Intervention de Françoise Férat

Réunion du 19 janvier 2016 à 14h30
Reconquête de la biodiversité de la nature et des paysages — Discussion d'un projet de loi et d'une proposition de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Françoise FératFrançoise Férat :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission du développement durable, madame, monsieur les rapporteurs, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication s’est saisie pour avis du projet de loi « biodiversité » sur deux points : d’abord, la réforme de la procédure d’inscription des sites prévue aux articles 69 à 71 ; ensuite, l’article 74, par lequel les députés ont supprimé, en séance publique, le dispositif relatif aux bâches publicitaires sur les chantiers des monuments historiques, institué par la loi de finances pour 2007.

Notre commission n’a pas fait entrer dans le champ de sa saisine la création de l’Agence française de la biodiversité, car les enjeux principaux qui s’y attachent sont du ressort de la commission du développement durable. Cependant, il est vrai que certaines de ses missions – le développement des connaissances sur la biodiversité, de même que la formation et la communication sur ce sujet – intéressent notre commission.

Nous avons noté avec satisfaction les dispositions introduites par l’Assemblée nationale visant à faire en sorte que la nouvelle agence entretienne des liens avec le monde scientifique et les bases de données qui existent déjà, par exemple, celle de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité. De même, nous nous sommes félicités de l’institution d’un conseil scientifique.

Si, à ce stade, notre commission a choisi de ne pas intervenir, rien ne nous empêchera, par la suite, de vérifier, par exemple, que les établissements supérieurs de recherche s’y « connectent » bien pour que les connaissances sur la biodiversité se diffusent dans l’enseignement et dans la communication. Notre commission y est particulièrement attachée.

J’en viens aux deux volets de notre saisine : premier sujet, la réforme de la procédure d’inscription des sites, opérée par les articles 69, 70 et 71.

La matière est technique, mais elle revêt, nous le savons, une grande portée pratique dans la gestion de nos territoires.

Les vingt dernières d’années ont montré l’évolution des schémas de l’action publique en matière de protection du patrimoine. On a ainsi cherché à mieux concilier celle-ci avec le développement des territoires, tout en associant davantage les citoyens, conformément à la Charte de l’environnement. Ce passage à un modèle plus coopératif s’est également accompagné de l’apparition de nouveaux outils de protection. Il s’ensuit qu’il devient aujourd’hui nécessaire de faire le tri au sein des sites inscrits sur les listes départementales.

On compte, aujourd’hui, 4 800 sites inscrits, qui représentent 2, 5 % du territoire, et force est de reconnaître que l’on y trouve de tout ! La procédure d’inscription, qui nous vient de la grande loi de 1930, est restée quasiment intacte et a servi à des usages bien différents au cours du temps. C’est ici que le projet de loi nous propose de faire une sorte de « grand ménage de printemps » afin de répartir les sites inscrits dans les nouvelles cases de la protection.

Le Gouvernement fait un double diagnostic, que je partage très largement, compte tenu de ce qu’ont pu m’en dire les professionnels.

D’une part, alors que l’inscription sur la liste départementale des sites devait être « l’antichambre » du classement, celle qui précède l’adoption de mesures protectrices, cette inscription a été utilisée pour bien d’autres motifs, sans cohérence et avec des règles différentes, au prix d’une grande dispersion des moyens consacrés à la protection.

D’autre part, l’inscription sur cette liste départementale n’assure pas une protection suffisante : sur un site inscrit, l’avis des architectes des Bâtiments de France, les ABF, est consultatif et l’on fait à peu près tout ce que l’on veut, du moment que l’on ne démolit pas ce qui a justifié l’inscription.

L’administration estime que l’inscription ne protégerait finalement que les territoires sur lesquels aucune pression foncière ne s’exerce. Pour autant, les sites inscrits mobilisent beaucoup les ABF, les services territoriaux de l’architecture et du patrimoine, désormais intégrés à la direction régionale des affaires culturelles, la DRAC, et, pour les espaces naturels, les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement, les DREAL, qui relèvent du ministère de l’écologie, et les propriétaires, qui doivent annoncer leurs travaux au moins quatre mois à l’avance.

Pour résoudre ces problèmes, le Gouvernement nous propose, avec l’article 69, de « geler » la liste des sites inscrits et de redistribuer le « stock » – pardonnez-moi ce terme, mais je n’en ai pas trouvé d’autre ! – des sites actuellement inscrits dans trois catégories, d’ici à 2026.

Première catégorie, les sites « dont la dominante naturelle ou rurale présente un intérêt paysager justifiant leur préservation » : cette « nouvelle liste » serait établie par arrêté ministériel, après avis de la commission supérieure des sites, perspectives et paysages.

Deuxième catégorie, les sites qui méritent d’être classés : cette tâche devrait être accomplie d’ici à 2026 par décret et après enquête publique.

Enfin, la troisième catégorie regroupe tous les autres sites qui ont vocation à être radiés de la liste, c’est-à-dire ceux qui sont dégradés de manière « irréversible », au point qu’il ne serait plus utile de les protéger, ou ceux qui bénéficient d’une protection équivalente, au titre d’un dispositif plus récent que l’inscription.

C’est peu dire, mes chers collègues, que ce « grand ménage » inquiète les élus, les techniciens et les associations que j’ai auditionnés, mais ce qui les inquiète plus encore, c’est ce « gel » de la liste, c’est-à-dire l’impossibilité, à l’avenir, d’y inscrire des sites à protéger. Le Gouvernement a beau souligner qu’un nombre finalement restreint de sites se verraient « désinscrits », ce que nous retenons, c’est que l’impossibilité d’inscrire désormais un site nous privera d’un outil souple et apprécié de gestion territoriale soucieuse de patrimoine.

Quelles sont les motivations profondes de cette réforme ?

Certes, il faut mettre de l’ordre, de la cohérence, classer les sites qui méritent de l’être, résoudre les cas de superposition, simplifier les procédures. Toutefois, pourquoi « geler » la liste, qui peut continuer à jouer le rôle d’antichambre du classement et qui donne un accès très utile aux ABF et aux services territoriaux de l’architecture et du patrimoine ? Pourquoi devoir « fermer » la liste sous prétexte qu’on y met enfin de l’ordre ? L’un n’empêche pas l’autre, me semble-t-il ! Faut-il croire que l’objectif pour le Gouvernement est surtout de « recentrer » ses forces sur le patrimoine le plus sensible, quitte à laisser les collectivités territoriales orchestrer elles-mêmes la protection de leurs territoires ?

Les députés ont, très logiquement, rétabli la possibilité d’inscrire des sites, mais ils l’ont fait de manière particulièrement restreinte, pour les seuls sites qui se trouvent à proximité de sites classés. Notre commission a marqué sa volonté d’aller plus loin en proposant de rétablir la possibilité d’inscrire des sites sur la liste départementale. Je me félicite, à cet égard, de la communion de pensée avec la commission du développement durable sur ce sujet.

J’en viens au deuxième sujet et volet de notre saisine, la suppression des bâches publicitaires lors de travaux sur les monuments classés ou inscrits.

Vous le savez, depuis 2007, la publicité est autorisée sur les bâches qui recouvrent les échafaudages lors de travaux affectant des immeubles classés ou inscrits. Cette dérogation au code de l’environnement est importante d’un point de vue patrimonial, car elle permet d’affecter les recettes publicitaires au financement de ces travaux. Les députés ont décidé de la supprimer en séance publique, contre l’avis du Gouvernement, et de la commission, et la commission de la culture vous propose de la rétablir.

Si nous sommes conscients que des abus ont pu se produire et en choquer certains, il a semblé très excessif à une grande majorité des membres de la commission de supprimer un dispositif qui a prouvé son intérêt pour la protection du patrimoine.

Ses avantages sont d’abord, évidemment, pécuniaires. Depuis 2007, environ 20 millions d’euros de recettes publicitaires auraient été affectés aux travaux. Certains pics importants auraient été décisifs, tels que les 2 millions d’euros dégagés pour la restauration de la Conciergerie. À la clé, il ne faut pas oublier le soutien important que ces recettes procurent aux métiers de la restauration, dont les savoir-faire sont menacés par le repli des crédits publics.

Par ailleurs, il faut souligner que ce dispositif est raisonnable et très encadré. Ainsi, la surface de la publicité ne doit pas dépasser la moitié de la bâche ; son message fait en outre l’objet d’un contrôle de l’autorité administrative. Au total, ces bâches, notamment par l’utilisation de trompe-l’œil, donnent des résultats esthétiques bien plus convaincants que si elles étaient « brutes de chantier ».

De plus, l’affichage est strictement limité à la durée des travaux. Nous sommes donc largement en deçà de ce qui se pratiquait dans les années 1930. Vous ne vous en souvenez sûrement pas, mes chers collègues

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