Intervention de François Zocchetto

Réunion du 26 janvier 2016 à 14h30
Information de l'administration et protection des mineurs — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de François ZocchettoFrançois Zocchetto :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la Haute Assemblée est de nouveau réunie pour débattre de la question des communications d’informations entre l’autorité judiciaire et l’administration. J’ai bien dit l’« autorité » judiciaire, car l’intitulé du texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale mentionnait l’« institution » judiciaire. La différence peut paraître anecdotique, mais elle a constitué pour nous un premier signal : une telle approximation dans le titre du projet de loi pouvait laisser à penser que son examen avait peut-être été insuffisant et que sa rédaction était perfectible.

Nos discussions s’inscrivent dans le prolongement des affaires dramatiques dites « de Villefontaine » et « d’Orgères » qui avaient malheureusement défrayé la chronique. L’été dernier, le Gouvernement avait donc déposé des amendements lors de l’examen d’un texte de transposition de directives européennes, amendements qui avaient été adoptés. Tout à fait logiquement, le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions, dans la mesure où elles n’avaient aucun lien avec le texte étudié. En l’espèce, il a laissé entendre qu’il ne fallait pas confondre vitesse et précipitation.

Au Sénat, nous savons ce qu’est la vitesse, puisque, le 20 octobre dernier, la Haute Assemblée a, exactement sur le même sujet, discuté et adopté une proposition de loi très proche du texte qui nous est proposé aujourd’hui, déposée par notre collègue Catherine Troendlé, qui s’était d’ailleurs beaucoup investie. Malheureusement, de façon assez incompréhensible, le Gouvernement et l’Assemblée nationale ont refusé que la navette parlementaire se poursuive, ce que je déplore, alors que ce texte apportait une réponse aux attentes du Gouvernement, en dépit de quelques divergences de vues. La poursuite de la navette parlementaire nous aurait surtout permis de gagner du temps !

Le Gouvernement a donc décidé de ne pas s’intéresser au travail parlementaire, autrement que comme référence, de perdre du temps et de nous présenter aujourd’hui ce projet de loi qui revient sur des questions que nous avons déjà abordées à maintes reprises et qui, pour l’essentiel, recueillent un consensus.

Or, madame la ministre, je n’ai pas bien compris comment vous pourriez créer une divergence de vues artificielle entre le Sénat et vous-même, car nous sommes quasiment d’accord sur tout. Nous vous proposons même d’aller un peu plus loin en matière de contrôle judiciaire. Le seul point sur lequel nous ne transigerons pas est le respect des principes constitutionnels, en l’occurrence la présomption d’innocence.

L’article 1er du présent texte est le plus important, car il modifie de manière très substantielle le code de procédure pénale. Je dois dire que c’est un honneur de vous accueillir, madame la ministre de l’éducation nationale, à l’occasion de l’examen de ce texte, car votre avis nous aurait manqué.

Toutefois, nous aurions également aimé entendre Mme Taubira, garde des sceaux, s’exprimer devant nous sur ce sujet très important, d’autant plus que les modifications envisagées ont donné lieu à des appréciations très divergentes, non seulement au Sénat, mais également dans le monde de la magistrature – je veux parler de la Conférence nationale des procureurs généraux et la Conférence nationale des procureurs de la République. En effet, l’opinion de Mme le garde des sceaux ne nous a pas toujours paru très claire sur cette question et il aurait été intéressant de la confronter avec les hésitations de certains parlementaires présents cet après-midi dans notre hémicycle. Nous comprenons cependant qu’elle doive répondre à des obligations internationales et nous vous remercions, madame la ministre, d’être présente aujourd’hui.

L’article 1er crée un régime général de communication d’informations à l’administration. J’attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait que les décisions susceptibles d’être transmises pourraient concerner une condamnation, même non définitive, la saisine d’une juridiction de jugement ou une mise en examen. Ce régime trouverait à s’appliquer à un large champ d’infractions qui ne se limite pas aux infractions sexuelles commises contre des mineurs. Il s’agit de la possibilité, pour le parquet, d’informer l’autorité administrative de tous les crimes ou délits punis d’une peine d’emprisonnement.

Ce régime général s’appliquerait non seulement aux administrations, mais aussi aux personnes morales de droit privé chargées d’une mission de service public – pour l’essentiel des associations –, ainsi qu’aux ordres professionnels.

Parallèlement est créé un régime d’information renforcé pour les infractions les plus graves, notamment contre des mineurs, commises par des personnes exerçant une activité supposant un contact habituel avec des mineurs. En vertu de ce régime, le ministère public serait tenu d’adresser à l’administration les décisions de condamnation et de placement sous contrôle judiciaire assorties de l’interdiction d’exercice d’une activité au contact habituel de mineurs. Pour ces mêmes infractions, le ministère public aurait également la possibilité d’informer l’administration ou l’employeur de la garde à vue ou de l’audition libre, lorsqu’il existerait des indices graves ou concordants… – je n’insiste pas davantage, puisque je m’adresse à des spécialistes des questions pénales.

Lors de son examen par les députés, le projet de loi n’a fait l’objet que de modifications rédactionnelles. Ce consensus assez étonnant a succédé à des débats très rapides. Je m’en étonne, car le sujet est loin d’être anecdotique. Lors des discussions des textes précédents, de nombreuses hésitations et divergences de vues avaient pu être constatées au sein des groupes politiques les plus nombreux.

