Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, effectivement, les agressions sexuelles n’ont jamais été virtuelles et elles ne sont pas apparues récemment. Simplement, pendant très longtemps, elles n’ont pas été connues ni poursuivies ; pis, elles étaient parfois même tolérées.
Les agressions sexuelles à l’égard des mineurs, qu’elles se produisent dans le cercle familial ou dans le milieu scolaire, sont intolérables et doivent être réprimées. Elles sont souvent dues à des comportements pulsionnels que certaines personnes ne savent pas maîtriser et que nous devons savoir freiner en temps utile.
En 2015, à Villefontaine et à Orgères, sont survenus des faits que tout le monde connaît désormais. À chaque fois, il s’agissait de personnes qui avaient déjà été condamnées en 2006 et 2008 ; s'agissant de l'affaire d'Orgères, le prévenu avait en plus fait l’objet de poursuites en 2011. À cet égard, Mme la ministre, je vous sais gré de ne pas avoir fait de politique politicienne en renvoyant la responsabilité de ces affaires sur les personnes alors au pouvoir. Là n’est pas le sujet.
Comme vous l’avez dit et reconnu, il est exact aussi que vingt-deux circulaires de ministres de la justice successifs n’ont pas réussi à aboutir à un résultat. Espérons que nous ferons mieux, mais il faut bien reconnaître que ces questions, au-delà de la loi, restent complexes.
À la suite des affaires que j’ai évoquées, vous avez su, avec Mme la garde des sceaux, réagir très rapidement en mettant en place une mission conjointe à vos deux administrations. Celle-ci a remis, avant l’été 2015, un rapport comprenant quinze préconisations, dont neuf de nature technique et réglementaire, que vous avez très vite reprises dans une circulaire conjointe du 16 septembre 2015 généralisant les référents « justice » et les référents « éducation nationale », dont vous avez parlé.
Par ailleurs, la mission préconisait six mesures d’ordre législatif qui doivent permettre aux procureurs, et parfois même les obliger, à donner des informations à des administrations ou à des organismes employant ces personnes condamnées ou soupçonnées, de manière à prévenir des infractions.
Madame la ministre, à partir du constat que des infractions sexuelles sur des mineurs avaient pu être commises par des personnes ayant été condamnées préalablement pour détention d’images pédopornographiques, vous avez toutefois souhaité aller plus loin avec ce texte et prévoir une information générale à l’égard de toute administration pour des infractions commises.
Cette volonté pose des problèmes de principe, et, vous avez raison, monsieur le rapporteur, le Sénat ne doit pas être timoré sur ce sujet, mais il doit surtout être sage et garant des principes fondamentaux.
Ainsi, nous devons absolument respecter la présomption d’innocence, que rappellent la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, même si elle est mise à mal quotidiennement par la presse. Il est exact qu’un enseignant mis en garde à vue peut fort bien faire l’objet d’une dénonciation par voie de presse. Est-ce pour autant un comportement que l’autorité peut se permettre ? C’est un autre sujet, mais, en même temps, nous devons tenir compte de ce contexte médiatique qui s’impose à nous.
Lorsque la personne a été condamnée, il n’y a pas de difficulté, puisque la condamnation est le fruit d’un jugement en audience publique, donc par définition connu. Partant, celui-ci peut être naturellement communiqué.
Lorsque la personne condamnée en première instance fait appel et que les voies de recours ne sont pas épuisées, nous sommes dans la même situation, dans la mesure où une condamnation a été rendue publique, même si les voies de recours ouvertes rendent possible une relaxe de l’intéressé.
Dans ces deux cas, l’information est légitime et ne pose pas de problème. Elle doit simplement être organisée. À ce sujet, j’espère que votre circulaire, avec la mise en place des référents « justice », la sensibilisation des procureurs et des magistrats, la fourniture de moyens, notamment informatiques, y parviendront.
La situation devient un peu plus compliquée lorsque la personne concernée fait l’objet de mesures d’investigation, mais n’est pas encore condamnée.
S’il s’agit d’une mise examen, le juge d’instruction saisi peut ordonner une mise sous contrôle judiciaire, ce qui lui permet de prendre éventuellement un certain nombre de précautions, notamment l’interdiction de fréquenter l’établissement scolaire ou de fréquenter des enfants.
Cependant, il faut savoir que, dans nombre de cas, notamment dans les poursuites engagées pour consultation de sites internet ou détention de vidéos pédopornographiques, la condamnation intervient après une citation directe en correctionnelle plutôt qu’après une procédure, par nature lourde, menée par un juge d’instruction.
Le contrôle judiciaire n’étant donc pas possible, la solution est alors la communication par le procureur de la République, à laquelle il peut procéder, aussi bien pour un mineur que pour un majeur, à condition, comme le précise le Conseil d’État, de préserver un juste équilibre entre les droits ou intérêts légitimes de la personne et les impératifs de protection d’autres droits ou intérêts de même valeur.
C’est bien cette question de la balance, sur laquelle la justice se penche en permanence, qu’il nous faut avoir à l’esprit en examinant ce texte. Ce n’est pas simple et, pourtant, madame la ministre, je crois que vous avez trouvé, avec l’Assemblée nationale, des solutions qui sont différentes et qui vont bien plus loin que celles que prévoit la proposition de loi de notre collègue Catherine Troendlé et que le Sénat a votée en octobre.
Dans la phase préparatoire de ce texte, le Conseil d’État vous a donné les pistes nécessaires, qui nous paraissent pour l’essentiel satisfaisantes, même si nous aurons l’occasion d’aborder, au détour d’amendements, quelques soucis techniques et de modes de fonctionnement, le sujet étant complexe. Par ailleurs, monsieur le rapporteur, vous avez raison, il faut se poser la question des moyens des procureurs.
En revanche, au groupe socialiste et républicain, nous sommes convaincus que nous irions trop loin dans le non-respect de la présomption d’innocence en autorisant le procureur à informer à l’issue de la garde à vue ou d’une audition. D’ailleurs, le Conseil d’État relève qu’« il s’agit du seul cas pour lequel l’information communiquée par le parquet serait susceptible de ne pas être suivie de la saisine d’une juridiction et ainsi la procédure pourrait se clore par une décision du ministère public » prononçant un classement sans suite. Or, nous le savons, les mises en examen sont publiquement connues, à la différence des ordonnances de non-lieu ; une poursuite est connue, mais je ne suis pas sûr que le classement sans suite le soit. Et les dommages occasionnés à la personne peuvent être extrêmement importants !