à l’insécurité juridique pour les collectivités. Trop de normes tue l’idée même de la norme et rend impossible l’idée que la loi soit connue et intelligible par tous. C’est donc aussi un problème démocratique.

Il faut cependant aller plus loin et remettre en cause non seulement le volume, mais aussi les modes d’élaboration de la norme et de la loi. Les efforts à produire en matière de démocratie sont immenses et, dans ce domaine aussi, les collectivités, notamment les communes, ont fait preuve d’un esprit d’initiative et d’innovation remarquable.

Dans d’autres circonstances, en particulier dans le cadre de l’élaboration de la loi, nous nous trouvons trop souvent enfermés dans des débats d’experts. Or de la vivacité de notre démocratie dépend aussi la qualité des normes et des lois.

Pour autant, il faut être clair. Cette volonté de diminuer les normes, donc les contraintes sur les collectivités, ne doit pas conduire à réduire la qualité et la sécurité pour nos concitoyens.

Limiter les normes ne doit pas constituer non plus une forme de déréglementation des secteurs de l’urbanisme, du logement et de l’environnement, dans lesquels les objectifs en matière d’accessibilité, de sécurité, de normes sanitaires et de protection de l’environnement seraient relégués comme des questions annexes ou trop complexes. Une telle posture est dangereuse.

Par ailleurs, derrière le rejet des normes par les élus, se cachent, pour beaucoup d’entre ces derniers, de réelles difficultés dans la mise en œuvre, faute d’accompagnement technique par les administrations et de soutien financier par l’État. En matière d’urbanisme, nous regrettons d’ailleurs la quasi-suppression de l’assistance technique de l’État, l’ATESAT, tout comme la baisse des dotations qui obère les capacités d’intervention des collectivités et leurs moyens humains pour garantir le respect de ces normes.

Gardons à l’esprit le fait que l’édiction de règles répond, le plus souvent, à un besoin essentiel de sécurité technique et juridique.

Au-delà de ces considérations sur l’utilité des normes, c’est aussi l’argument libéral qui est avancé. Ainsi, dans la discussion sur sa proposition de loi, Éric Doligé rappelait l’essentiel : « N’oublions pas que la compétitivité se mesure sur les marchés internationaux. Celui qui ne maîtrise pas ses charges et contraintes perd de la compétitivité. Chaque norme supérieure à celle de notre concurrent nous pénalise ».

Manifestement, nous ne sommes donc pas seulement dans une volonté de sécuriser les collectivités, mais bien de libéraliser les secteurs économiques qui ne le seraient pas encore, en abaissant le niveau des normes, qu’elles soient urbanistiques, environnementales, de sécurité ou encore sociales. Ce discours de l’ultralibéralisme débridé conduit à des catastrophes humaines, sociales et environnementales – nous le savons bien ! Les sénateurs et sénatrices du groupe CRC condamnent cette orientation politique du moins-disant.

De notre côté, nous pouvons avancer deux propositions.

Tout d’abord, pour éviter l’écueil de lois utiles, mais inapplicables faute de moyens, ne faudrait-il pas prévoir, de manière systématique, un volet fixant les règles financières de leur mise en œuvre ?

Ensuite, ne pourrait-on pas encourager plus encore le dialogue avec les autorités devant délivrer des avis, par exemple les architectes des bâtiments de France ou les agences régionales de santé, pour éviter des recours systématiques à la justice administrative par ailleurs surchargée, recours qui allongent les délais ?

S’agissant des propositions formulées dans cette proposition de résolution, il faut bien reconnaître que nous ne les partageons pas.

En ce qui concerne le principe « pour une norme créée, une norme supprimée », nous considérons que cette affirmation est purement démagogique. Ce qui doit prévaloir pour définir le droit positif, c’est non sa masse globale, mais bien la justesse et l’utilité de ces normes. Toute idée mécanique est donc à bannir. Quant à savoir si un décret a plus de force qu’une circulaire, ce débat sur la hiérarchie des normes réglementaires est – franchement – bien en deçà des questions que vous posez.

Cette proposition de résolution semble être une curieuse collection de dispositions issues de divers rapports et propositions de loi, dont la portée et le contenu sont extrêmement variables, allant de la santé à l’environnement, en passant par l’assainissement. D’ailleurs, la plupart de ces mesures relèvent purement du pouvoir réglementaire ou même du bon sens. La proposition de résolution va même jusqu’à évoquer la question de formulaires administratifs...

La création de chartes nationales pour fixer le niveau d’exigence des commissions de sécurité ou celui des architectes des bâtiments de France relève uniquement, là encore, de bonnes pratiques.

Le fil conducteur de ces propositions, c’est au fond l’idée que l’administration serait par nature arbitraire et même dangereuse, alors qu’elle protège les administrés et notre environnement.

D’autres préconisations nous semblent tout autant problématiques, notamment en matière d’urbanisme, avec cette volonté tenace de déréglementer le droit des sols. Il en est ainsi de la proposition d’établir une liste des actes d’urbanisme de faible importance pouvant être exclus du contrôle de légalité ou de celle qui entend carrément limiter la réglementation applicable aux plans locaux d’urbanisme.

Pour ces raisons, nous ne voterons pas ce texte.

Nous, nous demandons en priorité au Gouvernement, et ce pour soulager les collectivités, de cesser ses coupes budgétaires et de remettre des fonctionnaires dans les préfectures et les services déconcentrés. Les collectivités pourront ainsi mener les politiques pour lesquelles les électeurs ont voté. Derrière la question des normes, c’est cela le vrai sujet !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Delphine Bataille

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution qui nous est présentée – je souhaite d’ailleurs en remercier M. Bockel et ses collègues – se veut une réponse aux résultats de la consultation des élus locaux, lancée à l’occasion du congrès des maires en 2014 par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

En matière de simplification des normes, les élus locaux ont en effet placé en tête de leurs préoccupations le secteur de l’urbanisme et du droit du sol.

Ils ont globalement mis en avant l’excès de formalisme, l’absence d’interlocuteur identifié, les dossiers administratifs longs et indigestes ou encore le manque d’adaptation des normes aux contextes locaux. Ils ont aussi relevé que toutes les normes édictées pour les zones urbaines sont difficilement applicables dans les zones rurales.

Il est indéniable que les élus engagés dans l’élaboration de documents d’urbanisme, notamment des plans locaux d’urbanisme, sont aujourd’hui confrontés à la complexité accrue des normes, devenues trop nombreuses et contraignantes.

Cette inflation normative résulte des demandes croissantes de nos concitoyens en matière de sécurité, de santé, de protection de l’environnement ou encore d’application du principe de précaution. Il faut aussi compter avec les textes communautaires et internationaux, voire avec d’autres législations.

L’élu communal, principal acteur des compétences d’urbanisme et conciliateur de l’intérêt général avec les intérêts particuliers des propriétaires et des constructeurs, a ainsi dû faire face, ces dernières années, à une profusion de nouveaux textes.

Cet étouffement normatif est, depuis longtemps, une source d’instabilité, de coûts importants, d’insécurité juridique et de lourdeurs, obligeant certains élus, quand ils le peuvent, à faire appel à des cabinets d’avocats. Pourtant, depuis plus de vingt ans, alors que le Conseil d’État mettait en garde contre de telles dérives, de nombreuses lois sont encore venues modifier les orientations et le contenu du droit de l’urbanisme.

Cet empilement législatif et réglementaire rend le droit de l’urbanisme instable, difficilement accessible et peu lisible pour la plupart des élus. Dans un tel contexte, la simplification des normes est devenue, en particulier pour les maires, une question prioritaire.

Partant de ce constat, la proposition de résolution, qui s’articule autour de deux axes, invite le Gouvernement à rehausser, dans la hiérarchie des normes, le principe de la compensation de l’ajout d’une norme par la suppression ou l’allégement d’une autre et lui présente ensuite treize propositions à mettre en œuvre pour simplifier les normes réglementaires en matière d’urbanisme et de construction.

Le principe de la compensation de tout ajout d’une nouvelle norme par la suppression d’une autre a été décidé par le Président de la République, qui, dès le début de son mandat, a fait de la simplification des normes pesant sur les collectivités locales une priorité.

Ce gel des normes, entré en vigueur le 1er septembre 2013 conformément à une circulaire, a remplacé le moratoire sur les normes mis en place en 2010 par François Fillon, également par voie de circulaire, mais qui s’était montré peu efficace. Alain Lambert, médiateur des normes applicables aux collectivités territoriales, dénonçait alors un moratoire, qui « semblait inconnu de la part d’un certain nombre d’administrations centrales ».

C’est pourquoi le Gouvernement, au-delà de l’institution de ce gel, a limité le nombre de circulaires ministérielles, pour en améliorer la qualité, tout en rénovant le mode de relation avec les services déconcentrés. Il réserve désormais l’usage des circulaires à la diffusion d’instructions pour la mise en œuvre d’une politique publique. Les précisions techniques ou méthodologiques sont apportées via internet et les préfets et services déconcentrés de l’État doivent être en mesure de prendre en compte la réalité des territoires dans l’application des textes.

Il est donc inutile de transformer cette circulaire en décret et de rajouter ainsi à l’inflation des normes. En ce sens, Alain Lambert juge indispensable de rétablir la hiérarchie des textes – sortir de la loi ce qui aurait dû être du ressort du décret, sortir du décret ce qui aurait pu tenir dans un arrêté, etc. –, afin de modifier plus facilement un texte mal conçu.

Depuis l’adoption de cette mesure, le processus de simplification engagé par le Gouvernement se poursuit et s’intensifie. Pour mieux lutter contre l’inflation normative, le Conseil national d’évaluation des normes, créé par la loi du 17 octobre 2013, dispose de pouvoirs renforcés. Il est compétent pour la gestion des flux, comme pour le stock de normes. Ainsi, les élus pourront saisir directement cet organisme, afin de proposer l’abrogation ou la simplification d’une norme.

En matière d’urbanisme, plusieurs mesures récentes de simplification permettent d’agir sur le traitement contentieux des autorisations d’urbanisme, de raccourcir les délais d’obtention des permis de construire, de prolonger les délais de validité des permis de deux à trois ans et d’assouplir les conditions de la concertation pour certains d’entre eux.

Un décret publié en décembre dernier réforme le plan local d’urbanisme et clarifie le code de l’urbanisme. Les douze articles actuels seront remplacés par un règlement plus souple et mieux adapté aux spécificités des territoires.

Un certain nombre de règles ont donc bien été allégées et supprimées, mais les effets de ces simplifications – pour la plupart, récentes – ne sont pas encore spectaculaires. De plus, le toilettage du stock de normes existant peut s’avérer complexe, comme pour la loi sur le handicap.

Aujourd’hui, la plupart des treize propositions présentées dans le texte que nous examinons, soit sont déjà mises en place, soit ont fait l’objet d’annonces lors du comité interministériel du 14 septembre 2015 à Vesoul. Le Gouvernement a donc bien entendu les demandes exprimées par les élus et a mené un chantier spécifique de simplification des normes de construction et des règles d’urbanisme, qui commence à produire des effets.

Il n’y a donc pas d’intérêt majeur à cette proposition de résolution, qui va dans le sens du travail accompli par le Gouvernement. C’est la raison pour laquelle notre groupe s’abstiendra, mais de manière positive, sur ce texte.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean-Marie Bockel applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le chantier de la simplification est en cours depuis le mois de mars 2013 avec l’annonce, par le Président de la République, de son « choc de simplification ».

Je ne suis pas nécessairement convaincu par les thérapies de choc. De manière générale, je préfère les évolutions aux révolutions, les petits matins aux grands soirs, les transitions concertées aux bouleversements soudains et imposés.

Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

M. Joël Labbé. Cela vient peut-être avec l’âge, chers collègues !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Heureusement, dans cette œuvre de simplification, il y a eu de la concertation. Nous avons examiné, dans cet hémicycle, de nombreux textes de simplification ces deux dernières années et la plupart d’entre eux ont fait l’objet d’une concertation préalable avec les acteurs économiques et institutionnels.

C’est aujourd’hui le travail de notre délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation qui est en discussion. Il ne s’agit pas d’un travail partisan. Par les temps qui courent, c’est particulièrement appréciable !

En tant qu’ancien maire, je comprends très bien la détresse de certains élus locaux face aux réglementations extrêmement complexes, notamment en matière d’urbanisme. Cette résolution vient répondre à cette détresse, et je souscris à l’objectif de ses auteurs.

Toutefois, les écologistes resteront vigilants

Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Elles méritent parfois d’être assouplies, mais il ne faut pas que leur utilité s’en trouve écornée.

Il serait nécessaire d’établir un premier bilan de l’activité du Conseil national d’évaluation des normes, que notre assemblée a réformé en adoptant une proposition de loi présentée sur l’initiative commune de deux de ses « piliers », Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur, dont je veux saluer ici le travail et la détermination.

La loi du 17 octobre 2013 a permis de consacrer, grâce à un amendement de notre ancienne collègue Hélène Lipietz – je tiens à la saluer, car je sais qu’elle est présente dans nos murs aujourd’hui –, la proposition du Président de la République consistant à abroger une norme devenue inutile ou obsolète chaque fois qu’une norme nouvelle est applicable aux collectivités territoriales. Ainsi, « l’avis rendu par le Conseil national sur des dispositions réglementaires en vigueur peut proposer des modalités de simplification de ces dispositions et l’abrogation de normes devenues obsolètes ». C’est donc avec une certaine satisfaction que je peux aujourd’hui oser soutenir ce texte, …

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

… qui vise à renforcer ce principe. Ce texte prend des précautions bienvenues lorsqu’il indique, dans son alinéa 6, que les normes nouvelles doivent entraîner une simplification ou une suppression uniquement dans le cas où elles constituent une contrainte ou une charge pour les collectivités territoriales.

La proposition d’élaborer une charte nationale harmonisant les niveaux d’exigence des commissions de sécurité, des offices préventionnistes et des architectes des bâtiments de France est, selon nous, intéressante. Elle pourra permettre une application plus lisible des différentes normes sur l’ensemble du territoire national, d’une façon objective et non plus subjective, en fonction du regard du fonctionnaire ou de l’organisme chargé de les appliquer.

Les écologistes seront vigilants si le Gouvernement traduit effectivement la présente résolution en actes réglementaires. Ainsi, concernant l’assainissement collectif, je comprends parfaitement l’objectif visé, mais la possibilité d’une application laxiste de la délivrance de permis de construire sur la foi de simples délais déclaratifs de mise en conformité m’inquiète. Il faudra faire preuve de fermeté dans ce domaine !

De la même manière, j’aimerais bien connaître la définition des actes de « faible importance » qui seraient exclus du contrôle de légalité en matière d’urbanisme. Ne faut-il pas renforcer les effectifs chargés du contrôle, puisqu’il semble que le contrôle effectif des actes soit insuffisant, plutôt qu’exclure du cadre du contrôle un grand nombre d’actes administratifs au risque qu’ils ne respectent pas la loi, malgré leur toute relative « moindre importance » ? Le respect de la loi ne peut être à géométrie variable. Certes, malheureusement, tel est trop souvent le cas dans les faits, mais nous ne pouvons nous en accommoder !

Ces réserves posées, au regard de l’esprit d’authentique simplification qui inspire ce texte très attendu, je voterai cette proposition de résolution au nom de mon groupe.

Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Puisqu’il me reste quinze secondes de temps de parole, j’en profite pour indiquer que l’un de nos futurs axes de travail pourrait être le droit à l’expérimentation encadrée en matière d’urbanisme. J’ai eu l’occasion de visiter un endroit regroupant tous les types d’habitats alternatifs – yourtes, cabanes, habitats en paille et terre –, installés sans véritable autorisation, mais extrêmement respectueux de l’esprit de la COP 21. Sur de telles questions, je réclame le droit à l’expérimentation, mais il sera nécessaire d’en débattre de nouveau.

Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de résolution vient au bon moment, et notre groupe la votera, parce qu’elle va dans le bon sens.

Notre pays a une administration particulièrement compétente et efficace, au point que nous pourrions envisager de l’exporter si cela pouvait permettre de rééquilibrer notre balance commerciale !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Cela dit, pour la plupart d’entre nous, nous sommes des élus locaux – pour l’instant, on nous en laisse encore le droit ! –, ce qui fait que nous pouvons émettre des avis assez pertinents en matière d’urbanisme ou d’assainissement, grâce à l’expérience acquise dans nos collectivités. Demain, les choses seront certainement différentes.

M. Patrick Abate applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Mes chers collègues, notre administration est tellement compétente qu’elle ne peut pas s’empêcher de travailler – nous devrions nous en réjouir, et nous le faisons souvent –, dans des domaines qui nous tiennent particulièrement à cœur.

Même si elle concerne des questions qui s’éloignent un peu des sujets abordés par cette résolution, je vous invite vivement, mes chers collègues, à lire ce chef-d’œuvre de notre administration qu’est la circulaire du 22 décembre 2015 concernant l’application de la loi NOTRe. J’ai fait un peu de droit dans ma vie, d’abord comme étudiant, puis au barreau pendant quelques décennies. Je pensais que les circulaires n’avaient d’impact que sur les services de l’État. Or celle-ci explique quels sont les transferts de compétences ou les évolutions qui sont acceptables.

Il faut donc que vous lisiez tous cette excellente circulaire, parce qu’elle prolonge la loi NOTRe et en précise l’esprit. En matière de liaisons aériennes, vous apprendrez ainsi que le département ne peut plus intervenir, sauf si la liaison présente « un caractère touristique indiscutablement prépondérant », mais que la région peut organiser ce type de transport. C’est donc une circulaire qui dit ce qui est licite, et on essaiera ensuite d’imposer cette vision à nos collectivités au moyen du contrôle de légalité !

Si c’est à cela que se résume l’évolution positive en matière de réglementation et de normes qui nous est annoncée par l’exécutif, monsieur le secrétaire d’État, je considère que l’on peut faire beaucoup mieux ! En tout cas, c’est un nouveau fossé qui sépare les déclarations publiques de l’action.

Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Mes chers collègues, je pourrais m’arrêter là, mais je vais faire totalement abstraction de l’excellent document que l’on m’avait préparé pour vous livrer la suite de ma réflexion.

Nous avons le tort, les uns et les autres, de confondre le problème de la réglementation avec celui des normes. De la réglementation et des textes d’application des lois, il en faut. Cependant, comme nous le disons souvent, moins on a de textes, mieux on les applique – je sais que je m’adresse à un excellent juriste, monsieur le secrétaire d’État. À l’inverse, plus on fabrique de textes, moins on les applique, soit parce que l’administration ne les connaît plus, soit parce que le législateur, lorsqu’il adopte de nouvelles lois, ne tient pas compte des textes antérieurs. Nous finissons ainsi par vivre dans un système d’insécurité juridique.

Nous avons tous, dans nos communes, dans nos intercommunalités, dans nos départements, dans nos régions, la volonté de développer des projets. Pour rendre service à la nation, il faudrait mettre en lumière, dans le cas d’un dossier concret de développement, toute la mécanique administrative qui est imposée à la collectivité pour réaliser son projet, qui prend souvent des années, notamment avec la multiplication des commissions.

Nous voulons tous simplifier les choses. Le Gouvernement a fait des efforts, reconnaissons-le, même si nous ne sommes pas d’accord avec ses conclusions dans le cadre de la réforme territoriale. Pour simplifier, on pourrait déjà supprimer toute une série d’agences et de structures intermédiaires qui font perdre du temps et de l’argent, de même que les commissions administratives des préfectures, qui nous posent des problèmes insurmontables !

Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

M. Jacques Mézard. Ainsi, chaque année, en tant que président d’agglomération, je dois désigner un élu pour siéger à la commission « chauves-souris ».

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Pour rassurer M. Labbé, je précise que je suis tout à fait favorable à la protection de ces animaux... Toutefois, dans un département comme le mien, une quarantaine d’élus et de fonctionnaires se réunissent pour discuter du devenir et de la protection des chauves-souris.

Nouveaux sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Pour conclure, je félicite les auteurs de cette résolution, en faveur de laquelle nous voterons, mais je pense qu’il faut faire beaucoup plus. Enfin, monsieur le secrétaire d’État, cessez de prendre des circulaires qui ont un caractère impératif à l’égard de ceux qui n’en sont pas les destinataires !

Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Rémy Pointereau

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous poursuivons les débats consacrés cette semaine à la simplification des normes, et j’en suis très heureux.

Tout comme Jean-Marie Bockel, je me réjouis que le Sénat ait adopté hier la proposition de loi constitutionnelle que j’ai présentée. Ce texte est, je le crois, important. Il fixe à l’État l’obligation de compenser aux collectivités territoriales le coût induit par toute norme qu’il édicte à leur égard. Il s’agit d’une claire affirmation du principe « prescripteur-payeur ». Cette règle me semble indispensable pour responsabiliser l’État central. Elle est la condition pour endiguer la profusion de normes et de dépenses, rétablir une relation de confiance entre l’échelon local et national et favoriser un changement de culture normative.

Cependant, la simplification normative doit être appréhendée par les deux bouts : en amont, par l’inscription dans la Constitution d’un cadre robuste contre le zèle normatif ; en aval, par le toilettage régulier des normes excessivement complexes.

C’est pourquoi le groupe de travail sur la simplification des normes créé par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation a entamé une tâche aride, difficile, même frustrante, mais ô combien nécessaire : la simplification du stock de normes applicables aux collectivités territoriales.

Comme cela vient d’être dit, le législateur n’est ni l’unique ni le principal responsable de l’inflation normative. Cette mission de simplification s’est concentrée aussi sur la matière réglementaire. En effet, sur plus de 400 000 normes applicables aux collectivités territoriales, on ne dénombre que 8 000 lois – même si c’est déjà beaucoup ! La plupart de nos partenaires européens ont pris la mesure de l’inflation réglementaire et admis la nécessité d’y mettre un terme.

Ainsi, ils ont expérimenté des dispositifs innovants. Au Royaume-Uni, le principe « pour une norme créée, une norme supprimée » impose au gouvernement de compenser la création d’une norme applicable aux entreprises par la suppression d’une autre... et maintenant de deux autres !

Debut de section - PermalienPhoto de Rémy Pointereau

En Italie, le mécanisme dit « de la guillotine réglementaire » repose sur la fixation d’une échéance au-delà de laquelle une norme est présumée supprimée, sauf à ce que l’administration la justifie.

Au Danemark, enfin, les prescripteurs de normes se déplacent auprès des acteurs de terrain pour évaluer avec eux les effets de la réglementation et les possibilités de simplification.

Ces dispositifs ont permis à ces pays d’atteindre des résultats significatifs. Pour ne prendre qu’un seul exemple, la charge administrative a diminué de 25 % au Danemark, selon l’OCDE. La France doit donc à son tour intensifier son action en faveur de la simplification réglementaire, afin de restaurer les marges d’action des acteurs locaux et de favoriser l’esprit d’initiative dans nos territoires.

Plus précisément, c’est à la simplification de la réglementation applicable en matière d’urbanisme et de construction que le groupe de travail s’est attelé, de nombreux rapports ayant depuis longtemps dénoncé l’anarchie normative qui règne dans ce domaine.

D’ailleurs, l’urbanisme était considéré comme un « champ de simplification prioritaire » par Éric Doligé dans son rapport sur la simplification des normes de 2011, et comme un « foyer de blocage ou de lenteur » par Alain Lambert et Jean Claude Boulard dans leur rapport sur la lutte contre l’inflation normative de 2013.

Debut de section - PermalienPhoto de Rémy Pointereau

La complexité des règles d’urbanisme est également soulignée par les élus locaux eux-mêmes. À cet égard, je ne reviendrai pas en détail sur la consultation conduite par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, dont les résultats ont été rappelés par le président Jean-Marie Bockel tout à l’heure : deux tiers des élus souhaitent que le droit de l’urbanisme soit allégé.

Pour atteindre ses objectifs, le groupe de travail a adopté une méthode innovante, associant les élus. Ainsi, j’ai réuni les maires de mon département, dont les observations ont nourri nos travaux.

Nos élus ont à cette occasion rappelé la nécessité de lever plusieurs obstacles : la complexité des dossiers d’urbanisme ; l’enchevêtrement des documents d’urbanisme ; les difficultés d’application de certaines normes d’accessibilité, de sécurité et de protection du patrimoine ; les retards induits par les études préalables pour les opérations d’aménagement ; le problème de la mise aux normes européennes des équipements d’assainissement collectif.

Afin de remédier à ces difficultés, le groupe de travail a souhaité donner une traduction concrète à certaines préconisations formulées dans les rapports précités.

À titre d’illustration, il a semblé opportun de faire suite aux propositions formulées par Éric Doligé, s’agissant notamment de la création des zones d’aménagement concerté.

Dans le même ordre d’idées, nous avons trouvé pertinent d’appuyer une recommandation faite par Alain Lambert et Jean-Claude Boulard quant à la nécessité d’ajuster la réglementation parasismique dans les zones présentant un très faible risque. Constatant le caractère excessif de cette réglementation, ils ont attribué dans leur rapport le « troisième prix des normes absurdes » aux « normes parasismiques là où la terre n’a jamais tremblé »

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Rémy Pointereau

Être à l’écoute des élus locaux et faire aboutir les préconisations des spécialistes de la simplification normative : voilà, en somme, le double esprit qui a présidé à l’élaboration de cette proposition de résolution. Il s’agit non pas de démagogie, monsieur Bosino, mais d’une réalité.

Je souhaite que le Sénat, en adoptant cette proposition, envoie au Gouvernement un signal fort pour l’encourager à simplifier la réglementation des domaines de l’urbanisme et de la construction.

Des annonces ont d’ailleurs été faites dans ce sens à l’issue du comité interministériel aux ruralités qui s’est tenu à Vesoul. Le Gouvernement s’est notamment engagé à harmoniser les niveaux d’exigence des commissions de sécurité et des officiers préventionnistes, à alléger certains contrôles dans les plus petits établissements recevant du public et à simplifier les normes parasismiques dans les zones de sismicité faible et modérée.

Ces engagements doivent être pleinement concrétisés, de sorte que les élus locaux disposent enfin du cadre juridique protecteur qu’ils sont en droit d’attendre.

Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de veiller à l’avenir de cette résolution.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. Jacques Mézard applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, rappelons en préambule que la norme est un outil, et non une fin en soi. Souvenons-nous de cette vérité simple, exprimée en son temps par Portalis : « Les lois sont faites pour les hommes et non les hommes pour les lois. »

Certes, monsieur Bosino, des règles sont indispensables pour assurer la sécurité et réguler la vie en société, mais force est de constater que leur accumulation finit par en détraquer le bon fonctionnement. Nous avons besoin de pouvoir agir avec souplesse, réactivité, inventivité, alors que l’accumulation des règles paralyse, ralentit et tétanise toute initiative.

Au dernier classement du Forum économique mondial, la France occupait la cent vingt et unième place sur cent quarante-huit pour le poids des contraintes administratives. L’OCDE estime, quant à elle, que notre frénésie réglementaire aurait un coût annuel de 80 milliards d’euros.

Aujourd’hui, quelque 400 000 normes réglementaires s’imposent aux seules collectivités locales. En quatre ans, de 2011 à 2015, le coût induit par les normes nouvelles a été évalué à plus d’un milliard d’euros !

Ce que MM. Lambert et Boulard appellent l’« incontinence normative » dans leur excellent rapport de 2013 est un obstacle considérable à l’initiative et, surtout, à l’efficacité de l’action publique, a fortiori, comme le président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation le rappelait, dans un contexte de crise économique et de baisse des ressources de nos collectivités. Les normes deviennent un véritable casse-tête pour les élus et, ce qui est inadmissible, un empêchement de faire !

Face à ce constat, la simplification des normes et la jugulation d’un flux toujours plus important sont primordiales. Aussi, le président du Sénat, Gérard Larcher, a fait à juste titre de la simplification des normes l’une des priorités de notre institution, qui, depuis plusieurs années, a pleinement pris la mesure de ce problème.

À cet égard, il convient de saluer ici l’excellent travail de nos collègues Éric Doligé, Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur, à l’origine de la loi de 2013 portant création du Conseil national d’évaluation des normes, le CNEN. Pourtant, si les pouvoirs de ce dernier ont bien été élargis, il faut aussi souligner que les saisines en urgence ou en extrême urgence sont utilisées à outrance, empêchant les élus membres de ce conseil de mener correctement leur travail de fond sur ces normes.

Le Conseil national ne peut, à lui seul, réaliser l’évaluation de la totalité des normes. Aussi, il a préconisé la mise en place d'une procédure de déclassification des normes existantes, confiée non seulement au législateur, mais aussi aux administrations elles-mêmes ; l’un de nos brillants collègues le rappelait tout à l’heure.

De même, le CNEN recommande de limiter la surtransposition des directives européennes, recommandation qui devrait devenir pour nous, mes chers collègues, un principe à suivre obligatoirement.

Nous le savons, les normes représentent un coût financier considérable. La circulaire datant de juillet 2013 et instaurant la règle « une norme créée, une norme supprimée ou allégée » a été publiée à la suite de l’annonce d’un « choc de simplification » par le Président de la République. Or, en 2014, l’instance d’évaluation des normes a examiné 303 projets, dont le coût a été évalué à environ 1, 4 milliard d’euros en année pleine. Cette tendance montre bien que le « choc de simplification » peine, pour le moment, à se traduire dans les faits.

En octobre 2014, le Premier ministre – qu’il en soit félicité ! – a enjoint les ministères de compenser toute charge financière liée à une nouvelle norme par un allégement équivalent. Au moment des vœux inaugurant cette nouvelle année, nous attendons avec impatience les résultats de cette prescription.

L’enquête réalisée par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation auprès des maires est très significative : sur 4 200 réponses, quelque 61 % des élus considèrent la simplification des normes sur l’urbanisme comme prioritaire.

En tant qu’élus locaux, pour la plupart, nous avons tous vécu des moments de très grande solitude et de profond désarroi dans des situations confinant à l’absurde, face à une administration qui justifie trop souvent et inlassablement l’empêchement de faire par des formules du type : « Je comprends bien votre question, madame ou monsieur le maire, mais ce que vous demandez n’est pas possible à cause des règles d’accessibilité, qui ne sont elles-mêmes pas forcément compatibles avec les règles de sécurité ou le PLU. »

Citons quelques exemples. Les normes de construction parasismiques concernent aujourd’hui 21 000 communes, contre 5 000 auparavant. Comme Rémy Pointereau l’a rappelé, MM. Lambert et Boulard ont, en 2013, attribué le « troisième prix des normes absurdes » aux « normes sismiques là où la terre n’a jamais tremblé ».

Rappelons également l’empilement des documents d’urbanisme – le SCOT, le PLU, le PLH, le plan de déplacement, le plan climat-énergie –, la nécessité de réaliser parfois trois études distinctes avant d’entreprendre des travaux en zone humide, l’excès ubuesque de surprotection, qui conduit parfois – je l’ai vécu – des commissions de sécurité à exiger un contrôle de l’avis du contrôleur.

Je pourrais aussi évoquer l’incompatibilité de la norme et des usages – dans les crèches ou les unités d’Alzheimer, il faut s’assurer de l’impossibilité de sortie, alors même qu’il est nécessaire de disposer d’issues de secours ouvrables à tout moment –, l’étonnante réglementation sur l’implantation des classes mobiles, fréquentes dans nos communes – à ce sujet, notre collègue Éric Doligé a, à juste titre, suggéré que l’autorisation d’implantation de classes mobiles soit non pas renouvelable chaque année, mais valable pour la durée du chantier –, ou encore l’insupportable complexité des procédures de ZAC – le délai actuel de 3 à 5 ans, alors que l’on nous presse de produire des logements, détourne les maires de cet outil très pertinent d’aménagement, qui oblige à avoir une vraie vision du développement de notre commune, appuyée sur une démarche de concertation. Mes chers collègues, en ces matières comme en tout, le mieux est l’ennemi du bien !

Enfin, j’évoquerai les situations invraisemblables provoquées par l’évolution des textes de loi et de réglementation, en prenant l’exemple, très révélateur, d’une commune de mon département. Entre le lancement de la procédure de révision de son PLU et la date définitive d’approbation de celui-ci, le contexte réglementaire a bougé trois fois, pour finalement revenir à la situation initiale.

Manque de chance, cette commune avait achevé l’enquête publique sur la révision de son PLU au moment de la promulgation de la loi ALUR, qui était d’application immédiate. Elle a donc dû relancer la révision de son PLU, réaliser une étude supplémentaire pour intégrer les nouvelles dispositions et, surtout, répondre à l’étonnement justifié des habitants, qui ne comprenaient pas pourquoi le maire recommençait un travail qu’il n’avait pas achevé.

À peine six mois plus tard, la loi d’avenir pour l’agriculture a apporté son lot de modifications et de nouveautés sur le sujet. Enfin, la loi Macron a assoupli ces dispositions, pour que, peu ou prou, l’on revienne aux dispositions applicables avant l’adoption de la loi ALUR.

Mes chers collègues, nous marchons sur la tête !

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

Cessons de constater avec désespérance cette incontinence normative, car, disons-le clairement, les législateurs que nous sommes sont responsables de cette surréglementation, …

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

… comme l’est aussi l’administration au travers des normes qu’elle édicte.

C’est pourquoi je salue l’excellente initiative de la délégation aux collectivités territoriales et de son président, ainsi que le non moins excellent travail de notre collègue, Rémy Pointereau, dont je connais la détermination. Nous devons vraiment agir et cesser de gémir.

Simplifier ne veut pas dire déréglementer ! En revanche, simplifier doit être pour nous une ardente obligation. La loi doit avoir pour objet de permettre d’agir et de résoudre des questions au lieu d’empêcher de faire, car cela n’a jamais supprimé une question ou un problème.

Mes chers collègues, comme vous l’aurez compris, le groupe de l’UDI-UC votera cette excellente proposition de résolution.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

M. René Vandierendonck. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, soyons beaux joueurs ! La proposition de loi constitutionnelle ayant été approuvée, monsieur Pointereau, je suis sûr qu’il ne fait aucun doute dans votre esprit que nous sommes à quelques semaines du vote en termes identiques de cet important texte par l’Assemblée nationale et de l’organisation du référendum nécessaire à son entrée en vigueur.

Sourires. – M. Rémy Pointereau s’esclaffe.

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Néanmoins, bien que je m’incline devant l’importance de cette procédure de révision constitutionnelle, je n’hésiterai pas à porter un jugement plus que positif sur cette proposition de résolution.

En effet, j’ai eu la chance de travailler avec Alain Richard, Alain Lambert, Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur sur le renforcement du CNEN, et je mesure l’ampleur et le caractère ingrat de la tâche qu’a confiée le président du Sénat à Jean-Marie Bockel et à la délégation aux collectivités territoriales. Si les choses bougent, comme je le soutiens, le Sénat, notamment sa délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, y est incontestablement pour beaucoup.

Soucieux d’éviter les répétitions, je ne reviendrai pas sur les observations de la Cour des comptes, qui sont loin d’être neutres. Cette instance regrette l’insuffisante coordination entre le secrétariat général du Gouvernement et le CNEN, dont M. le secrétaire d'État a rappelé hier que la saisine avait été considérablement allégée.

Je veux simplement évoquer la thèse défendue hier par M. le secrétaire d'État au sujet de l’interprétation facilitatrice. M. Vallini s’est adressé aux sénatrices et sénateurs pour leur dire que quelque chose était en train de changer en France. Peut-être les élus locaux que nous sommes ne l’ont-ils pas encore totalement perçu, mais M. Vallini a tenu à nous le faire savoir, les circulaires destinées aux préfets n’imposent plus à ces derniers une stricte lecture des textes. Il s’agit désormais de circulaires interprétatives, qui leur laissent un pouvoir d’appréciation, conformément à la jurisprudence du Conseil d’État relative au droit souple.

M. Vallini nous dira tout à l’heure ce qu’il pense de la ligne aérienne desservant le Cantal, dont il a été beaucoup question lors de la discussion de la loi NOTRe. En tout cas, pour moi, un préfet digne de ce nom devrait considérer que, si la région ne reprend pas cette compétence, rien ne saurait empêcher le département de le faire au nom de la solidarité territoriale.

Cet excellent exemple concret nous amène à saluer un certain nombre d’avancées en matière d’urbanisme. Sans trop allonger mon propos, je voudrais tout de même rappeler – en effet, biscuit avalé n’a plus de goût !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

– et saluer les mesures prises dans la foulée du comité interministériel de Vesoul sur les ruralités. Vous le savez, chers collègues qui connaissez les territoires, pour la première fois, de l’ordre est remis dans la réglementation sur les plans locaux d’urbanisme. Pour la première fois, un PLU doit tenir compte du projet du maire ou des élus. Pour la première fois, il cesse d’être soumis au carcan de l’urbanisme réglementaire, qui empêchait de mettre en œuvre le projet des élus !

Marques de scepticisme sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Je voudrais saluer ces mesures, comme je tiens à saluer les progrès observés du côté du Conseil d’État, sur l’initiative de Cécile Duflot. §Cela aussi, on l’a oublié ! Ces progrès ont permis de lutter contre les recours abusifs en matière de permis de construire, conformément aux préconisations de la commission Labetoulle.

Je voudrais insister particulièrement sur le fait que le droit à l’expérimentation, version Joël Labbé ou version Rémy Pointereau, introduit une possibilité de différenciation.

Je tiens à le dire, saluant au passage Jean-Jacques Hyest, lors des débats sur la loi NOTRe, nous avons défendu le schéma régional d’aménagement du territoire, appelé désormais le SRADDET. Nous avons tenu à ce que cet outil, dont l’échelle est régionale et qui a une portée prescriptive – c’est l’une des grandes modifications apportées par le texte – permette de prendre en compte les spécificités du territoire, ses enjeux, économiques, sociaux et environnementaux, afin de savoir précisément adapter – je n’ai pas peur du mot – la règle.

Je le rappelle, le droit souple, ce n’est pas nous qui l’avons inventé ; c’est le Conseil d’État qui a forgé la notion. Et il a rappelé que si le droit n’est pas toujours aussi souple qu’on pourrait le souhaiter, nous n’y sommes pas pour rien. L’administration y est certes pour quelque chose, mais il ne faut pas oublier le rôle du législateur. Aussi, osons cette différenciation dans l’application !

Vous avez dit, monsieur le secrétaire d'État, que les conférences territoriales de l’action publique, les CTAP, vont déjà permettre cette adaptation des politiques publiques aux territoires. Je plaide, quant à moi, pour la simplification. Je vais jusqu’à dire que les SCOT ne couvrent même pas 20 % du territoire national et que l’on peut s’en passer !

Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

On peut très bien fonctionner avec des schémas régionaux d’aménagement du territoire, qui engagent l’essentiel et qui sont à la bonne échelle. En effet, quand il s’agit de traiter de problématiques d’étalement urbain, de préservation des terres agricoles, d’assainissement, d’hydrologie, quand il faut lutter contre un certain nombre de pollutions, il n’y a pas besoin de SCOT, car les SRADDET sont à la bonne échelle.

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

M. René Vandierendonck. Si vous saviez le temps que les élus de la région Nord-Pas-de-Calais passent, dans le cadre d’un exercice qu’ils appellent « l’inter-SCOT », à essayer de se coordonner, vous vous rendriez compte que l’heure est venue de simplifier ! Je conclus donc en disant : « Continuons à simplifier ! »

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Mathieu Darnaud

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, pour le maire que je suis, l’ensemble des points qui constitue la résolution dont nous débattons aujourd’hui semblent si évidents que je ne peux m’empêcher de penser qu’elle est largement partagée sur toutes les travées de l’assemblée représentant les collectivités locales. Aussi formulerai-je, avant toute chose, une interrogation : comment en sommes-nous arrivés là ?

Comment, durant ces décennies, avons-nous laissé prospérer ce labyrinthe de détours et de culs-de-sac qui constitue un parcours du combattant réglementaire dont tout semble donner à penser qu’il vise à ralentir la progression des élus vers la satisfaction des besoins de leur territoire ?

L’écrasante majorité des membres des gouvernements qui proposent les lois et l’écrasante majorité des parlementaires qui votent ces dernières ont exercé les fonctions de maires ou d’élus municipaux. Tous ont donc eu à affronter ces obstacles, qui vont des tracasseries administratives et coûteuses à l’application d’une réglementation souvent excessive et parfois – disons le mot – absurde.

J’y vois une explication : la fâcheuse inclination de notre époque à vouloir placer sous tutelle chacune des entreprises conduites par les personnes physiques ou morales, au lieu de fixer des objectifs et de laisser aux élus le soin de mettre en œuvre leurs propres solutions.

Je pense que cette mise en garde s’adresse directement à nous-mêmes, nous, législateurs et donc prescripteurs de normes. Osons dresser un bilan impartial de la poursuite de certains objectifs parfaitement louables, mais qui se concrétisent sur le terrain en contraintes insurmontables, à l’instar des exigences liées à la « grenellisation » des plans locaux d’urbanisme.

Ces normes d’urbanisme étouffent le développement de nos territoires, notamment en milieu rural. Et la morosité du secteur du bâtiment et des travaux publics, le BTP, ne s’explique pas par la seule baisse des dotations ou le mauvais climat économique de notre pays. Elle a également pour origine les obstacles sans cesse plus nombreux qui séparent une délibération d’une inauguration.

Les diverses compatibilités auxquelles les PLU doivent se soumettre forment un étau qui se resserre chaque fois un peu plus. Ajoutons-y la liste des études obligatoires, souvent redondantes, et nous obtenons une illustration typique du mal français.

Les conséquences sont fâcheuses. Je vais en donner une illustration : j’évoquais à l’instant la « grenellisation » des plans locaux d’urbanisme. Comment comprendre qu’il soit désormais fait obligation à un maire de réduire de façon drastique son enveloppe foncière, abandonnant ainsi toute forme d’urbanisation et de développement sur des secteurs qui viennent de faire l’objet d’investissements lourds de la commune pour être viabilisés ?

Nous avons tous ici eu à connaître d’innombrables situations dans lesquelles des citoyens, des entrepreneurs ou des agriculteurs sont révoltés par des règles dont les bénéfices supposés ne leur profiteront jamais, mais dont ils sont les premiers à subir les rigidités.

Les décideurs locaux doivent donc reprendre un peu du poids que la légitimité du suffrage universel leur procure. Sinon, à quoi bon avoir inscrit le principe de décentralisation dans notre Constitution ?

Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Mathieu Darnaud

J’en viens au rééquilibrage qui doit, à mon sens, s’opérer face aux agents de l’État dont les conséquences laissées à leur pouvoir d’appréciation font naître des disparités d’un département à un autre, ainsi qu’un climat de perpétuelle incertitude. D’où mon soutien à l’alinéa de la résolution proposant l’harmonisation des niveaux d’exigence en matière de sécurité, de protection du patrimoine et de contrôle des obligations sanitaires.

Prenons le cas des architectes des Bâtiments de France : je pense que, finalement, ils nous sauront gré d’avoir mieux défini leur mission et d’atténuer les facteurs de frictions susceptibles de naître avec les élus locaux.

Je voterai donc en faveur de cette proposition de résolution excellemment rédigée par notre collègue Jean-Marie Bockel, à qui je veux rendre hommage, ainsi qu’à la délégation aux collectivités territoriales, qui a mené un travail de concertation aussi dense que rigoureux.

Mes chers collègues, nous avons l’ardente obligation de redonner de l’air à nos territoires. Maintenant, monsieur le secrétaire d'État, la balle est dans le camp du Gouvernement. Puisque celui-ci prêche la réforme et la simplification, il lui reste plus d’un an pour mener à bien ce chantier pour lequel, soyez-en sûr, vous n’aurez cette fois à souffrir aucune contestation de la part des élus locaux !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Cédric Perrin

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi d’introduire mon propos par le diagnostic établi par le Conseil d’État en 1991 : « La surproduction normative, l’inflation des prescriptions et des règles ne sont pas des chimères, mais une réalité ». Cette réalité, nous la subissons tous au quotidien. Dans ce rapport, la haute juridiction démontrait déjà l’existence d’une véritable « logorrhée législative et réglementaire ».

D’autres travaux récents sont venus illustrer ce constat : en 2007, le rapport d’Alain Lambert ; en 2011, le rapport d’Éric Doligé ; en 2012, le rapport sur la simplification des normes au service du développement des territoires ruraux. Et sur le plan international, l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, consacrait en 2010 une étude relative aux moyens permettant de « mieux légiférer en France ».

Pourtant, plus de vingt-cinq ans après le rapport du Conseil d’État, le constat est le même et il se révèle particulièrement préoccupant pour les collectivités territoriales.

Cela a été rappelé à de nombreuses reprises, cette inflation législative est incompréhensible pour nos concitoyens, parce qu’elle se traduit par des dépenses obligatoires nouvelles, mais aussi parce qu’elle va de pair avec des procédures complexifiées et des délais toujours plus longs. Dans les petites communes, notamment, des aberrations sont quotidiennement constatées. Nous les subissons tous.

Deux propositions concernent la rédaction d’une charte nationale pour harmoniser les niveaux d’exigence en matière de sécurité et d’architecture.

Cette harmonisation est urgente. Tous les maires peuvent en attester. À ce titre, prenons l’exemple d’une commune de mon département, qui compte moins de 400 habitants. Son église, de style roman, dont les premières pierres furent posées au XIIe siècle, figure sur la liste des monuments historiques. Conséquence regrettable de cette prestigieuse qualification, la covisibilité entre l’église et les constructions situées dans un périmètre de 500 mètres donne lieu à des obligations superfétatoires.

Ainsi, un propriétaire âgé s’est vu refuser la pose d’une porte de garage séquentielle, alors même que sa propriété est très éloignée de l’édifice et qu’elle se situe dans un lotissement moderne. Rassurez-vous, la pose d’une porte de garage en bois avec une petite porte lui a été autorisée, ce qui lui impose de sortir systématiquement de son véhicule pour le stationner !

Une autre proposition concerne l’établissement d’une liste des actes d’urbanisme de faible importance pouvant être exclus du contrôle de légalité. On ne peut douter de l’utilité d’une telle mesure quand on apprend que seuls 22 % des actes reçus ont été effectivement contrôlés en 2012. Au-delà de ce constat, c’est aussi la question de la formation et des compétences techniques des agents municipaux qui se pose. Nombre d’entre eux sont démunis face à la multiplication des normes et à la complexité qui en découle.

Chaque préparation de délibération est redoutée, par crainte qu’elle ne soit « retoquée ». Exclure du contrôle de légalité certains actes secondaires permettra à nos agents de se concentrer sur l’essentiel.

La proposition visant à simplifier la réglementation applicable aux PLU et à réduire le nombre de documents d’urbanisme concourt également à cet objectif : les SRCE, SCRCAE, SRADDT, SRADDET, PGRI, etc., sont autant d’acronymes derrière lesquels se cache un empilement normatif qui nourrit l’exaspération de nos agents. On exige d’eux le respect des réglementations, alors même que celles-ci n’ont pas la même valeur juridique.

J’ai recueilli à cet égard les témoignages d’agents et d’élus de mon département. « On marche sur la tête », m’ont-ils confié, appelant à plus de souplesse. Ils ont raison. Comment justifier des divergences d’appréciation et d’exigence d’un département à un autre ? Comment justifier le zèle dont font parfois preuve certains fonctionnaires qui surajoutent des obligations aux normes en vigueur ?

En ce sens, un autre secteur a été à juste titre désigné comme prioritaire pour la simplification : la mise en accessibilité des établissements recevant du public, un secteur que 36 % des élus ayant répondu au questionnaire proposé par la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation ont en effet mentionné.

Au degré de complexité des dispositions s’ajoute dans ce domaine l’imprévisibilité des avis rendus par les commissions consultatives départementales de sécurité et d’accessibilité. Sur le terrain, les situations s’enlisent. Il est urgent d’agir pour faciliter et promouvoir les actions engagées, et pour enfin harmoniser le degré d’exigence d’un territoire à l’autre.

Ainsi, notre objectif, avec la proposition de résolution, est de faciliter le quotidien des élus locaux et des administrés en relâchant l’étau normatif qui entrave l’action locale. Nous en parlons tous dans nos circonscriptions, nos mairies, nos conseils municipaux. Aussi, ici au Sénat, faisons-le et simplifions enfin ! Une fois de plus, notre assemblée s’inscrira ainsi dans sa mission de représentant des collectivités territoriales, en proposant des mesures réglementaires significatives et, surtout, de bon sens.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comme hier après-midi, nous voici de nouveau réunis autour du sujet des normes, excessives, contraignantes, coûteuses, qui pèsent sur les collectivités territoriales.

Plus précisément, nous discutons aujourd'hui d’une proposition de résolution visant à simplifier et à alléger les normes réglementaires en matière d’urbanisme et de construction, proposition qui émane de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, que préside Jean-Marie Bockel et dont le premier vice-président, Rémy Pointereau, est chargé de la simplification des normes – de la « lutte » contre les normes, suis-je tenté de dire.

Les éléments de ce débat sont connus : nous avons eu l’occasion d’en parler beaucoup hier ; nous le faisons souvent et depuis longtemps, notamment dans cet hémicycle et dans nos départements respectifs.

Je commencerai mon propos en disant, comme je l’ai fait hier, et, comme l’ont fort opportunément rappelé Mme Bataille et MM. Bosino et Labbé, que la norme est utile et même souvent indispensable. Elle est nécessaire dans un État de droit et dans une société qui se veut développée, par exemple dans les domaines de la santé et de l’environnement, ou encore dans le domaine qu’évoquait hier Jean-Pierre Vial, celui de l’accessibilité, notamment aux handicapés, des bâtiments publics.

Grâce à des normes parfois contraignantes, mais c’est leur nature de l’être, des progrès considérables ont été accomplis depuis quelques années en matière de protection de l’environnement, de santé publique et en faveur des handicapés.

C’est le premier élément : il ne faut donc pas complètement « diaboliser » la nécessité, dans nos sociétés, d’avoir des normes parfois contraignantes et, c’est vrai, parfois coûteuses aussi.

Debut de section - Permalien
André Vallini, secrétaire d'État

Pour le second élément, je reprendrai ce qui a été dit hier par Jean-Pierre Vial, mais aussi par Jean-Marie Bockel : qui est à l’origine de la prolifération des normes ? Le Parlement.

Debut de section - Permalien
André Vallini, secrétaire d'État

Toutefois, la responsabilité incombe aussi aux gouvernements successifs, de droite comme de gauche, qui vous proposent, mesdames, messieurs les sénateurs, comme ils proposent aux députés, de plus en plus de lois, et des lois de plus en plus longues. Ce constat a été dressé depuis longtemps par le Conseil d'État, par le Conseil constitutionnel – par Jean-Louis Debré notamment, mais pas seulement.

Que ce débat, au-delà des clivages partisans, nous permette donc aussi de faire notre examen de conscience ; le mot est un peu fort, mais sachons reconnaître les responsabilités des uns et des autres dans ce problème, qui est réel.

J’en viens aux solutions, car tout problème a une solution, et c'est aussi le cas de celui que pose, incontestablement, la prolifération normative.

Monsieur Mézard, vous êtes président de la communauté d’agglomération du Bassin d’Aurillac, où je me trouvais récemment et où l’on m’a en effet parlé de l’aéroport. À ce titre, vous avez à nommer des délégués ou des représentants dans de nombreuses commissions, notamment celle qui s’occupe des chauves-souris.

J’ai été président du conseil général de l’Isère et j’avais moi-même à nommer des délégués, comme peut-être M. Savin d’ailleurs (M. Michel Savin sourit.), dans telles ou telles commissions qui s’occupaient, elles aussi, des chauves-souris et d’autres animaux dignes, évidemment, de notre sollicitude.

Sourires.

Debut de section - Permalien
André Vallini, secrétaire d'État

M. Savin se souviendra peut-être que j’ai dû patienter pendant des années pour obtenir la réalisation d’un pont dans mon propre canton, entre Tullins et Saint-Quentin-sur-Isère, à cause de la protection des tritons crêtés rendue nécessaire par une norme.

Nouveaux sourires.

Debut de section - Permalien
André Vallini, secrétaire d'État

Il a fallu surmonter de nombreux obstacles, et, le jour où j’ai enfin cru parvenir au but, on m’a expliqué que le chantier devait être retardé, parce qu’il allait sinon s’ouvrir en pleine période de nidification des hirondelles…

Je connais donc bien ces sujets, qui sont exaspérants.

Debut de section - Permalien
André Vallini, secrétaire d'État

J’ai aussi été maire de ma petite ville natale et j’ai moi aussi, monsieur Perrin, eu à respecter la réglementation qui interdit, parce que l’église de Tullins est classée, de construire dans un rayon de 500 mètres. C’est tant mieux d’ailleurs pour la protection du patrimoine, même s’il y a parfois des excès de la part des fameux ABF. Nous sommes donc tous d’accord sur le constat et, tous, nous partageons la même volonté d’agir.

