Intervention de Claude Kern

Réunion du 13 janvier 2016 à 14h30
Instauration d'un jour de mémoire — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Claude KernClaude Kern :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je remercie Vincent Delahaye d’avoir eu l’initiative de cette proposition de loi. L’examen de ce texte nous donne en effet l’occasion de nous pencher sur ce sujet important, que l’actualité et le rythme effréné de nos travaux relèguent trop souvent dans l’ombre.

Faire partager la mémoire de notre nation est un enjeu crucial, essentiel : c’est assurer la pérennité du « principe spirituel » qu’est notre nation et qu’Ernest Renan définit comme reposant sur deux éléments : « la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; [...] le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ».

L’actualité récente et le malaise qu’elle a parfois suscité montrent à quel point la transmission de notre mémoire nationale auprès de la jeunesse est aujourd’hui urgente et nécessaire. À bien des égards, il nous reste du chemin à faire.

Cette proposition de loi part en effet d’un triste constat : les commémorations officielles ne rencontrent qu’un faible écho auprès de la jeunesse. S’il y a heureusement des exceptions à ce constat, notamment lorsque les jeunes sont invités spécifiquement, les cérémonies ne réunissent de nos jours le plus souvent que les élus, les représentants d’associations et les anciens combattants.

La proposition de loi a le mérite de souhaiter inverser cette tendance, en instaurant un « jour de mémoire », afin de « sensibiliser les élèves aux enjeux liés à la transmission de la mémoire combattante de notre nation ».

Dans sa version initiale, le texte crée un article nouveau dans la partie du code de l’éducation relative à l’organisation du temps et de l’espace scolaires. Il précise que ce « jour de mémoire » est organisé « pendant l’année scolaire, hors période de vacances et jours fériés, le dernier jeudi du mois de mai », et qu’elle concerne en particulier les classes de CM2, de cinquième et de seconde. Les objectifs pédagogiques de la journée sont déterminés par le conseil supérieur des programmes ; le contenu des activités étant « librement déterminé par les enseignants, dans le respect du programme scolaire » et leur mise en œuvre « coordonnée par l’autorité scolaire responsable et les maires ».

Je crois pouvoir affirmer que, tous, dans cette enceinte, nous partageons les objectifs de ce texte, à savoir donner une plus grande place au travail de mémoire dans l’éducation de notre jeunesse. Le débat au sein de la commission de la culture a montré que cette finalité faisait largement consensus. Ce consensus se retrouve dans la politique du Gouvernement : la participation des élèves aux commémorations et aux cérémonies nationales constitue en effet l’une des mesures de la mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, décidée à la suite des attentats du mois de janvier 2015.

Malgré le peu de temps imparti, j’ai proposé à la commission quelques modifications, certaines substantielles, du dispositif de la proposition de loi. Il m’a notamment paru préférable d’inscrire cet événement le jour de classe qui précède immédiatement le 11 novembre. En effet, depuis la loi du 28 février 2012, ce jour est celui à l’occasion duquel il est rendu hommage à tous les morts pour la France. Cette journée n’aurait pas été une nouvelle journée de commémoration en elle-même : il se serait agi d’une journée de classe consacrée au travail de mémoire et à la préparation du 11 novembre.

La solution retenue par l’auteur de la proposition de loi – le dernier jeudi du mois de mai – présente l’inconvénient d’avoir lieu dans un mois qui connaît un grand nombre de commémorations, surtout depuis l’instauration d’une Journée nationale de la Résistance le 27 mai.

En effet, toute initiative en matière de mémoire se heurte à cet état de fait : les commémorations et les « journées de » n’ont jamais été aussi nombreuses, mais ont perdu leur caractère rassembleur et unitaire. En 2008, le rapport de la commission Kaspi rappelait que « la multiplication des commémorations diminue l’effet de chacune d’entre elles » et recensait douze commémorations nationales. De nouvelles ont été créées depuis et toutes les tentatives de remédier à l’émiettement commémoratif ont échoué.

L’éducation nationale n’est pas épargnée par la multiplication des injonctions mémorielles et des journées de mobilisation, bien au contraire. Le temps scolaire est scandé par d’autres « journées de », à l’instar de la journée de l’Europe le 9 mai, de la journée de sensibilisation et de mobilisation des élèves des écoles, collèges et lycées pour les droits des femmes et l’égalité hommesfemmes le 8 mars, de la journée de la laïcité le 9 décembre, ou encore de la journée nationale « Non au harcèlement », dont la première a eu lieu le 5 novembre dernier. Toute initiative visant à favoriser le travail de mémoire dans le cadre scolaire devra tenir compte de cet état de fait.

À la suite d’une discussion à la fois longue et constructive, notre commission a préféré ne pas adopter de texte. Les nombreux intervenants ont salué l’intention des auteurs de cette proposition de loi mais n’ont pas manqué de souligner les difficultés que leur texte soulève.

Tout d’abord, la commission a émis des réserves sur la pertinence de légiférer sur un sujet relevant de l’organisation des enseignements scolaires. De plus, elle a considéré qu’une proposition de loi présentée dans le cadre d’un espace réservé, examinée de surcroît dans des délais extrêmement restreints, ne constituait pas le moyen adéquat de traiter des questions mémorielles. Notre commission a estimé qu’un sujet aussi sensible méritait une réflexion et un travail préparatoire plus importants.

Les membres de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ont au contraire émis le vœu que l’examen de cette proposition de loi soit l’occasion d’un débat riche et fécond sur les conditions de la transmission de la mémoire nationale dans l’école de la République et sur les moyens de la favoriser. À cet égard, je salue la présence aujourd'hui du secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire, M. Jean-Marc Todeschini, ancien membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, que nous avons plaisir à retrouver.

En conséquence, Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission, et moi-même vous proposons, avec l’accord du groupe UDI-UC et de l’auteur de la présente proposition de loi, l’adoption d’une motion de renvoi en commission, en application de l’article 44, alinéa 5, de notre règlement. Cette motion, qui ne sera examinée qu’à l’issue de la discussion générale, ne fera pas avorter le débat et nous permettra de retravailler ce sujet de la plus haute importance. Elle nous donnera le temps de la réflexion et de la concertation, selon des modalités qui restent à définir, afin d’aboutir à un large consensus, car ce n’est pas en s’appuyant sur des divisions partisanes que l’on construit une mémoire partagée.

En conclusion, il est important que nous menions aujourd’hui une réflexion sur la transmission de notre mémoire. À l’heure où notre nation est attaquée de l’extérieur comme de l’intérieur, il nous faut nous ressouder autour d’une mémoire commune et la faire partager à ceux qui nous suivent. Le contexte y est favorable. Le centenaire de la Grande Guerre a été l’occasion d’une forte mobilisation, particulièrement dans les établissements scolaires. Il nous faudra la maintenir à l’avenir alors que s’ouvrira bientôt le centenaire de la bataille de Verdun.

Mes chers collègues, il me semble que, plus que jamais, le souvenir des épreuves passées est nécessaire pour aborder avec confiance celles auxquelles nous sommes confrontées, ainsi que pour mesurer le prix de notre sécurité et de nos libertés.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion