Intervention de Agnès Canayer

Réunion du 13 janvier 2016 à 14h30
Instauration d'un jour de mémoire — Suite de la discussion et renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de Agnès CanayerAgnès Canayer :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui rassemblés pour évoquer le devoir de mémoire et sa mise en œuvre auprès des jeunes.

L’intention de l’auteur de cette proposition de loi, notre collègue Vincent Delahaye, est louable et répond à un enjeu d’unité nationale.

Depuis plusieurs années, le devoir de mémoire est invoqué de manière récurrente et insistante par les associations, par les plus hautes autorités de l’État. Il est régulièrement inscrit dans la loi.

L’injonction au devoir de mémoire renvoie au motif légitime de la crainte de voir la mémoire submergée par l’oubli. C’est aussi garder la conscience juste et présente des événements du passé. Le passé se conjugue toujours au présent, mais il faut être vigilant pour que ce devoir de mémoire ne devienne pas pesant pour nos jeunes générations, qui ont aujourd’hui la responsabilité d’en entretenir le souvenir.

Toutefois, sans le remettre en cause, je me permets de manifester une certaine réticence face à la multiplication de cet exercice.

Plusieurs arguments viennent étayer cette position.

Je considère que l’histoire ne peut pas être absorbée par la mémoire. Quand l’histoire est une science, fondée sur la compréhension et l’interprétation, le savoir et la mise à distance, la mémoire, elle, repose plutôt sur l’affect, le vécu. Elle se maintient lorsque les gens revivent, réactualisent et transmettent ce vécu aux jeunes générations. Elle est donc nécessairement parcellaire et partielle. L’histoire est universelle, pas la mémoire. Un « devoir d’histoire » s’impose par lui-même, pas un devoir de mémoire, qui repose avant tout, selon moi, sur l’engagement de ceux qui transmettent l’histoire, la mémoire, notamment les anciens combattants.

La mémoire doit être aussi couplée avec la citoyenneté : chaque acte de la vie quotidienne doit être un acte de citoyenneté et participe en cela à notre devoir du souvenir de notre histoire.

Les commémorations et les échanges avec les anciens prennent ici tout leur sens et toute leur consistance. Ils permettent aux plus jeunes de prendre toute la mesure de l’engagement dans un contexte précis.

D’un point de vue pratique, les commémorations en France sont déjà très nombreuses. Comme le soulignait le rapport Kaspi de 2008, auquel a fait référence Claude Kern, on comptait douze commémorations publiques ou nationales en 2008 ; il y en a deux de plus aujourd’hui.

L’auteur du rapport poursuivait en expliquant que cette multiplication des commémorations entraînait une désaffection et une incompréhension de la part d’une très grande majorité de la population, affaiblissait la mémoire collective et encourageait des particularismes allant à l’encontre de l’unité nationale.

Enfin, si l’école est le lieu approprié pour la transmission de la connaissance, elle peut aussi mettre en œuvre des actions pédagogiques autour du devoir de mémoire à la condition qu’il y ait un engagement volontaire des enseignants, et cela autour d’un projet d’école construit. L’imposer nuira selon moi à la qualité des actions autour du devoir de mémoire et aura des effets inverses à ceux qui sont recherchés.

Plutôt que d’imposer un jour supplémentaire, je pense qu’il est plus opportun d’encourager les initiatives locales. Il appartient à chaque collectivité territoriale d’adapter aux particularités de chaque territoire l’organisation, si elle le souhaite, de journées de la mémoire qui associeraient élèves et anciens combattants, comme cela se fait déjà.

Les messages sont d’autant plus marquants pour les jeunes qu’ils peuvent être reliés à leur histoire, à celle de leur commune, voire à celle de leur famille.

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