Les gouvernements successifs, là encore de droite comme de gauche, ont essayé d’agir, mais j’ai plutôt tendance à défendre celui auquel j’appartiens, et c'est la raison pour laquelle je vais vous dire que l’actuel gouvernement agit, peut-être pas mieux que les autres, mais en tout cas beaucoup plus que ce n’était le cas depuis une quinzaine d’années, à l’instigation et sous la pression, au bon sens du terme, du Sénat, notamment des membres de la délégation sénatoriale présidée par Jean-Marie Bockel.

L’action résolue engagée par le Gouvernement s’inscrit dans le cadre du choc de simplification voulu par le Président de la République, comme l’a rappelé Mme Gatel.

Le dispositif repose sur le Conseil national d’évaluation des normes, présidé par votre ancien collègue Alain Lambert, ainsi que sur deux circulaires, l’une du 17 juillet 2013, l’autre du 9 octobre 2014.

Un premier bilan des effets de la nouvelle impulsion qu’a donnée le Gouvernement à la lutte contre les normes peut être dressé, en premier lieu sur le flux. Je sais que les chiffres sont toujours sujets à contestation, notamment dans ce domaine, et je n’en citerai donc pas. Je tiens simplement à dire que la DGCL, qui assure le secrétariat du CNEN, est formelle : l’objectif de « zéro charge nouvelle » a été atteint en 2015. Chaque fois qu’une norme a été créée ou que l’« aggravation » d’une norme existante a été décidée, l’administration a été tenue d’obtenir un allégement d’un montant équivalent.

La tendance est donc claire et le résultat net. On ne doit bien sûr pas s’en satisfaire : il faut aller plus loin. Pour accentuer encore en 2016 cette tendance favorable, que personne ne conteste au CNEN, nous allons, à la demande notamment d’Alain Lambert, améliorer les évaluations des conséquences financières des textes présentés au CNEN, car celles-ci ne sont pas suffisamment détaillées. Je disais hier à cette tribune que les administrations centrales se contentent encore trop souvent, en guise de concertation avec les associations d’élus, d’une note d’information ou d’un message électronique.

Cela doit changer, et des directives ont été données en ce sens. Une circulaire a été envoyée par le Premier ministre le 12 octobre dernier à tous les membres du Gouvernement pour leur rappeler que les évaluations financières doivent être aussi précises que possible.

Après le flux, le stock fait lui aussi l’objet de toute notre attention. Une mission d’inspection a d’abord été mandatée en 2015 pour faire ressortir les normes les plus contestables et discuter de leur bien-fondé. Elle a rendu son rapport, avec une liste de 76 propositions regroupées par thématiques, dont celle de l’urbanisme.

J’ai en outre réuni à six reprises des ateliers thématiques à mon cabinet avec les associations d’élus, auxquelles j’avais demandé de nous envoyer des « praticiens » au quotidien de la norme, c'est-à-dire des DGS, les directeurs généraux des services, et des DST, les directeurs des services techniques. Les élus sont évidemment très compétents et dénoncent à juste titre la prolifération des normes, mais ce sont les DGS et les DST qui ont à appliquer celles-ci, avec difficulté, au jour le jour.

À la suite de ces ateliers thématiques, une dizaine de propositions ont été formulées après chaque réunion et deux séries de simplification ont été actées ces derniers mois.

Tout d’abord, comme M. Vandierendonck l’a rappelé, la loi NOTRe a intégré seize mesures de simplification, dont douze étaient issues du rapport de votre collègue Éric Doligé, à qui j’ai rendu hommage hier, ce que je fais de nouveau volontiers cet après-midi. Je ne les citerai pas, mesdames, messieurs les sénateurs, car vous les connaissez.

Ensuite, M. Vandierendonck et Mme Bataille l’ont dit, le 14 septembre dernier, lors du comité interministériel aux ruralités qui s’est tenu à Vesoul, dix-huit mesures de simplification de normes existantes ont été annoncées, notamment dans le domaine de la gestion des bâtiments publics et l’urbanisme.

Pour aller plus loin en 2016, deux évolutions importantes ont été décidées par le Premier ministre.

La première concerne le renforcement du dispositif gouvernemental. Nous avons obtenu qu’une équipe du SGMAP, le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique, soit dédiée au suivi de l’allégement des normes. Des fonctionnaires – il en faut, bien sûr, y compris pour simplifier – sont désormais chargés de suivre la mise en œuvre des simplifications.

En effet, une chose est de dire que l’on va alléger et simplifier une norme et l’acter dans un comité interministériel, ou même dans une loi comme la loi NOTRe, une autre chose est de vérifier que l’allégement et la simplification ne se perdent pas dans les sables de l’administration centrale. Grâce à la SGMAP, notre équipe de suivi est donc renforcée.

La seconde évolution, qui est importante, découle d’une demande formulée par Jean-Marie Bockel et Rémy Pointereau dans la proposition de loi simplifiant les conditions de saisine du Conseil national d’évaluation des normes. Le 20 mai dernier, je vous avais expliqué, mesdames, messieurs les sénateurs, que cette proposition de loi ne convenait pas parce qu’elle visait à modifier un décret, mais j’avais pris l’engagement devant vous que j’obtiendrais la modification de celui-ci.

Cela a pris beaucoup de temps, j’en conviens, mais je puis vous dire que pas une semaine ne s’est passée sans que ne m’inquiète de savoir où en était le décret modifié. Il est resté longtemps dans certains bureaux ; il est ensuite resté très longtemps au Conseil d'État ; enfin, la semaine dernière, nous avons obtenu la publication de ce décret : alors que, auparavant, il fallait réunir cent maires, ce qui est beaucoup, même si ces derniers sont désormais 35 945 en France, désormais, un seul maire peut saisir le CNEN d’une modification, d’un allégement, voire d’une suppression de norme s’il le souhaite.

Après le flux et le stock des normes en vigueur, tous deux trop importants, j’en viens au troisième point, que j’ai déjà évoqué hier après-midi et qui est peut-être le plus important : les conditions d’application des normes. Les élus locaux, quand on les interroge, se plaignent bien évidemment de l’excès de normes, mais surtout de la difficulté qu’ils ont à les appliquer, du manque de conseils…

Debut de section - Permalien
André Vallini, secrétaire d'État

… et de l’interprétation qui est parfois faite de ces normes par l’administration.

Voilà le troisième chantier auquel le Premier ministre m’a demandé de m’attaquer. Sur un conseil judicieux du sénateur Jean-Claude Boulard, expert en la matière, j’ai suggéré au Premier ministre, voilà quelques semaines, d’adresser aux préfets et à tous les chefs de services déconcentrés de l’État une circulaire qui leur prescrive une interprétation facilitatrice des normes ou plutôt, comme diraient les Québécois, un accommodement raisonnable – je trouve la formule plus imagée encore –…

Debut de section - Permalien
André Vallini, secrétaire d'État

… dans leur application, en fonction des réalités du terrain et de la collectivité locale à laquelle elles doivent être appliquées.

Le Premier ministre a bien voulu signer cette circulaire, qui sera adressée aux préfets dans les prochains jours. On m’avait dit que ce serait fait en décembre, or nous sommes en janvier : je vais donc à nouveau m’inquiéter de savoir si les préfets vont bientôt la recevoir.

Je vous invite d’ailleurs instamment à faire connaître cette circulaire aux élus locaux lors des cérémonies de vœux auxquelles nous participons tous dans nos départements. Vous pourrez leur faire savoir qu’ils auront désormais la possibilité non seulement de saisir le CNEN, pourquoi pas par votre intermédiaire, mais aussi de rappeler aux préfets qu’ils ont reçu du Premier ministre une circulaire qui leur demande d’interpréter de façon facilitatrice telle ou telle norme.

J’en viens maintenant plus précisément à votre proposition de résolution. Elle invite en premier lieu le Gouvernement à remplacer par un décret la circulaire du 17 juillet 2013 relative à la mise en œuvre du gel de la réglementation.

Je ne suis pas certain que faire remonter dans la hiérarchie des normes ce principe de compensation permette de maîtriser très efficacement et rapidement l’inflation normative. Ce qui compte en la matière, vous le savez bien, c’est d’abord la volonté politique, que le Sénat et le Gouvernement ont en commun.

Cette volonté doit aussi s’appliquer à changer la culture de l’administration française. Trop souvent encore, nos hauts fonctionnaires considèrent qu’agir, c’est forcément édicter, réglementer, légiférer. Nous devons aujourd’hui faire comprendre à l’administration qu’agir, ce peut être inciter plutôt que réglementer, ce peut être conseiller plutôt que légiférer.

J’évoquais hier une autre idée de Jean-Claude Boulard, que partage d’ailleurs Alain Lambert – tous deux ont accompli un travail remarquable à ce sujet –, l’idée d’un guide ou d’un référentiel des bonnes pratiques, qui pourrait, dans de nombreux domaines, se substituer à des normes trop contraignantes. Il faut réfléchir à quelques domaines dans lesquels de telles méthodes pourraient être expérimentées.

J’évoquais hier le sujet des cantines : vous savez que la réglementation dans ce domaine est très précise et tatillonne ; je me souviens d’avoir évoqué, lors d’un conseil des ministres où je présentais un bilan d’étape de mon action contre les normes, les réglementations imposant des longueurs et diamètres différents aux quenelles servies dans les cantines selon qu’il s’agisse d’écoles maternelles, d’écoles primaires ou de collèges. Or il existe, dans nos départements, de nombreux restaurants scolaires fréquentés à la fois par des élèves d’écoles maternelles, d’écoles primaires et de collèges : c’est un casse-tête pour l’intendant chargé de la gestion d’un tel restaurant !

Il faut donc faire confiance en premier lieu au bon sens des fonctionnaires qui se trouvent au plus près de la réalité vécue par nos concitoyens. Il faut en outre, par exemple dans ce domaine, préférer un référentiel de bonnes pratiques à des normes tatillonnes…

Debut de section - Permalien
André Vallini, secrétaire d'État

En effet, il y en a beaucoup.

… et quasiment impossibles à appliquer. Je vous soumets donc cette idée ; il peut y en avoir d’autres.

Nous avons réfléchi hier, avec le sénateur Jean-Pierre Vial et l’ensemble d’entre vous, à une autre évolution possible, à savoir une administration différenciée de nos territoires. J’ai écouté attentivement les discours des uns et des autres ; tous, vous avez affirmé qu’il faut adapter les normes à nos réalités locales.

C’est déjà possible, et ce le sera plus encore demain grâce à la loi NOTRe. En effet, à l’article 1er de cette loi, il est prévu que les régions peuvent formuler des propositions d’évolution des lois et règlements, en vigueur ou en cours d’élaboration, concernant leurs domaines de compétence. Ce pouvoir d’adaptation, dont les régions disposent depuis le début de ce mois, respecte le principe d’égalité républicaine, auquel nous sommes tous très attachés, dès lors que deux conditions sont remplies.

La première d’entre elles est que la modulation locale dans l’application d’une norme législative devra reposer soit sur une différence objective de situation entre territoires ou collectivités, soit sur une raison d’intérêt général.

La seconde condition est que la différence de traitement doit être en rapport direct avec les finalités de la législation dans le cadre de laquelle le législateur décide de confier aux collectivités territoriales un pouvoir réglementaire.

Sous ces deux réserves, les régions pourront adapter la législation qui s’applique à l’ensemble du pays aux réalités de leur territoire.

Debut de section - Permalien
André Vallini, secrétaire d'État

Enfin, comme le sénateur Vandierendonck l’a rappelé, nous n’avons pas encore assez mesuré le rôle facilitateur que joueront les conférences territoriales de l’action publique, ou CTAP, pour adapter l’organisation des administrations locales aux réalités de nos territoires. Ce rôle apparaîtra plus clairement au fil des mois et des années à venir : en effet, les CTAP pourront, dans chaque région, décider la délégation de telle ou telle compétence, ici à un département, là à une communauté d’agglomération ou à une communauté de communes.

Votre proposition de résolution invite en second lieu le Gouvernement à engager plusieurs mesures de simplification. Avec mon cabinet et les services de l’administration, nous avons beaucoup travaillé sur ce point. Le Gouvernement est très intéressé par ces propositions. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs été engagées dès le comité interministériel aux ruralités de Vesoul, le 14 septembre dernier. Je pense notamment à l’établissement, en concertation avec les élus locaux, d’une charte nationale d’harmonisation des niveaux d’exigence en matière de sécurité et de prévention.

De même, vous proposez d’alléger ou de supprimer les normes parasismiques. Voilà un sujet, parmi d’autres, que connaît parfaitement Jean-Claude Boulard. Il m’en a d’ailleurs saisi et j’ai commencé à faire bouger les choses, ce qui n’est pas facile. Il existe dans notre pays des territoires où la terre n’a jamais tremblé, où la géologie indique qu’elle ne devrait pas trembler avant longtemps et où, pourtant, les normes parasismiques s’imposent, …

Debut de section - Permalien
André Vallini, secrétaire d'État

… engendrant un coût supplémentaire dans la construction des bâtiments.

Debut de section - Permalien
André Vallini, secrétaire d'État

Je m’en préoccupe donc, presque chaque semaine. En tout cas, mon cabinet est là pour ça.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Revet

Il y a urgence, monsieur le secrétaire d’État !

Debut de section - Permalien
André Vallini, secrétaire d'État

M. André Vallini, secrétaire d'État. Je négocie actuellement avec le ministère de l’environnement, monsieur le sénateur, ce qui n’est pas facile…

Rires et applaudissements sur plusieurs travées.

Debut de section - Permalien
André Vallini, secrétaire d'État

M. André Vallini, secrétaire d'État. Si j’osais employer une formule un peu facile, je dirais : comme il est compliqué de simplifier, dans notre pays !

Marques d’approbation sur quelques travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.

Debut de section - Permalien
André Vallini, secrétaire d'État

Vous proposez également, mesdames, messieurs les sénateurs, de simplifier la réglementation applicable aux plans locaux d’urbanisme : cela aussi a été annoncé lors du comité interministériel de Vesoul.

D’autres propositions, telles que l’exclusion du contrôle de légalité d’actes de faible importance ou l’ajustement de la périodicité du contrôle des installations électriques, ont également été engagées lors de ce comité interministériel. J’ai ici la liste que je vous avais promise hier de toutes les mesures de simplification et d’allégement qui sont en cours d’examen ou de réalisation.

Debut de section - Permalien
André Vallini, secrétaire d'État

M. André Vallini, secrétaire d'État. Je ne vous en ferai pas la lecture intégrale – cela ne mérite pas d’être mentionné in extenso à la tribune – mais, par exemple, la mesure n° 9 concerne l’harmonisation des dispositions concurrentes – je dis bien « concurrentes » – concernant l’inclinaison de la pente des bordures de piscine.

Rires.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Revet

Eh oui ! C’est pour cela qu’il faut changer les choses !

Debut de section - Permalien
André Vallini, secrétaire d'État

Mon travail, travail de bénédictin ou de Romain, selon la période que l’on préfère, consiste à descendre ainsi dans le détail des choses, afin que les mesures concernant l’inclinaison des pentes de piscine soient harmonisées, car les réglementations ne sont pas les mêmes selon l’administration concernée.

On peut également mentionner, dans le même domaine, l’obligation de vidange des bassins de piscine, qui sera ramenée à une par an au lieu de deux : cela représente tout de même une économie importante pour une commune de faible importance qui a la chance d’avoir une piscine, car une telle vidange coûte cher.

Tout cela paraît quelque peu lointain aux administrations centrales et à leurs hauts fonctionnaires, qui sont excellents, que le monde entier nous envie et que je rencontre régulièrement ; néanmoins, ces sujets concrets sont vécus au quotidien par les élus.

Comme vous le savez, je me rends chaque semaine dans un département, et notamment dans ceux d’entre eux qui sont les plus éloignés des agglomérations urbaines et qui se sentent, à écouter leurs élus, quelque peu délaissés par Paris. J’y vais justement pour leur expliquer que ce n’est pas le cas, que le Gouvernement se préoccupe de leur vie quotidienne, et pour les écouter. Je pars ainsi demain en Vendée pour deux jours et je serai à nouveau la semaine prochaine en Lozère. Or partout, on me parle de problèmes aussi concrets que ceux que je viens d’évoquer : mon travail est bien là, dans le suivi des mesures les plus concrètes et les plus pragmatiques, de ces mesures qui vous intéressent, mesdames, messieurs les sénateurs, en tant que représentants constitutionnels des communautés locales.

En conclusion, si la présente résolution, comme je le pressens, est adoptée, le Gouvernement étudiera très attentivement chacune des propositions qui y sont faites. Par ailleurs, puisque nous partageons dans ce domaine le même objectif, j’allais dire la même philosophie, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de votre assemblée sur son adoption.

Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

Le Sénat,

Vu l’article 34–1 de la Constitution,

I) Considérant que l’objectif de limitation des charges et contraintes pesant sur les collectivités territoriales du fait de la réglementation doit être considéré comme prioritaire ;

Considérant que le Gouvernement a lui-même posé, par la circulaire du Premier ministre du 17 juillet 2013 relative à la mise en œuvre du gel de la réglementation, le principe : « une norme créée, une norme supprimée ou allégée » ;

Considérant que l’adoption d’un texte plus impératif qu’une circulaire est nécessaire pour assurer la pleine application de ce principe et l’ancrer dans la culture administrative ;

Invite le Gouvernement à fixer par un décret les conditions dans lesquelles toute introduction d’une norme réglementaire constituant une contrainte ou une charge pour les collectivités territoriales doit s’accompagner de la suppression ou de l’allégement d’une contrainte ou d’une charge équivalente ;

II) Considérant en outre que la situation financière des collectivités territoriales doit conduire à intensifier l’effort de simplification des normes existantes, qui peut conduire à des économies significatives ;

Considérant en particulier la demande de simplification des normes relatives à l’urbanisme et à la construction exprimée tant par les élus locaux que par les administrés ;

Invite le Gouvernement à engager les mesures suivantes :

– établir, en concertation avec les élus locaux, une charte nationale harmonisant les niveaux d’exigence des commissions de sécurité et des officiers préventionnistes ;

– établir également, en concertation avec les élus locaux, une telle charte pour les niveaux d’exigence des architectes des bâtiments de France, en prévoyant une règle de minimis ;

– élaborer au niveau national des référentiels fixant les procédures, les critères et les exigences appliqués dans le cadre des missions d’inspection et de contrôle des agences régionales de santé ;

– simplifier le formulaire CERFA 13404 ;

– inciter les communes dont les équipements d’assainissement collectif n’ont pas encore été mis en conformité avec la législation européenne à déterminer les délais et le concessionnaire retenus pour les travaux de mise aux normes, de manière à permettre la délivrance de permis de construire ;

– établir une liste des actes d’urbanisme de faible importance pouvant être exclus du contrôle de légalité ;

– publier une circulaire clarifiant le régime des dérogations et mesures compensatoires en matière d’accessibilité des établissements recevant du public (ERP) ;

– autoriser un ajustement de la périodicité du contrôle des installations électriques dans les ERP, en s’inspirant des règles applicables aux locaux professionnels ;

– permettre que l’installation de classes démontables dans les établissements scolaires ou universitaires faisant l’objet de travaux soit dispensée de formalités pour la durée du chantier ;

– permettre le regroupement en un dossier unique des dossiers de création et de réalisation d’une zone d’aménagement concerté ;

– limiter à un mois la majoration éventuelle des délais d’instruction de droit commun en matière d’urbanisme ;

– alléger ou supprimer les normes parasismiques pour les bâtiments de catégorie d’importance III dans les zones de sismicité 2 ;

– simplifier la réglementation applicable aux plans locaux d’urbanisme et réduire le nombre de documents d’urbanisme dont les exigences se superposent ; en particulier, éviter le cumul des études exigées pour les projets de travaux en zones humides.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie.

La commission des finances a proposé la candidature de M. Francis Delattre.

La candidature a été publiée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et des lois n° 2010–837 et n° 2010–838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des affaires économiques a émis ce jour un vote favorable (19 voix pour, une voix contre et quatre bulletins blancs) à la reconduction de M. Philippe Wahl dans les fonctions de président du conseil d’administration de La Poste.

Mme Sophie Primas applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UDI–UC, de la proposition de loi visant à instaurer un Jour de Mémoire pour perpétuer notre histoire, sensibiliser les jeunes aux sacrifices de leurs anciens et aux valeurs républicaines de la nation française, présentée par M. Vincent Delahaye et plusieurs de ses collègues (proposition n° 145, résultat des travaux de la commission n° 272, rapport n° 271).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Vincent Delahaye, auteur de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier le groupe UDI-UC d’avoir demandé l’inscription à l’ordre du jour d’aujourd’hui de la proposition de loi que j’ai déposée. Je tiens aussi à remercier mes collègues, membres non seulement du groupe UDI-UC mais aussi du groupe Les Républicains, qui ont accepté de cosigner cette proposition de loi.

À un moment où notre pays est attaqué sur ses valeurs républicaines, il m’a semblé nécessaire de prendre une initiative qui permette d’inculquer ces valeurs à tous nos jeunes ; il faut en effet, me semble-t-il, leur apprendre ce qui a fait la France et ce que signifie être Français.

Les journées de commémoration, entre autres éléments, devraient théoriquement jouer ce rôle. Dans les faits, on constate que les jeunes s’en désintéressent. Qui plus est, depuis quelques années, les jeunes hommes ont été privés d’un service militaire qui permettait notamment de leur inculquer certaines valeurs républicaines.

J’ai adressé cette proposition de loi au Président de la République, au Premier ministre et à l’ensemble des ministres concernés. Je suis heureux d’avoir reçu une réponse de Mme la ministre de l’éducation nationale. Mme Najat Vallaud-Belkacem, qui n’a pas manqué de saluer mon initiative, a souligné que son ministère avait déjà pris un certain nombre d’initiatives en la matière. Si je remercie Mme la ministre d’apprécier ce texte, je trouve cependant les actions organisées par son ministère largement insuffisantes au regard des enjeux.

Ainsi, Mme la ministre m’indique qu’est organisé depuis 1982 un partenariat entre son ministère et le ministère de la défense en faveur d’actions en direction des jeunes et des enseignants incitant au souvenir des conflits qu’a connus la France depuis 1870. Ce partenariat est un préalable, une aide au travail de mémoire, mais dont les conséquences concrètes me semblent assez floues.

Mme la ministre précise également que des journées mémorielles sont organisées auxquelles des classes sont associées, par exemple la commémoration du soixante-dixième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau le 27 janvier 2015 dernier et la cérémonie de panthéonisation du 27 mai de la même année. Tout le monde s’en souvient, mais il s’agit de deux journées ponctuelles et on ne connaît pas le nombre d’enfants concernés. Or l’action de l’éducation nationale doit s’inscrire dans le temps et deux journées ponctuelles ne sauraient suffire.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Mme la ministre mentionne en outre l’association de l’école à la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions, le 10 mai, et la Journée du souvenir des victimes de la déportation, le dernier dimanche d’avril. En tant que maire, je participe à ces commémorations et la ville de Massy a une place Victor Schœlcher avec une statue de Toussaint Louverture – je pense que c’est la seule qui existe en France – : je n’ai jamais eu le bonheur de voir des écoles ou des classes participer à ces journées de commémorations ; je le regrette et j’espère qu’il n’en est pas de même ailleurs. Je crains donc que les actions évoquées ne relèvent plus de l’effet d’annonce que d’une réalité pour les élèves et leurs enseignants.

Mme la Ministre cite la mise en place du nouveau parcours citoyen de l’école élémentaire jusqu’en classe de terminale, dans lequel la participation des élèves aux commémorations serait renforcée. Dont acte, mais comme ce parcours est nouveau, nous n’avons encore aucun recul quant à son efficacité.

Dans un esprit constructif, je pense que ces initiatives sont intéressantes et vont dans le bon sens. Toutefois, elles sont incomplètes et parcellaires ; elles restent trop souvent subordonnées à la bonne volonté des enseignants et circonscrites dans les établissements scolaires. Elles concernent trop peu d’élèves.

On le constate, un travail de mémoire est bien effectué en classe, au sein de l’univers scolaire, mais aucun travail pratique ne permet de le mettre en valeur, de se l’approprier pleinement et de le partager avec la société civile.

Il manque en particulier l’étincelle pour passer du « devoir de mémoire » – je reprends les termes du courrier de Mme la ministre – au « travail de mémoire », pour que les élèves s’approprient notre histoire et qu’elle devienne leur histoire.

Le travail de mémoire proposé en classe existe déjà dans les programmes scolaires. Ce n’est donc pas un travail supplémentaire pour les enfants et les enseignants. Il s’agit de rendre ce travail systématique pour que tous les enfants en bénéficient à trois reprises au cours de leur scolarité, en CM2, en quatrième – et non plus en cinquième, comme je l’envisageais initialement – et en seconde.

En reprenant le programme scolaire de ces années, il me semble que l’on peut trouver matière à des travaux pratiques.

En CM2, au programme d’instruction civique est inscrit le thème suivant : « connaître les symboles républicains et en comprendre le sens » ; en histoire, figurent les points suivants : « la violence du XXe siècle : les deux conflits mondiaux », « l’extermination des juifs et des Tziganes : un crime contre l’humanité », « la construction européenne ».

En quatrième, le programme d’histoire aborde la question des traites négrières et de l’esclavage ; celui d’instruction civique se concentre sur les valeurs de diversité, égalité, sécurité, liberté, droit, justice.

En seconde, l’enseignement moral et civique a pour thème « Égalité et discrimination » ; en histoire, les thématiques étudiées sont : révolutions, libertés, nations à l’aube de l’époque contemporaine, y compris les abolitions de la traite et de l’esclavage et leur application.

On le constate, les programmes scolaires sont riches et le travail de mémoire peut porter sur de nombreux sujets, prendre de multiples formes pour s’adapter aux élèves et aux projets. L’idée, c’est que les élèves ressentent cette journée non pas comme un devoir imposé, mais bien comme l’aboutissement d’un travail constructif, reconnu et valorisé.

Vous l’avez compris, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’objectif, c’est que, à trois reprises au cours de leur scolarité, les élèves puissent travailler avec leurs enseignants, dans le cadre des programmes existants – il ne s’agit donc pas d’un ajout –, sur des objets en lien avec cette problématique. Il peut s’agir de chants patriotiques – pas uniquement les hymnes nationaux –, …

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

… d’expositions de travaux des élèves, de témoignages d’anciens combattants ou de militaires des OPEX, de visites de mémoriaux, de conférences, de la présence éventuelle de l’armée… De nombreuses possibilités existent. Ce travail serait montré aux élus et au monde combattant lors d’une journée qui ne serait pas un jour férié au cours de laquelle participeraient les élèves, les enseignants, les parents, peut-être d’autres adultes.

La mise en place de ce jour de mémoire peut se faire progressivement, sur la base du volontariat : volontariat des villes et des élus, volontariat des enseignants.

J’ai présenté cette idée à des municipalités et à des enseignants : un certain nombre d’entre eux seraient intéressés et prêts à faire partie des sites pilotes. Je pense toutefois que cette initiative devrait être généralisée à l’ensemble du pays et à l’ensemble des élèves.

Les associations d’anciens combattants que j’ai contactées sont également très ouvertes à cette proposition. Il est vrai que celle-ci a le mérite de chercher à donner plus d’ampleur à nos commémorations, malheureusement la plupart du temps limitées, et à y associer l’ensemble de la jeunesse. Cela me semble répondre à un besoin aigu.

Dans le cadre de cette proposition de loi, j’ai proposé que ce jour de commémorations, qui, je le répète, ne sera pas un jour férié, soit fixé le dernier jeudi du mois de mai. En effet, il est préférable que cet événement ait lieu vers la fin de l’année scolaire, pour permettre aux enseignants de travailler avec leurs élèves et de rendre compte de ce travail.

J’ai bien noté que la proposition de loi semblait à certains incomplète, voire insuffisante

M. Jean-Louis Carrère fait un signe de dénégation.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Je me rallierai donc à la position de la commission et voterai la motion tendant au renvoi en commission de ce texte. J’espère qu’il ne s’agira pas d’un enterrement de première classe

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

, mais que ce sera au contraire l’occasion de mettre en valeur cette belle idée d’associer l’ensemble des jeunes à ce travail de mémoire.

Applaudissements sur de nombreuses travées de l'UDI-UC. – Mme Colette Mélot applaudit également.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – Mme Agnès Canayer applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Kern

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je remercie Vincent Delahaye d’avoir eu l’initiative de cette proposition de loi. L’examen de ce texte nous donne en effet l’occasion de nous pencher sur ce sujet important, que l’actualité et le rythme effréné de nos travaux relèguent trop souvent dans l’ombre.

Faire partager la mémoire de notre nation est un enjeu crucial, essentiel : c’est assurer la pérennité du « principe spirituel » qu’est notre nation et qu’Ernest Renan définit comme reposant sur deux éléments : « la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; [...] le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ».

L’actualité récente et le malaise qu’elle a parfois suscité montrent à quel point la transmission de notre mémoire nationale auprès de la jeunesse est aujourd’hui urgente et nécessaire. À bien des égards, il nous reste du chemin à faire.

Cette proposition de loi part en effet d’un triste constat : les commémorations officielles ne rencontrent qu’un faible écho auprès de la jeunesse. S’il y a heureusement des exceptions à ce constat, notamment lorsque les jeunes sont invités spécifiquement, les cérémonies ne réunissent de nos jours le plus souvent que les élus, les représentants d’associations et les anciens combattants.

La proposition de loi a le mérite de souhaiter inverser cette tendance, en instaurant un « jour de mémoire », afin de « sensibiliser les élèves aux enjeux liés à la transmission de la mémoire combattante de notre nation ».

Dans sa version initiale, le texte crée un article nouveau dans la partie du code de l’éducation relative à l’organisation du temps et de l’espace scolaires. Il précise que ce « jour de mémoire » est organisé « pendant l’année scolaire, hors période de vacances et jours fériés, le dernier jeudi du mois de mai », et qu’elle concerne en particulier les classes de CM2, de cinquième et de seconde. Les objectifs pédagogiques de la journée sont déterminés par le conseil supérieur des programmes ; le contenu des activités étant « librement déterminé par les enseignants, dans le respect du programme scolaire » et leur mise en œuvre « coordonnée par l’autorité scolaire responsable et les maires ».

Je crois pouvoir affirmer que, tous, dans cette enceinte, nous partageons les objectifs de ce texte, à savoir donner une plus grande place au travail de mémoire dans l’éducation de notre jeunesse. Le débat au sein de la commission de la culture a montré que cette finalité faisait largement consensus. Ce consensus se retrouve dans la politique du Gouvernement : la participation des élèves aux commémorations et aux cérémonies nationales constitue en effet l’une des mesures de la mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, décidée à la suite des attentats du mois de janvier 2015.

Malgré le peu de temps imparti, j’ai proposé à la commission quelques modifications, certaines substantielles, du dispositif de la proposition de loi. Il m’a notamment paru préférable d’inscrire cet événement le jour de classe qui précède immédiatement le 11 novembre. En effet, depuis la loi du 28 février 2012, ce jour est celui à l’occasion duquel il est rendu hommage à tous les morts pour la France. Cette journée n’aurait pas été une nouvelle journée de commémoration en elle-même : il se serait agi d’une journée de classe consacrée au travail de mémoire et à la préparation du 11 novembre.

La solution retenue par l’auteur de la proposition de loi – le dernier jeudi du mois de mai – présente l’inconvénient d’avoir lieu dans un mois qui connaît un grand nombre de commémorations, surtout depuis l’instauration d’une Journée nationale de la Résistance le 27 mai.

En effet, toute initiative en matière de mémoire se heurte à cet état de fait : les commémorations et les « journées de » n’ont jamais été aussi nombreuses, mais ont perdu leur caractère rassembleur et unitaire. En 2008, le rapport de la commission Kaspi rappelait que « la multiplication des commémorations diminue l’effet de chacune d’entre elles » et recensait douze commémorations nationales. De nouvelles ont été créées depuis et toutes les tentatives de remédier à l’émiettement commémoratif ont échoué.

L’éducation nationale n’est pas épargnée par la multiplication des injonctions mémorielles et des journées de mobilisation, bien au contraire. Le temps scolaire est scandé par d’autres « journées de », à l’instar de la journée de l’Europe le 9 mai, de la journée de sensibilisation et de mobilisation des élèves des écoles, collèges et lycées pour les droits des femmes et l’égalité hommesfemmes le 8 mars, de la journée de la laïcité le 9 décembre, ou encore de la journée nationale « Non au harcèlement », dont la première a eu lieu le 5 novembre dernier. Toute initiative visant à favoriser le travail de mémoire dans le cadre scolaire devra tenir compte de cet état de fait.

À la suite d’une discussion à la fois longue et constructive, notre commission a préféré ne pas adopter de texte. Les nombreux intervenants ont salué l’intention des auteurs de cette proposition de loi mais n’ont pas manqué de souligner les difficultés que leur texte soulève.

Tout d’abord, la commission a émis des réserves sur la pertinence de légiférer sur un sujet relevant de l’organisation des enseignements scolaires. De plus, elle a considéré qu’une proposition de loi présentée dans le cadre d’un espace réservé, examinée de surcroît dans des délais extrêmement restreints, ne constituait pas le moyen adéquat de traiter des questions mémorielles. Notre commission a estimé qu’un sujet aussi sensible méritait une réflexion et un travail préparatoire plus importants.

Les membres de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ont au contraire émis le vœu que l’examen de cette proposition de loi soit l’occasion d’un débat riche et fécond sur les conditions de la transmission de la mémoire nationale dans l’école de la République et sur les moyens de la favoriser. À cet égard, je salue la présence aujourd'hui du secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire, M. Jean-Marc Todeschini, ancien membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, que nous avons plaisir à retrouver.

En conséquence, Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission, et moi-même vous proposons, avec l’accord du groupe UDI-UC et de l’auteur de la présente proposition de loi, l’adoption d’une motion de renvoi en commission, en application de l’article 44, alinéa 5, de notre règlement. Cette motion, qui ne sera examinée qu’à l’issue de la discussion générale, ne fera pas avorter le débat et nous permettra de retravailler ce sujet de la plus haute importance. Elle nous donnera le temps de la réflexion et de la concertation, selon des modalités qui restent à définir, afin d’aboutir à un large consensus, car ce n’est pas en s’appuyant sur des divisions partisanes que l’on construit une mémoire partagée.

En conclusion, il est important que nous menions aujourd’hui une réflexion sur la transmission de notre mémoire. À l’heure où notre nation est attaquée de l’extérieur comme de l’intérieur, il nous faut nous ressouder autour d’une mémoire commune et la faire partager à ceux qui nous suivent. Le contexte y est favorable. Le centenaire de la Grande Guerre a été l’occasion d’une forte mobilisation, particulièrement dans les établissements scolaires. Il nous faudra la maintenir à l’avenir alors que s’ouvrira bientôt le centenaire de la bataille de Verdun.

Mes chers collègues, il me semble que, plus que jamais, le souvenir des épreuves passées est nécessaire pour aborder avec confiance celles auxquelles nous sommes confrontées, ainsi que pour mesurer le prix de notre sécurité et de nos libertés.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – Mme Danielle Michel ainsi que MM. Jean-Louis Carrère et Bernard Lalande applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Todeschini

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je partage bien entendu, tout comme Mme la ministre de l’éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, l’ambition des auteurs de cette proposition de loi, qui est de sensibiliser les jeunes à l’histoire de notre pays, aux sacrifices de nos anciens et aux valeurs républicaines de la nation française. Nous avons tous, je pense, cette ambition chevillée au corps, que nous soyons élus, professeurs, parents ou citoyens.

Pour le secrétaire d’État en charge de la mémoire que je suis, c’est plus qu’une ambition : c’est un devoir, une responsabilité. Dès mon entrée en fonctions, et fort de mon passé d’enseignant, j’ai mesuré l’importance de ce travail de sensibilisation et de transmission. Tout d’abord, l’histoire et les mémoires de notre pays, la France, constituent une part de notre identité et de celle de nos enfants. Ensuite, c’est à la lumière du récit de nos anciens et des sacrifices consentis pour défendre l’héritage de nos libertés et de nos valeurs républicaines que les jeunes d’aujourd’hui, artisans de la nation de demain, sauront avancer vers l’avenir. Enfin, au lendemain du triste anniversaire des attentats de janvier et de la survenue des attentats du mois de novembre, nous devons entretenir auprès des jeunes, particulièrement touchés par ces drames, le souvenir des victimes et des rassemblements qui se sont organisés autour des valeurs simples mais fermes de notre République.

Une fois cette ambition rappelée se pose la question du meilleur moyen d’arriver à la satisfaire.

Je partage le constat selon lequel la présence des jeunes lors des cérémonies nationales est en baisse. Toutefois, cet élément ne peut être le seul indicateur de leur mobilisation. Dès lors, je m’interroge : les mémoires doivent-elles continuer de vivre et d’être transmises seulement devant les monuments aux morts ? Pour ma part, je ne le pense pas. Ce n’est pas suffisant.

La mémoire se vit et se transmet dans les écoles, sur nos lieux de mémoire, notamment au cours des grands anniversaires décennaux, qui sont autant d’occasions de se souvenir et de comprendre, comme cela sera le cas jusqu’en 2018.

À cet égard, permettez-moi de vous donner quelques chiffres significatifs. Sur les 3 000 projets actuellement labellisés dans le cadre du centenaire de la Grande Guerre, plus de 1 000 étaient des projets pédagogiques conduits par des élèves avec les équipes enseignantes.

Par ailleurs, le succès des concours scolaires témoigne de l’enthousiasme des plus jeunes concernant la mémoire. Ainsi, le concours « Les petits artistes de la mémoire » organisé par l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre a concerné plus de 13 000 élèves de CM2 en 2015. Il s’agissait pour les élèves de choisir un nom sur le monument aux morts de leur commune et de s’interroger sur la signification d’un tel monument. Le concours national de la Résistance et de la déportation réunit quant à lui entre 30 000 et 40 000 participants chaque année. Le Président de la République souhaite d’ailleurs rénover ce concours et l’étendre à d’autres participants. Un rapport vient d’être remis à ce sujet, à ma demande et à celle de Mme la ministre de l’éducation nationale.

De grandes opérations mémorielles sont organisées au cours et en marge des cérémonies nationales par le ministère de la défense et ses opérateurs, notamment l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre et la Mission du centenaire, qui a en charge l’organisation du centenaire de la Grande Guerre.

C’est ainsi que la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives du ministère de la défense, dans le cadre d’un partenariat noué avec le ministère de l’éducation nationale depuis 2007, soutient chaque année 500 projets pédagogiques qui incitent 25 000 jeunes à réfléchir à la notion d’engagement. Elle soutient également plus de 300 voyages scolaires dans les anciens camps de concentration et d’extermination et, plus largement, dans nos lieux de mémoire.

Se recueillir devant un monument aux morts, entendre le récit d’un résistant ou d’un déporté, s’imprégner d’une émotion sur un ancien champ de bataille, est un enseignement complémentaire des manuels scolaires.

Le ministère de la défense accompagne aussi les enseignants, qui peuvent par exemple proposer à leurs élèves, à l’occasion des cérémonies nationales, une conférence délivrée par un agent du ministère sur le déroulé et le sens d’une commémoration.

Le ministère travaille également sur les nouveaux vecteurs de la mémoire, tels que le numérique, lequel a rencontré un immense succès dans le cadre des deux grands cycles commémoratifs du centenaire de la Première Guerre mondiale et du soixante-dixième anniversaire de la Seconde Guerre mondiale. Il permet notamment de construire des contre-discours face à la désinformation et à la falsification de l’Histoire dont nous sommes malheureusement trop souvent victimes sur internet.

Par ailleurs, le 11 novembre dernier, des reportages diffusés sur les réseaux sociaux ont par exemple permis de mettre en lumière la présence de lycéens venus d’Auvergne à Paris spécialement pour la cérémonie. L’événement a eu une très belle visibilité. Il a suscité plus de 30 000 « Vues » et près de 500 « J’aime » sur Facebook.

J’ai également participé aux Rencontres du Web 14–18 organisées par la Mission du centenaire le 10 avril 2015, lesquelles ont démontré l’émergence d’une véritable communauté de la mémoire sur le web.

Le ministère s’engage, enfin, dans le plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme lancé par le Président de la République le 27 janvier 2015. En lien avec le ministère de l’éducation nationale et le ministère de la culture, et sous la coordination de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, il met en œuvre l’action 32 du plan – « À chaque étape de la scolarité, un lieu de mémoire et une œuvre pour éduquer contre le racisme et l’antisémitisme », sur laquelle un point d’étape sera fait prochainement.

Pour ma part, je ne pense pas que la question de la transmission de la mémoire puisse être réglée par l’instauration d’une nouvelle journée nationale.

À cet égard, je rappelle que la journée du 27 mai, journée de la Résistance, instaurée en 2013 sur l’initiative de votre ancien collègue Jean-Jacques Mirassou, a précisément une vocation pédagogique. Le jour de mémoire que vous proposez, le dernier jeudi du mois de mai, entrerait donc en concurrence avec cette journée, voire, et ce serait pire, il créerait de l’indifférence vis-à-vis des cérémonies nationales.

Or en 2014, comme en 2015, cette journée fut l’occasion pour les enseignants, qui font un travail formidable en matière d’éducation à la citoyenneté, de consacrer une partie de leurs cours à la question de l’engagement, de la Résistance et de la déportation.

Le 27 mai dernier, à l’occasion de la panthéonisation de quatre grandes figures de la Résistance, les jeunes ont été associés à la préparation de la cérémonie et de nombreux établissements ont travaillé sur le parcours de l’une ou l’autre des quatre personnalités distinguées ce jour.

En outre, l’instauration d’un jour de mémoire tendrait à laisser penser que toutes les mémoires se valent et qu’elles peuvent être honorées d’un même élan. Cela créerait des confusions et gommerait les spécificités historiques de la France. Or vous savez combien le monde combattant est attaché, comme je le suis moi-même, à la singularité mémorielle de chacune de nos journées nationales.

Par ailleurs, je m’emploie depuis plus d’un an, avec force et conviction, à faire des scolaires non pas de simples spectateurs mais des acteurs de la mémoire pour en devenir des passeurs. Quand je dis « les scolaires », je pense aux élèves de tous les niveaux et de tous les établissements, qu’il s’agisse des établissements d’enseignement général ou technique ou des établissements situés en zone d’éducation prioritaire. Je ne pense pas seulement aux élèves de CM2, de cinquième et de seconde, contrairement aux auteurs de la proposition de loi !

Faire de nos jeunes des acteurs éclairés, des citoyens attentifs, dotés d’un esprit critique et nourris de l’engagement de leurs aînés est le meilleur moyen de préserver et de nourrir le lien intergénérationnel indispensable à toute société. C’est aussi le meilleur moyen de lutter contre les discours et les actes qui se nourrissent de la haine et des négationnismes et qui menacent notre socle républicain. C’est pourquoi je veux dépasser la seule ambition de conduire les jeunes en masse devant les monuments aux morts, même si cela est nécessaire.

J’ai rencontré et échangé avec des élèves d’écoles primaires, de collèges, de lycées, en France et à l’étranger, pour évoquer la figure du poilu, du combattant de 1940 ou encore du harki arrivé en France en 1962 et du soldat tombé en Afghanistan en 2011.

Je sais que les enseignants veillent à ce que leurs élèves réfléchissent aussi à l’actualité de notre histoire. Oui, je tiens à le redire, les enseignants font leur travail consciencieusement, à tous les niveaux d’enseignement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nos jeunes s’intéressent à la mémoire. Je le mesure chaque jour. Ils n’ont pas besoin de contraintes juridiques pour continuer de s’y intéresser. À nous de les accompagner ! À cet égard, les 22, 2 millions d’euros consacrés à la politique de la mémoire dans le budget pour 2016 y contribueront en nous permettant de nous doter d’outils pédagogiques modernes et d’investir massivement les nouveaux vecteurs de la mémoire pour inscrire cette dynamique dans la durée.

C’est aussi de cette manière que nous pourrons rétablir « la République en actes », conformément au souhait du Président de la République.

La mémoire est un travail de tous les jours – nous en sommes tous d’accord –, qui requiert du courage, qui exige que nous renouvelions sans cesse notre pratique mémorielle, que nous développions des approches modernes et que nous soyons pleinement mobilisés autour de nos jeunes, non pas un jeudi du mois de mai, mais tout au long de l’année, comme le sont les enseignants.

Donnons-nous les moyens, comme l’espérait Jean Zay, de « donner à la jeunesse assez de doctrine offensive, assez de convictions intangibles, assez d’impératifs, assez d’armes pour affronter les dangers d’une époque, pour défendre par tous les moyens l’héritage de nos libertés ».

J’ai écouté attentivement les deux orateurs précédents. Monsieur le rapporteur – ce sera ma conclusion –, je suis effectivement sensible à votre proposition de renvoyer ce texte à la commission, même s’il faut laisser ce débat se dérouler, car l’intention est noble, nous devons poursuivre la réflexion sur ce sujet et, comme vous l’avez dit, travailler dans l’unité.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Patrick Abate, Jean-Claude Requier et Antoine Lefèvre applaudissent également.

M. Hervé Marseille remplace M. Claude Bérit-Débat au fauteuil de la présidence.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

J’informe le Sénat que la commission des affaires sociales a fait connaître à la présidence qu’elle propose la candidature de Mme Laurence Cohen pour siéger, en qualité de titulaire, au sein de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie, en remplacement de Mme Annie David, démissionnaire.

Cette candidature a été publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 9 du règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Nous reprenons la discussion de la proposition de loi visant à instaurer un Jour de Mémoire pour perpétuer notre histoire, sensibiliser les jeunes aux sacrifices de leurs anciens et aux valeurs républicaines de la nation française.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Louis Carrère.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre pays vient de commémorer les attentats de janvier 2015 et d’honorer la mémoire des victimes de ceux-ci, mais également de ceux du 13 novembre dernier. Désormais, un chêne, symbole de force et de la liberté, emblème de la République, en fixera le souvenir, s’il en était besoin, sur le lieu même de la marche du 11 janvier.

Notre pays, vous le rappeliez, monsieur le rapporteur, a besoin d’unité ; la mémoire collective doit y contribuer ; car faire nation implique non seulement l’adhésion à une communauté de destin, la volonté de vivre ensemble, mais également de se reconnaître dans un passé commun. Comme l’affirmait le maréchal Foch, « un homme sans mémoire est un homme sans vie, un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir ».

La proposition de loi dont nous sommes amenés à débattre aujourd’hui interroge cette notion de mémoire et nous invite à réfléchir surtout sur la manière de transmettre cette mémoire nationale.

Je ne m’attarderai pas sur le caractère très peu législatif du dispositif présenté, notre collègue Claude Kern ayant largement développé cet argument dans le rapport qu’il a établi au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.

(Exclamations sur les travées de l'UDI-UC.) – rassurez-vous, je ne mets pas en parallèle l’importance du contenu de ces deux textes

Mme Sylvie Goy-Chavent s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Permettez-moi cependant – je ne peux m’y soustraire – de relever la cocasserie que constitue le fait d’examiner en séance, sur l’initiative d’un sénateur UDI-UC, un texte qui ne relève pas du domaine législatif moins d’un mois après la discussion de notre proposition de loi sur l’accès à la cantine §, même si cela n’est pas sans intérêt – à propos de laquelle la majorité sénatoriale s’était interrogée sur l’utilité de « légiférer sur tout ou rien ».

Je dois également relever la contradiction intrinsèque de la présente proposition de loi : partir du constat d’une moindre fréquentation des journées commémoratives pour en rajouter une !

Mme Sylvie Goy-Chavent s’exclame de nouveau.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Je rejoins les orateurs qui en commission n’ont pas manqué de pointer les difficultés que cette proposition de loi soulève et que vous avez justement rappelées, monsieur le rapporteur. En effet, celle-ci pose plus de problèmes qu’elle ne paraît en résoudre, car elle méconnaît selon moi le fonctionnement de notre institution scolaire, les responsabilités de l’État en ce domaine, et le respect de la liberté pédagogique des enseignants, pour le moins !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Je serai votre interlocuteur quand vous le voudrez ! J’ai assez longtemps exercé le métier d’enseignant…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

… pour savoir que la grande majorité des enseignants font le meilleur travail possible en ce domaine. Je ne comprends pas pourquoi vous m’interpellez sur ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Pour notre part, nous considérons l’injonction à commémorer sur laquelle elle se fonde contre-productive. Faisons confiance aux enseignants pour transmettre à leurs élèves la mémoire nationale, en coordination avec l’enseignement et le programme d’histoire, et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement.

Pour déployer tout son sens, s’enraciner dans les consciences et être efficace, le travail de mémoire doit en effet s’inscrire dans une démarche pédagogique construite et portée par les enseignants. Cela faisait dire, madame Goy-Chavent, à l’historien François Bédarida qu’au-delà du « devoir de mémoire » il y a un « devoir de connaissance » défini comme « la constitution d’un savoir seul apte à construire une mémoire vraie ».

(M. Michel Bouvard s’exclame.) Je pense notamment à la thématique des lieux de mémoire et monuments aux morts, qui pourrait être traitée à la fois sous le prisme de l’histoire bien sûr, de la littérature et de l’histoire de l’art, par exemple.

M. Michel Bouvard s’exclame de nouveau.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Nous devons donc nous interroger sur la meilleure manière de susciter à la fois l’adhésion des enseignants et l’intérêt des élèves. En ce sens, les futurs enseignements pratiques interdisciplinaires, EPI, prévus dans la réforme du collège constitueront, dès la rentrée prochaine – ayez un peu de patience ! – un cadre tout à fait approprié pour développer de tels projets pédagogiques. §

D’ailleurs, l’an passé, pas moins de douze programmes d’actions éducatives organisées par l’éducation nationale portaient sur le thème « histoire et mémoire » §– je le rappelle au cas où vous l’ignoreriez – ; deux d’entre eux étaient spécifiquement consacrés aux lieux de mémoire : le concours de la meilleure photographie d’un lieu de mémoire pour les collèges et lycées ainsi que le concours « Les Petits artistes de la mémoire » en direction des écoles. Les outils pédagogiques destinés à la transmission de la mémoire existent et sont mêmes nombreux ; le plus connu d’entre eux, le concours national de la Résistance et de la déportation, vous venez de le rappeler, monsieur le secrétaire d’État, existe depuis plus de cinquante ans. Il a concerné l’an passé, mes chers collègues, plus de 35 000 élèves du secondaire. L’éducation nationale et le ministère de la défense travaillent conjointement dans ce domaine. Ainsi, chaque académie est dotée d’un référent « mémoire et citoyenneté », chargé d’organiser les travaux du comité académique institué pour coordonner les actions mises en place dans le cadre des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale et du soixante-dixième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Ce calendrier particulièrement riche conduit à un renforcement de la politique mémorielle du ministère de la défense, avec une consolidation substantielle du pilotage et des moyens affectés à ces actions.

M. Michel Bouvard s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

J’ajouterai que les maires, monsieur le maire de Massy et cher auteur du texte, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Vous pouvez m’écouter !

… disposent eux aussi, dans le cadre des nouveaux rythmes scolaires entrés partout dans les mœurs

Exclamations sur les travées de l'UDI-UC.

Même mouvement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Écoutez-moi au lieu de pérorer !

… et d’actions concrètes de promotion de la mémoire nationale, dans leur projet éducatif territorial. Voilà un axe sur lequel vous pouvez et devez vous appuyer !

Mme Sylvie Goy-Chavent s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Chers collègues de la majorité, faites-leur donc confiance en ce domaine

Mme Sylvie Goy-Chavent s’exclame de nouveau.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Faites-leur donc confiance en ce domaine comme vous avez souhaité leur faire confiance pour respecter l’égalaccès de nos enfants à la cantine, ainsi que le défendait avec conviction Jean-Claude Carle il y a quelques jours !

Quant à la transmission des valeurs de la République, cette préoccupation n’a jamais été aussi forte qu’actuellement, avec la mise en œuvre de l’enseignement moral et civique, ainsi que le plan de la grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

… en réponse aux attentats de janvier 2015. Laissons donc le temps à ces nouvelles actions pédagogiques de prendre leur place, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

… au parcours citoyen de se déployer dans tous les niveaux scolaires et prenons notre part à leur évaluation. Le Sénat, mes chers collègues, pourrait faire œuvre utile en ce sens, dans un travail commun aux commissions de la défense et, madame la présidente Morin-Desailly, de la culture, de l’éducation et de la communication. Vous comprendrez qu’en tant qu’ancien président de la première, je sois très attaché à cette approche commune.

J’avais déjà plaidé, en commission, monsieur le rapporteur, pour une démarche consensuelle sur ce texte, y compris avec nos partenaires des ministères de la défense et de l’éducation nationale, car, sur le fond, il est important et intéressant.

Je me félicite du fait que notre rapporteur s’inscrive, à son tour, dans cette démarche de recherche du consensus, en appelant au renvoi en commission. Cela me paraît correspondre à l’esprit de cette proposition de loi.

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Bouvard

Cette proposition de loi, on pourrait s’en passer !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce texte tend à instaurer un jour de mémoire au sein de l’ensemble des établissements scolaires. Il vise à sensibiliser les élèves aux enjeux liés à la transmission de l’histoire de notre pays, aux sacrifices de nos anciens et aux valeurs républicaines de la nation française.