Je veux le redire très clairement, au Sénat, personne ne conteste la nécessité d’assurer la protection la plus efficace possible aux mineurs contre les auteurs d’agressions sexuelles, en particulier dans le milieu scolaire, mais je veux redire aussi que, en tant que législateurs d’un État de droit, nous sommes tenus au respect absolu de notre ordre constitutionnel, dont fait partie intégrante le principe de la présomption d’innocence, qui suppose le respect du secret de l’instruction et de l’enquête.

Entre ces deux exigences contradictoires, le chemin est particulièrement étroit, mais j’ai le sentiment que le texte de la commission des lois, qui connaît ce sujet depuis des années, parvient mieux à les concilier que la version qui nous a été transmise par l’Assemblée nationale, et à laquelle semble tenir le Gouvernement.

Pour ce qui concerne la phase située après une reconnaissance de culpabilité, il n’y a aucune difficulté : la transmission systématique de l’information est bien sûr nécessaire et va de soi.

De même, comme nous l’avions prévu dans la proposition de loi votée au mois d’octobre, nous souhaitons que la peine complémentaire d’interdiction d’exercice d’une activité auprès de mineurs soit, en cas d’infractions sexuelles en lien avec les mineurs, prononcée de manière plus systématique, dans le respect des prescriptions du Conseil constitutionnel sur l’individualisation des peines.

À cet égard, je dois dire, madame la ministre, que nous ne comprenons pas votre position : nous vous faisons une proposition qui est complètement dans l’esprit de ce que vous défendez, à savoir permettre qu’il y ait plus de décisions de justice assorties du contrôle judiciaire, et vous vous y opposez mordicus. Il s’agit là d’une contradiction que, je le répète, nous n’arrivons pas à comprendre. En tout cas, sur ce point, j’appelle le Sénat à reprendre la position qu’il avait retenue au mois d’octobre.

S’agissant de la transmission d’informations pénales sur des procédures en cours, la commission des lois a logiquement infléchi sa position. J’y insiste, cet infléchissement n’allait pas de soi et il a suscité un débat très approfondi, bon nombre de membres de la commission demeurant résolument hostiles à toute idée d’une communication avant condamnation. Telle n’est pas la thèse que je défends en cet instant, mais il faut savoir qu’elle est soutenue par certains parlementaires.

Si nous avons accepté, au regard de l’avis du Conseil d’État, le principe d’une information en cas de mise en examen ou de renvoi devant une juridiction de jugement, nous y avons posé deux conditions : d’une part, une telle information doit demeurer facultative, car il faut faire confiance aux magistrats, et, d’autre part, elle doit s’accompagner de garanties réelles, avec un minimum de contradictoire, ce qui permettra à la personne mise en cause simplement de faire connaître sa position.

Pour le reste, nous nous en sommes tenus à notre position constante, c’est-à-dire le refus d’autoriser l’information de l’administration dès le stade de la garde à vue ou de l’audition libre. Une telle information porterait en effet une atteinte tout à fait excessive à la présomption d’innocence. Je précise, puisque vous avez cité les magistrats tout à l’heure, madame la ministre, que la Conférence nationale des procureurs généraux et la Conférence nationale des procureurs de la République y sont tout à fait défavorables.

De plus, j’ai conscience de m’exprimer devant bon nombre d’élus locaux, qui ont tous compris qu’il s’agissait d’un transfert de responsabilité du juge vers l’employeur, souvent le maire – certains d’entre nous sont actuellement confrontés à ce type de sujet –, or nous ne souhaitons pas que ce transfert se fasse sans un minimum de garanties. En effet, ce dispositif peut avoir des conséquences importantes sur la vie des administrations, les relations avec les syndicats, et entraîner des recours en tout genre auprès des juridictions administratives.

La commission a, dans le même esprit, exclu certaines infractions du régime de transmission obligatoire. Je ne développe pas ce point, qui fait l’objet d’un consensus.

En tout état de cause, l’efficacité de ces mesures se heurtera nécessairement aux moyens dont disposent actuellement les parquets. Souvenons-nous que M. Nadal, au mois de novembre 2013, pointait la lourde charge de travail des magistrats des parquets et des greffes « qui ne peuvent plus répondre à l’ensemble de leurs missions ».

À cette inadaptation des effectifs du parquet s’ajoute celle des moyens informatiques, avec les dysfonctionnements du logiciel Cassiopée, que tous les spécialistes connaissent.

Mes chers collègues, aujourd’hui, les parquets ne disposent pas d’outils d’alerte informatiques leur permettant de remplir la mission que vise à leur confier ce projet de loi, et l’étude d’impact précise que lesdits moyens informatiques ne seront pas déployés avant l’échéance du premier trimestre 2017. Ainsi, on comprend mal que le Gouvernement nous oppose l’urgence, même si nous partageons ce sentiment, tout en avouant que les moyens n’y sont pas actuellement.

Par ailleurs, je m’étonne que le Gouvernement évalue à quinze minutes le temps nécessaire à un magistrat du parquet pour décider de transmettre ou non l’information. Ce n’est franchement pas sérieux !

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