Intervention de Pascal Allizard

Réunion du 13 janvier 2016 à 14h30
Instauration d'un jour de mémoire — Suite de la discussion et renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer le travail de qualité mené par M. le rapporteur de la commission de la culture du Sénat.

Aborder les sujets relatifs à la mémoire est une tâche noble et ardue. Néanmoins, la question principale qui se pose aujourd’hui me semble être celle de la meilleure manière de commémorer. Cette question ne peut se satisfaire d’approches partisanes et implique le rassemblement de tous.

À cet instant, je voudrais dire un mot sur le contexte de nos travaux.

Depuis plusieurs mois, la France traverse une période de crise mettant à l’épreuve la République et ses valeurs. Près de cent cinquante civils ont péri dans des attentats, des centaines pansent encore leurs blessures, et nos soldats continuent de combattre le terrorisme au Sahel comme au Levant.

Dans ces épreuves, c’est vers la Nation que nombre de Français se tournent. Chacun d’entre eux se félicite de l’engagement des services de l’État, au premier rang desquels figurent militaires, policiers, gendarmes, pompiers et services de santé. C’est donc dans un contexte inédit et dans un pays sous le choc que nous examinons la présente proposition de loi.

Spontanément, chacun d’entre nous peut adhérer au texte présenté, car toute initiative au bénéfice de la jeunesse et visant à la fois à honorer la mémoire et à diffuser les valeurs républicaines mérite d’être examinée et développée.

Lors de l’examen du budget de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », j’ai moi-même appelé à une plus grande mobilisation de l’éducation nationale pour la transmission de la mémoire et de notre histoire nationale, notamment au travers des commémorations dédiées aux anciens combattants.

Chez les jeunes, il existe une attente et un besoin de rassemblement. Ceux-ci doivent pouvoir exprimer leur appartenance à la République et à une communauté de valeurs qui font la France.

Toutefois, au-delà des grands principes que nous partageons tous, le texte proposé aujourd’hui pourrait être contre-productif. Prenons garde : l’émotion a trop souvent guidé l’action des pouvoirs publics et du législateur sur ces sujets.

Comment transmettre ce passé français, une histoire riche en événements tragiques et en faits glorieux, dans une époque marquée par l’instantanéité en toute chose et par l’information en continu ? Faut-il une nouvelle loi ?

La multiplication des lois mémorielles et l’instauration d’un grand nombre de journées de commémoration ont fini – je le crois – par brouiller le message républicain et parfois même par cliver la Nation au lieu de la rassembler.

Les Français sont de moins en moins sensibles aux commémorations. En réalité, en 2016, les efforts devraient davantage porter sur la compréhension et la signification des commémorations que sur les actes de célébration.

De la même façon, j’ai pu constater que les associations d’anciens combattants manquaient parfois de bénévoles pour gérer les questions administratives, participer aux commémorations ou porter la parole dans les écoles. J’y vois un manque de solidarité vis-à-vis de ceux qui se sont sacrifiés pour la Nation, mais aussi une difficulté à assurer le passage de témoin entre les générations.

Nous sommes une fois de plus devant le paradoxe très bien décrit par Paul Ricœur dans son livre La mémoire, l’histoire, l’oubli, publié en 2000. Ainsi, en quelque sorte, nous conjuguons dénigrement de notre histoire nationale et goût prononcé pour l’inflation commémorative.

Mes chers collègues, il est impératif que les jours de souvenir renouent avec le rôle fédérateur que leur multiplication dilue. Cela correspond d’ailleurs à la conclusion des travaux de la commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques en 2008, laquelle estimait que de telles journées étaient « trop nombreuses » et de nature à « affaiblir la mémoire collective ».

Par conséquent, une journée dédiée à la mémoire de plus, même au sein de la seule institution scolaire, me semble inadaptée. Nous n’avons pas forcément besoin de nouvelles lois mais il nous faut revenir aux fondamentaux.

En outre, quel bénéfice collectif tirer d’opérations ponctuelles et limitées ? L’apprentissage de la citoyenneté et les initiatives pour la mémoire ne peuvent être réservés à une classe ou à un niveau scolaire. Enfin, après l’hypothétique journée pour la mémoire combattante, le sacrifice et les valeurs, quid du reste de l’année ? Ce travail doit s’inscrire dans la durée et la progressivité.

Puisqu’il s’agit d’objectifs pédagogiques avec l’école pour support, la place à accorder à ces sujets dans les programmes scolaires doit être plus grande. Il doit en être de même pour les enseignements de l’histoire et de l’éducation civique. Devant vous, je regrette d’ailleurs que les programmes aient largement fait place à la repentance et à l’interprétation politique qui a parfois pris le pas sur la présentation historique.

Une nation qui veut aller de l’avant et construire un avenir plus apaisé ne peut se complaire dans la haine d’elle-même et le ressassement de ses pages les plus sombres. Mes chers collègues, la France a souvent été un modèle pour le monde, ne l’oublions pas !

Depuis des années, nos armées sont engagées dans un combat contre le terrorisme global. Aussi, j’estime que nos enfants doivent le savoir, en étudier le contexte, et comprendre l’action de ceux qui ont pris part aux opérations, aujourd’hui comme hier, plutôt que de n’y penser qu’une fois par an.

Pour conclure, je tiens à remercier les auteurs de la proposition de loi, laquelle a le grand mérite de nous permettre de nous interroger sur cette question si importante.

Cependant, la voie législative ne me semble pas appropriée et notre groupe reste dubitatif quant à la pertinence de ce texte. C’est pourquoi nous sommes favorables à l’adoption de la motion tendant au renvoi en commission.

J’ajoute que ce sujet mérite incontestablement d’être approfondi.

Je pense que la commission de la culture saura poursuivre ce travail, pourquoi pas en concertation avec le groupe d’études qui, au Sénat, s’occupe de la question des anciens combattants.

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