Je pense que nous pouvons faire crédit aux auteurs de leurs intentions. Ils ont vraiment envie, comme nous, que les enfants, les adolescents prennent conscience de ce qui a été vécu, qu’ils s’émeuvent sincèrement en pensant aux jeunes conscrits qui ont été fauchés par les balles, qui ont été défigurés, qui ont été blessés. On a vraiment envie que les enfants soient partie prenante de cette réalité.

Nous comprenons la préoccupation des auteurs de cette proposition de loi, mais pouvons-nous dire qu’une journée de plus, telle qu’elle est prévue dans le texte, serait la solution ? Je ne le crois pas. Il faut réfléchir davantage.

Actuellement, un grand nombre de journées existent déjà : la journée du numérique à l’école, celle du sport scolaire, la journée de mobilisation pour dire « Non au harcèlement à l’école », la journée de la laïcité, la semaine du vélo, la semaine du goût, la semaine d’éducation contre le racisme et l’antisémitisme ou la semaine de la presse…

L’école croule sous les injonctions, des injonctions beaucoup trop cadrées parce que cela ampute les emplois du temps sans donner les moyens de vraiment réfléchir.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Qui plus est, la loi du 28 février 2012 a fixé au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France. La création d’une journée de plus risquerait d’être incompréhensible.

Les municipalités se mobilisent déjà pour que les enfants s’approprient la commémoration. Le concours national des « Petits artistes de la mémoire » qui se déroule chaque année, avant le 11 novembre, avec l’aide de l’Union nationale des combattants, en témoigne.

M. Bernard Accoyer, dans le rapport qu’il a établi en 2008 sur les questions mémorielles, disait très justement que « Si l’école ne peut ignorer la mémoire dont peuvent être porteurs les élèves ni s’abstraire de participer à la mise en œuvre du devoir collectif de mémoire, sa mission première, qui est une mission éducative, doit rester d’enseigner l’histoire. » Elle le fait déjà.

Transmettre le devoir de mémoire aux jeunes générations pour le faire perdurer est un impératif.

Toutefois, les initiatives permettant d’associer l’école à ce devoir de mémoire et aux commémorations ne peuvent se faire sans un travail progressif. Elles doivent comporter un tel travail pédagogique et une sensibilisation à la mémoire en interdisciplinarité avec le programme d’histoire.

Le rapport précité préconise d’ailleurs de donner un lendemain à ces initiatives en prévoyant que les travaux d’un groupe d’élèves sur un événement historique soient régulièrement enrichis par les recherches des classes qui se succèdent. Cette idée de continuité et de cohérence se retrouve pleinement dans le parcours citoyen sur lequel a travaillé le Conseil supérieur des programmes. La publication des propositions du Conseil est attendue pour le mois de février : il faudra en tenir compte !

La mise en place d’un parcours citoyen pour chaque élève de l’école élémentaire à la classe de terminale, qui impliquerait un enseignement moral et civique, l’éducation aux médias et à l’information, ainsi que la journée défense et citoyenneté illustrent bien la notion de progressivité.

La transmission des valeurs républicaines à l’école est assurément perfectible.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Les témoignages des enseignants nous donnent d’ailleurs des pistes pour l’améliorer.

À la suite des attentats de 2015, de nombreuses mesures ont été mises en place pour que cette transmission soit mieux assurée. Alors que la semaine dernière a été marquée par la commémoration des attentats, l’école a ainsi été associée aux hommages.

Par ailleurs, le site du ministère de l’éducation nationale propose plusieurs outils et un ensemble de ressources pédagogiques est mis en ligne sur le nouveau portail internet « Valeurs de la République » par le réseau Canopé.

Nous devrons prendre conscience de toutes ces nouveautés et les intégrer dans le cadre de votre proposition de loi, monsieur Delahaye.

M. Michel Bouvard s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

La réserve citoyenne, encore balbutiante dans chaque académie, les comités départementaux d’éducation à la santé et à la citoyenneté qui associent les parents d’élèves, les nouvelles perspectives d’allongement de la journée défense et citoyenneté, l’amplification du service civique sont autant de lieux et de temps qui doivent croiser votre réflexion au profit d’un parcours citoyen généralisé à l’école, dans lequel la mémoire doit avoir toute sa place. À cet égard, de nombreux partenaires sont mobilisables, comme la Fondation de la Résistance.

Enfin, j’ajouterai que la prise en compte des témoignages locaux peut créer encore plus de ferveur. J’en veux pour preuve l’exemple de ces enfants – parmi lesquels on comptait des enfants issus d’autres pays que le nôtre – qui étaient présents le 17 décembre dernier pour fêter les fraternisations sur le lieu des tranchées de la guerre de 1914. Il faut souligner le remarquable travail pédagogique préalable qui a été accompli à cette occasion.

Monsieur le secrétaire d’État, vous étiez vous-même présent ce jour-là aux côtés du Président de la République et d’élus de toutes tendances politiques. Il y avait là un consensus, des jeunes émus et militant pour la paix !

Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain. – M. Yvon Collin applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes régulièrement amenés à examiner des propositions de loi à caractère mémoriel. Le plus souvent, le groupe du RDSE adhère à l’esprit qui anime ces démarches visant à souder la communauté nationale.

En effet, la transmission de la mémoire est consubstantielle à la conception française de la Nation. Les sacrifices consentis hier par nos anciens se prolongent aujourd’hui au travers de la liberté transmise aux générations suivantes. Il est donc primordial de rappeler aux plus jeunes le prix de ces engagements passés fondés sur la solidarité et le sacrifice.

La commémoration des événements qui ont bouleversé l’histoire de la France est le vecteur privilégié de la transmission de la mémoire collective.

En tant qu’élus, nous sommes bien entendu tous très attachés à ces moments de recueillement, qui nous rassemblent autour du monde combattant. Pour qu’ils conservent une visibilité, ils ne doivent cependant pas se multiplier au-delà du raisonnable.

Aussi, mon groupe n’est pas favorable à l’accumulation des jours de mémoire et à l’intervention permanente du législateur dans le champ mémoriel. Nous avons déjà eu l’occasion de le dire au cours d’autres débats et partageons en cela la crainte de « boulimie commémorative » exprimée par l’historien Pierre Nora.

Mes chers collègues, comme vous le savez, ce ne sont pas moins de treize commémorations nationales qui figurent déjà dans notre calendrier, auxquelles il faut ajouter les manifestations liées aux grands anniversaires. Trop de rendez-vous risquent d’affaiblir la mémoire collective en la dispersant ou en la segmentant, ce qui serait évidemment contre-productif.

Si trop d’impôt tue l’impôt, si trop de réglementations affaiblissent la réglementation, trop de commémorations gomment la commémoration et favorisent l’indifférence !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Certes, j’en conviens, le texte qui nous est soumis aujourd’hui aborde le sujet sous un angle particulier, celui de la sensibilisation des jeunes aux enjeux de la mémoire combattante.

Comme le rappelle notre collègue Vincent Delahaye, auteur de la proposition de loi, il est vrai que les cérémonies nationales actuelles ne rassemblent souvent plus que des élus et des anciens combattants autour du monument aux morts.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Nous pouvons tous le constater localement, même si de nombreuses initiatives émanant des élus et des enseignants existent partout sur le territoire pour associer les jeunes aux jours de mémoire. On peut donc partager l’objectif visé par l’auteur du texte.

Toutefois, la présente proposition de loi appelle plusieurs réserves sur la forme.

Tout d’abord, sur le plan juridique, comme le rapporteur l’a souligné, le texte empiète sur le domaine réglementaire. De plus, le manque de clarté du dispositif risquerait de rendre celui-ci inopérant.

Ensuite, la proposition de loi crée une injonction contraignante à l’égard des professeurs, alors que leur rôle réside en premier lieu dans la transmission du savoir et non directement dans l’entretien de la mémoire nationale.

M. Vincent Delahaye s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Enfin, le choix de fixer la date de cette journée au mois de mai alourdit davantage une période déjà occupée le 8 mai par la commémoration de la victoire de 1945 et, depuis 2013, par la journée nationale de la Résistance fixée le 27 mai.

Dans ces conditions, ce texte ne paraît pas opportun. Cependant, il nous invite à réfléchir aux moyens d’impliquer davantage les jeunes à l’histoire de notre pays et aux valeurs de la République.

L’éducation nationale est déjà engagée dans la politique de mémoire nationale au travers de différentes initiatives. Je citerai la mission pour le centenaire de la Première Guerre mondiale qui a engendré différents projets partout en France à l’intention des jeunes. Les professeurs sont le plus souvent très réceptifs à l’égard de tout ce qui permet de concilier pédagogie et travail de mémoire.

C’est pourquoi il faudrait encourager et développer l’existant autrement que par les seules notes de service du ministère.

Mes chers collègues, il faut aussi rechercher ailleurs qu’au sein de l’éducation nationale la voie d’une sensibilisation plus générale des jeunes aux valeurs républicaines.

Je pense en particulier à deux dispositifs que le Président de la République souhaite renforcer. D’une part, il a annoncé lundi dernier son souhait d’allonger la journée défense et citoyenneté. Dès lors, pourquoi ne pas prévoir une journée dédiée à la mémoire collective dans ce nouveau cadre ?

D’autre part, le chef de l’État a indiqué vouloir étendre le service civique à la moitié d’une classe d’âge d’ici à 2018 et à tous les jeunes à compter de 2020.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Le RDSE, et plus particulièrement notre collègue Yvon Collin, est à l’origine de la loi sur le service civique. Il se félicite de cette annonce, puisqu’il demande la généralisation de cet engagement depuis longtemps !

Rendu obligatoire, le service civique serait l’occasion de sensibiliser les jeunes Français à l’histoire et aux valeurs de la République.

En attendant, mes chers collègues, le RDSE n’est pas favorable à la proposition de loi dans la rédaction qui nous est proposée, car elle ne fait pas consensus. En revanche, il approuve à l’unanimité la motion tendant au renvoi en commission.

Applaudissements sur les travées du RDSE et sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer le travail de qualité mené par M. le rapporteur de la commission de la culture du Sénat.

Aborder les sujets relatifs à la mémoire est une tâche noble et ardue. Néanmoins, la question principale qui se pose aujourd’hui me semble être celle de la meilleure manière de commémorer. Cette question ne peut se satisfaire d’approches partisanes et implique le rassemblement de tous.

À cet instant, je voudrais dire un mot sur le contexte de nos travaux.

Depuis plusieurs mois, la France traverse une période de crise mettant à l’épreuve la République et ses valeurs. Près de cent cinquante civils ont péri dans des attentats, des centaines pansent encore leurs blessures, et nos soldats continuent de combattre le terrorisme au Sahel comme au Levant.

Dans ces épreuves, c’est vers la Nation que nombre de Français se tournent. Chacun d’entre eux se félicite de l’engagement des services de l’État, au premier rang desquels figurent militaires, policiers, gendarmes, pompiers et services de santé. C’est donc dans un contexte inédit et dans un pays sous le choc que nous examinons la présente proposition de loi.

Spontanément, chacun d’entre nous peut adhérer au texte présenté, car toute initiative au bénéfice de la jeunesse et visant à la fois à honorer la mémoire et à diffuser les valeurs républicaines mérite d’être examinée et développée.

Lors de l’examen du budget de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », j’ai moi-même appelé à une plus grande mobilisation de l’éducation nationale pour la transmission de la mémoire et de notre histoire nationale, notamment au travers des commémorations dédiées aux anciens combattants.

Chez les jeunes, il existe une attente et un besoin de rassemblement. Ceux-ci doivent pouvoir exprimer leur appartenance à la République et à une communauté de valeurs qui font la France.

Toutefois, au-delà des grands principes que nous partageons tous, le texte proposé aujourd’hui pourrait être contre-productif. Prenons garde : l’émotion a trop souvent guidé l’action des pouvoirs publics et du législateur sur ces sujets.

Comment transmettre ce passé français, une histoire riche en événements tragiques et en faits glorieux, dans une époque marquée par l’instantanéité en toute chose et par l’information en continu ? Faut-il une nouvelle loi ?

La multiplication des lois mémorielles et l’instauration d’un grand nombre de journées de commémoration ont fini – je le crois – par brouiller le message républicain et parfois même par cliver la Nation au lieu de la rassembler.

Les Français sont de moins en moins sensibles aux commémorations. En réalité, en 2016, les efforts devraient davantage porter sur la compréhension et la signification des commémorations que sur les actes de célébration.

De la même façon, j’ai pu constater que les associations d’anciens combattants manquaient parfois de bénévoles pour gérer les questions administratives, participer aux commémorations ou porter la parole dans les écoles. J’y vois un manque de solidarité vis-à-vis de ceux qui se sont sacrifiés pour la Nation, mais aussi une difficulté à assurer le passage de témoin entre les générations.

Nous sommes une fois de plus devant le paradoxe très bien décrit par Paul Ricœur dans son livre La mémoire, l’histoire, l’oubli, publié en 2000. Ainsi, en quelque sorte, nous conjuguons dénigrement de notre histoire nationale et goût prononcé pour l’inflation commémorative.

Mes chers collègues, il est impératif que les jours de souvenir renouent avec le rôle fédérateur que leur multiplication dilue. Cela correspond d’ailleurs à la conclusion des travaux de la commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques en 2008, laquelle estimait que de telles journées étaient « trop nombreuses » et de nature à « affaiblir la mémoire collective ».

Par conséquent, une journée dédiée à la mémoire de plus, même au sein de la seule institution scolaire, me semble inadaptée. Nous n’avons pas forcément besoin de nouvelles lois mais il nous faut revenir aux fondamentaux.

En outre, quel bénéfice collectif tirer d’opérations ponctuelles et limitées ? L’apprentissage de la citoyenneté et les initiatives pour la mémoire ne peuvent être réservés à une classe ou à un niveau scolaire. Enfin, après l’hypothétique journée pour la mémoire combattante, le sacrifice et les valeurs, quid du reste de l’année ? Ce travail doit s’inscrire dans la durée et la progressivité.

Puisqu’il s’agit d’objectifs pédagogiques avec l’école pour support, la place à accorder à ces sujets dans les programmes scolaires doit être plus grande. Il doit en être de même pour les enseignements de l’histoire et de l’éducation civique. Devant vous, je regrette d’ailleurs que les programmes aient largement fait place à la repentance et à l’interprétation politique qui a parfois pris le pas sur la présentation historique.

Une nation qui veut aller de l’avant et construire un avenir plus apaisé ne peut se complaire dans la haine d’elle-même et le ressassement de ses pages les plus sombres. Mes chers collègues, la France a souvent été un modèle pour le monde, ne l’oublions pas !

Depuis des années, nos armées sont engagées dans un combat contre le terrorisme global. Aussi, j’estime que nos enfants doivent le savoir, en étudier le contexte, et comprendre l’action de ceux qui ont pris part aux opérations, aujourd’hui comme hier, plutôt que de n’y penser qu’une fois par an.

Pour conclure, je tiens à remercier les auteurs de la proposition de loi, laquelle a le grand mérite de nous permettre de nous interroger sur cette question si importante.

Cependant, la voie législative ne me semble pas appropriée et notre groupe reste dubitatif quant à la pertinence de ce texte. C’est pourquoi nous sommes favorables à l’adoption de la motion tendant au renvoi en commission.

J’ajoute que ce sujet mérite incontestablement d’être approfondi.

Je pense que la commission de la culture saura poursuivre ce travail, pourquoi pas en concertation avec le groupe d’études qui, au Sénat, s’occupe de la question des anciens combattants.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

En effet, lorsque l’on constate la lente dégradation du sentiment d’appartenance à la Nation, les atteintes à certains principes fondamentaux comme la laïcité, voire, parfois, les incivilités dont la multiplication fragilise notre vivre-ensemble, on mesure combien la tâche est immense et requiert, là encore, toute notre mobilisation.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

Je conclus, monsieur le président.

Enfin, comme le rappelait le président Gérard Larcher dans son rapport intitulé La nation française, un héritage en partage, il paraît vraiment impératif de mieux valoriser l’engagement républicain sous toutes ses formes.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Gonthier-Maurin

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « Puissent les commémorations des deux guerres s’achever par la résurrection du peuple d’ombre […] ». Comme le déplorait André Malraux, le retour aux limbes de notre histoire est avant tout l’oubli et l’abandon de ceux par qui nous sommes ici.

Il est donc absolument essentiel, dans le cadre d’une politique mémorielle efficace, de rappeler les heures de lumière, mais aussi les temps sombres de notre histoire.

De ce point de vue, n’avons-nous pas à nous interroger sur l’usage qui est fait de nos cérémonies solennelles ?

Ces cérémonies ont longtemps eu pour vocation de créer une unité nationale, lorsque celle-ci était encore fragile et fugace, nos frontières en perpétuel mouvement.

Cet objectif peut-il être le même aujourd’hui ? Je ne le pense pas.

Quand bien même l’unité de la Nation serait l’objectif de nos commémorations, y parviendraient-elles ? Qu’elles soient respectées, du moins en apparence, et une unité superficielle est créée. Qu’elles soient perturbées, même de manière mineure, et une polémique traverse la communauté nationale de part en part.

Interrogeons-nous ! L’instauration à outrance d’hommages nationaux, minutes de silence et autres cérémonies solennelles atteint-elle sa cible ?

Je repère, pour ma part, deux écueils.

Premièrement, par trop souvent imposées et péremptoires, ces cérémonies ne sont que trop rarement comprises et exécutées sans retour critique.

Deuxièmement, leur multiplication tend à créer une réelle confusion sur les événements passés et à diluer un message pourtant essentiel.

D’ailleurs, permettez-moi de m’étonner que nous débattions aujourd’hui d’un texte visant à instaurer une énième journée de commémoration alors même que son exposé des motifs rappelle le nombre déjà élevé de telles journées.

Le contexte que nous connaissons, fait de montée des extrémismes de tout bord, impose une action sobre et efficace, non pas péremptoire, mais constructive et coconstruite. Nous extraire de l’émotion est la condition sine qua non à la compréhension des événements, de leurs tenants et de leurs aboutissants.

Au devoir de mémoire, je préfère donc les termes de réflexe du souvenir, de compréhension et d’enseignement pour l’avenir.

C’est, je crois, l’enjeu majeur de la pratique mémorielle, comme le préconisait la contribution de mon collègue Patrick Abate, à l’occasion du rapport d’enquête sur les valeurs républicaines à l’école.

En effet, l’école a son rôle dans la formation de la conscience mémorielle.

Parce que nous sommes issus du courant philosophique et politique des Lumières, nous voulons croire en une institution scolaire qui permette l’émancipation de la jeunesse par la raison et le savoir, et son intégration dans notre société.

Celle-ci est le fruit d’un passé, parfois glorieux, parfois honteux. Il semble essentiel de revenir sur l’ensemble de ces moments pour permettre à la jeunesse de notre pays de maîtriser les tenants et les aboutissants qui structurent, aujourd’hui, notre nation.

Les réformes portant sur les programmes scolaires et la formation des enseignants doivent donner aux professionnels l’ensemble des outils nécessaires à la transmission des valeurs de la République, non pas comme un étendard porté aveuglement, mais plutôt comme une prise de conscience de ses bienfaits, du bien-vivre ensemble. Dans ce cadre, l’instauration de rites républicains peut paraître dérisoire et ne constituer qu’un vernis destiné à rapidement craquer.

Malheureusement, le texte que nous examinons aujourd’hui contribue, à nos yeux, à cette dynamique de politique d’affichage, plutôt que d’être partie intégrante d’un travail en profondeur.

Nous préférons que soit privilégiée une revalorisation de l’enseignement de l’histoire, trop souvent maltraitée, mais aussi de l’éducation civique. C’est par cette formation transversale que nous donnerons aux jeunes les outils d’une compréhension critique de notre passé.

À ce titre, nous resterons vigilants quant au contenu des programmes issus de la réflexion du Conseil supérieur des programmes, où siègent nos collègues Marie-Christine Blandin et Jacques-Bernard Magner.

Bien évidemment, les initiatives citoyennes et pédagogiques comme le concours national de la Résistance et de la déportation sont à saluer, mais elles ne pourront jamais supplanter un enseignement régulier de l’histoire et des valeurs républicaines.

Par ailleurs, il suffit de regarder rapidement les programmes appliqués actuellement pour voir que la pratique mémorielle y est bien présente à tous les niveaux scolaires, dont les classes visées par la proposition de loi.

Ainsi, les élèves de CM2 étudient l’émergence des Lumières, la Révolution, les XIXe et XXe siècles ou encore la construction européenne et le mouvement de décolonisation. Ces éléments sont repris en cinquième, avec un focus sur la construction de l’État. Enfin, les classes de seconde approfondissent ces notions et revoient la citoyenneté antique ou encore la période médiévale.

De fait, les enseignants délivrent déjà l’enseignement que la proposition de loi cherche à transmettre, à la condition, bien évidemment, qu’ils puissent exercer dans de bonnes conditions, ce qui n’est pas toujours le cas !

Vous l’aurez certainement compris, mes chers collègues, nous ne pourrons que voter contre cette proposition de loi, qui dresse un constat sujet à caution et ne prévoit aucune solution pertinente pour améliorer la pratique mémorielle.

J’aimerais, une fois n’est pas coutume, terminer mon intervention par une citation d’un ancien Président de la République qui, s’il a été un adversaire politique, a su faire preuve de grandeur le 16 juillet 1995.

« Il est, dans la vie d’une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l’idée que l’on se fait de son pays.

« Ces moments, il est difficile de les évoquer, parce que l’on ne sait pas toujours trouver les mots justes pour rappeler l’horreur […] de ces journées de larmes et de honte.

« Il est difficile de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions.

« Quand souffle l’esprit de haine, avivé ici par les intégrismes, alimenté là par la peur et l’exclusion. Quand à nos portes, ici même, certains groupuscules, certaines publications, certains enseignements, certains partis politiques se révèlent porteurs, de manière plus ou moins ouverte, d’une idéologie raciste et antisémite, alors cet esprit de vigilance qui vous anime, qui nous anime, doit se manifester avec plus de force que jamais. »

Mes chers collègues, vous aurez reconnu ici les propos de Jacques Chirac.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. Roland Courteau et Jean-Louis Carrère ainsi que Mme Marie-Christine Blandin applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de René Danesi

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi instaurant dans nos écoles un jour de mémoire pour perpétuer notre histoire, sensibiliser les jeunes aux sacrifices de leurs anciens et aux valeurs républicaines de la nation française me laisse sceptique.

Elle me laisse sceptique quant à sa portée réelle.

L’éminent historien Pierre Nora, déjà cité, rappelait récemment que « toute commémoration est une transformation de l’événement passé au service des besoins du présent. Il en a toujours été ainsi. »

Cette proposition de loi est donc motivée par le constat que chacun peut faire depuis un an et que nous avions oublié depuis la fin de la guerre d’Algérie, à savoir que l’histoire est tragique.

Ce texte semble aussi motivé par le constat que, pour la première fois depuis la Deuxième Guerre mondiale, des Français tuent d’autres Français.

En conséquence, cette journée de mémoire a pour objectif subliminal de réintroduire le roman national dans l’école, mais à dose homéopathique, à raison d’un jour dans le primaire, un jour au collège et un jour au lycée. L’intention est louable, mais un jour de mémoire tous les trois ou quatre ans, c’est la perle perdue dans le champ de ruines qu’est devenu l’enseignement de l’histoire de France dans nos établissements scolaires

M. Alain Néri opine.

Debut de section - PermalienPhoto de René Danesi

Cette proposition de loi me laisse sceptique car elle traite timidement la conséquence - une mémoire collective affaiblie –, à défaut de s’attaquer à la cause - les programmes d’enseignement de l’histoire.

Comme Jeanne d’Arc a bouté les Anglais hors de France, notre Ve République, devenue libérale et libertaire, a progressivement bouté le roman national hors de l’enseignement de l’histoire.

Cette déconstruction a commencé dès les années soixante-dix. Depuis lors, que les ministres soient de gauche ou de droite, les manuels d’histoire ont de moins en moins vocation à former des citoyens et l’éducation n’a plus de « nationale » que le nom !

On a donc jeté par-dessus bord, ou mis à fond de cale, les pages glorieuses de notre roman national.

L’exemple est venu d’en haut. C’est ainsi que le Premier ministre de la France s’est bien gardé d’aller à Austerlitz, pour y célébrer le bicentenaire de la dernière grande victoire offensive que l’armée française a remportée, seule et contre tous.

Pourquoi n’y est-il pas allé ? Parce qu’un petit groupe de pression le lui a interdit, au motif que Napoléon a réintroduit l’esclavage dans les îles. Quel lien avec Austerlitz ? Aucun !

Il ne faut donc pas s’étonner que l’anachronisme, c’est-à-dire le jugement porté sur les événements historiques avec nos opinions d’aujourd’hui, se retrouve dans l’enseignement de l’histoire, à tous les niveaux.

Notre époque n’aime pas les héros historiques. Les moments de grandeur de l’histoire de France sont devenus tabous, car ils sont à l’exact opposé des valeurs marchandes du libéralisme.

En conséquence, notre époque aime les victimes. Elle recherche des coupables et les livre aux juges impitoyables d’internet.

Dans ces conditions, je ne vois pas comment ce nouveau jour de mémoire parviendra à sensibiliser les jeunes « aux sacrifices de leurs anciens ».

Le héros, celui qui s’est sacrifié pour une cause qui le dépassait, est devenu ringard car l’heure est à la repentance pour les fautes qu’auraient commises nos ancêtres. Il n’y a plus qu’au Maroc que l’œuvre du général Lyautey est encore reconnue.

À la repentance, s’ajoutent le relativisme et l’universalisme. Le royaume des Zoulous se retrouve quasiment au même niveau que le royaume de France, qui a fait notre pays.

M. le rapporteur sourit

Debut de section - PermalienPhoto de René Danesi

Dans ces conditions, comment la jeunesse de France peut-elle être fière de son pays, de sa langue, de sa culture et d’une civilisation qui est la fille de la religion chrétienne et des Lumières ?

M. Jean-Louis Carrère s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de René Danesi

Ernest Renan écrivait en 1882 : « L’existence d’une nation est […] un plébiscite de tous les jours, comme l’existence de l’individu est une affirmation perpétuelle de la vie ».

Ce plébiscite de tous les jours n’est plus l’objectif assigné à l’enseignement de l’histoire. Au contraire, les professeurs ont été progressivement amenés, par des gouvernements de tous les bords politiques, à enseigner l’histoire dans cette novlangue politiquement correcte, qui affaiblit les valeurs et les principes ayant cimenté la République et la Nation.

Avec un enseignement de l’histoire authentiquement républicain, nous ne connaîtrions pas aujourd’hui ce problème dramatique de l’affaiblissement de la mémoire collective et nous n’aurions pas besoin d’instaurer une journée de mémoire. Une journée parmi tant d’autres, qui participent déjà à la concurrence mémorielle.

Seul un enseignement de l’histoire revenu aux fondamentaux permettra à notre jeunesse de connaître le lien étroit entre l’histoire et la citoyenneté, dont la mémoire n’est qu’une composante.

En conclusion, et comme l’a écrit fort justement le président du Sénat, Gérard Larcher, la nation française est un héritage en partage.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Mme Sophie Primas applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui rassemblés pour évoquer le devoir de mémoire et sa mise en œuvre auprès des jeunes.

L’intention de l’auteur de cette proposition de loi, notre collègue Vincent Delahaye, est louable et répond à un enjeu d’unité nationale.

Depuis plusieurs années, le devoir de mémoire est invoqué de manière récurrente et insistante par les associations, par les plus hautes autorités de l’État. Il est régulièrement inscrit dans la loi.

L’injonction au devoir de mémoire renvoie au motif légitime de la crainte de voir la mémoire submergée par l’oubli. C’est aussi garder la conscience juste et présente des événements du passé. Le passé se conjugue toujours au présent, mais il faut être vigilant pour que ce devoir de mémoire ne devienne pas pesant pour nos jeunes générations, qui ont aujourd’hui la responsabilité d’en entretenir le souvenir.

Toutefois, sans le remettre en cause, je me permets de manifester une certaine réticence face à la multiplication de cet exercice.

Plusieurs arguments viennent étayer cette position.

Je considère que l’histoire ne peut pas être absorbée par la mémoire. Quand l’histoire est une science, fondée sur la compréhension et l’interprétation, le savoir et la mise à distance, la mémoire, elle, repose plutôt sur l’affect, le vécu. Elle se maintient lorsque les gens revivent, réactualisent et transmettent ce vécu aux jeunes générations. Elle est donc nécessairement parcellaire et partielle. L’histoire est universelle, pas la mémoire. Un « devoir d’histoire » s’impose par lui-même, pas un devoir de mémoire, qui repose avant tout, selon moi, sur l’engagement de ceux qui transmettent l’histoire, la mémoire, notamment les anciens combattants.

La mémoire doit être aussi couplée avec la citoyenneté : chaque acte de la vie quotidienne doit être un acte de citoyenneté et participe en cela à notre devoir du souvenir de notre histoire.

Les commémorations et les échanges avec les anciens prennent ici tout leur sens et toute leur consistance. Ils permettent aux plus jeunes de prendre toute la mesure de l’engagement dans un contexte précis.

D’un point de vue pratique, les commémorations en France sont déjà très nombreuses. Comme le soulignait le rapport Kaspi de 2008, auquel a fait référence Claude Kern, on comptait douze commémorations publiques ou nationales en 2008 ; il y en a deux de plus aujourd’hui.

L’auteur du rapport poursuivait en expliquant que cette multiplication des commémorations entraînait une désaffection et une incompréhension de la part d’une très grande majorité de la population, affaiblissait la mémoire collective et encourageait des particularismes allant à l’encontre de l’unité nationale.

Enfin, si l’école est le lieu approprié pour la transmission de la connaissance, elle peut aussi mettre en œuvre des actions pédagogiques autour du devoir de mémoire à la condition qu’il y ait un engagement volontaire des enseignants, et cela autour d’un projet d’école construit. L’imposer nuira selon moi à la qualité des actions autour du devoir de mémoire et aura des effets inverses à ceux qui sont recherchés.

Plutôt que d’imposer un jour supplémentaire, je pense qu’il est plus opportun d’encourager les initiatives locales. Il appartient à chaque collectivité territoriale d’adapter aux particularités de chaque territoire l’organisation, si elle le souhaite, de journées de la mémoire qui associeraient élèves et anciens combattants, comme cela se fait déjà.

Les messages sont d’autant plus marquants pour les jeunes qu’ils peuvent être reliés à leur histoire, à celle de leur commune, voire à celle de leur famille.

M. Alain Néri s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Agnès Canayer

Bien que l’enjeu soit fondamental de savoir se souvenir de notre passé pour construire notre futur, il n’apparaît pas opportun aujourd’hui d’adopter un texte dont les effets sont limités et les contours encore trop imprécis.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel et M. Alain Néri applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Je suis saisi, par M. Kern et Mme Morin-Desailly, d'une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication la proposition de loi visant à instaurer un Jour de Mémoire pour perpétuer notre histoire, sensibiliser les jeunes aux sacrifices de leurs anciens et aux valeurs républicaines de la nation française (145, 2015-2016).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n’est admise.

La parole est à M. le rapporteur, pour la motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Kern

Lors de son examen, le 16 décembre dernier, la commission de la culture a salué l’intérêt que suscite cette proposition de loi déposée par notre collègue Vincent Delahaye. Au cours des débats, les membres de la commission ont fait part de leur souhait d’associer davantage la jeunesse aux commémorations et au travail de mémoire.

Toutefois, considérant le caractère sensible des questions mémorielles, à plus forte raison dans le cadre scolaire, la commission a estimé que ce sujet nécessitait un travail préparatoire plus important et devant aboutir à un large consensus.

En conséquence, mes chers collègues, nous vous invitons à voter cette motion de renvoi en commission de la proposition de loi visant à instaurer un Jour de Mémoire pour perpétuer notre histoire, sensibiliser les jeunes aux sacrifices de leurs anciens et aux valeurs républicaines de la nation française.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État

Ayant exprimé la position du Gouvernement au cours de la discussion générale, je dirai simplement qu’on ne peut pas empiler les jours de mémoire. Par ailleurs, les enseignants, à quelque niveau que ce soit, font leur travail et l’histoire, sur laquelle des désaccords sont toujours possibles, est enseignée. Les enseignants sont consciencieux, ils savent qu’ils ont en face d’eux des citoyens en devenir. Le travail sur l’histoire – et cela est vrai également pour les autres matières – se fait dans le respect de notre passé et de ceux qui ont sacrifié leur vie pour nous permettre aujourd’hui de nous exprimer librement.

Je ne citerai qu’un exemple. Cette année, trois mille jeunes Français et mille jeunes Allemands participeront aux commémorations de la bataille de Verdun. Ils seront donc acteurs et non pas témoins ou spectateurs. Cet événement sera précédé de tout un travail pédagogique et, même si les avis peuvent être partagés sur l’analyse qui en est faite, il est bien une manière d’évoquer tous ceux qui ont laissé leur vie pendant la Première Guerre mondiale.

Les équipes pédagogiques à travers toute la France, dans tous les territoires, seront associées à ces commémorations et partout des projets voient le jour. C’est bien pour cette raison qu’on est obligé d’en limiter le nombre.

Pareillement, les batailles de la Somme – celle de 1914-1918 et celle de 1939-1945 – donnent lieu à un travail dans les écoles et je peux vous garantir que nos jeunes y sont très sensibles, à quelque niveau que ce soit.

On peut ne pas aimer les termes, mais le devoir de mémoire, c’est surtout le travail de mémoire. Ce travail, je peux vous garantir qu’il est fait

M. Jacques Chiron opine.

Debut de section - Permalien
Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État

Instaurer un jour de mémoire au sein des établissements scolaires n’y ajoutera rien.

Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Beaucoup de choses ont été dites au cours de ce débat très riche, dense et nourri, qui est le reflet des échanges que nous avons eus en commission sur cette proposition de loi déposée par notre collègue Vincent Delahaye et cosignée par un certain nombre de collègues du groupe de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains, proposition de loi dont je salue les objectifs à la suite des différents orateurs.

En commission, une demande pressante a été exprimée en faveur de la constitution d’un groupe de travail qui serait chargé de s’emparer de ces questions liées à la mémoire et aux questions de civisme. Avec le rapporteur, nous avons réfléchi à la meilleure manière de satisfaire les objectifs des auteurs de la proposition de loi. Comme je l’ai dit ce matin en commission, c’est bien volontiers que je m’attacherai à constituer ce groupe de travail. Monsieur Carrère, vous avez évoqué un rapprochement avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ; bien entendu, j’accède à votre demande, mais je suggère également d’associer la commission des affaires sociales, dont dépend le groupe d’études des sénateurs anciens combattants et de la mémoire combattante.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Ce travail de rapprochement sera très utile, car, de mémoire de sénatrice, jamais ce travail n’avait été mené par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Il sera aussi sans doute très intéressant.

Je réunirai prochainement le bureau afin de définir les modalités d’action de ce groupe de travail.

Mes chers collègues, je vous remercie de ce débat, qui a éclairé nos esprits, de la même manière qu’en commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.

La motion est adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

En conséquence, le renvoi de la proposition de loi à la commission est ordonné.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

La commission des finances a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.

La Présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.

En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Francis Delattre membre du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspen due à dix-sept heures quarante, est reprise à vingt-et-une heures, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.