Intervention de Jean-Pierre Leleux

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 26 janvier 2016 à 16h05
Liberté de la création architecture et patrimoine — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Pierre LeleuxJean-Pierre Leleux, rapporteur :

Merci à Mme Férat pour le travail que nous avons mené sur ce texte ainsi qu'à celles et ceux qui ont assisté à nos auditions, que notre présidente a souhaité ouvrir à tous les commissaires.

Enfin ! Ce texte tant attendu, annoncé depuis le début du quinquennat, arrive devant notre commission. Le Président de la République nous avait successivement promis une loi d'orientation sur le spectacle vivant et une grande loi pour remplacer Hadopi, qui serait l'acte II de l'exception culturelle française. On a ensuite évoqué une loi sur le patrimoine, une loi fondatrice sur la création... Et nous voici avec un texte touffu traitant de la création, de l'architecture et du patrimoine que l'on pourrait qualifier de projet de loi portant diverses dispositions d'ordre culturel, un DDOC.

Le projet de loi est passé de 46 à 96 articles à l'Assemblée nationale. Non que les députés se soient montrés particulièrement prolifiques et créateurs mais le Gouvernement a introduit nombre de dispositions qui auraient dû figurer dans le texte initial. Nous regrettons également la multiplication des ordonnances et des rapports au Gouvernement. Sur ces façons discutables de faire la loi, nous avons beaucoup à redire.

Ce texte est touffu, donc, avec pour étendard son article 1er : « La création artistique est libre ». Que n'y avait-on pensé plus tôt ? Serait-elle menacée en France au point qu'il faille lui reconnaître expressément une portée législative ? On peut heureusement en douter. Jamais dans notre histoire il n'a été aussi aisé de s'exprimer. D'une part, parce que les supports de communication et les lieux de création n'ont jamais été aussi nombreux ; d'autre part, parce que les limites juridiques apportées à l'exercice de cette liberté ont été réduites au minimum. Je ne nie pas l'existence d'actes d'hostilité à l'égard de certains créateurs. Ces comportements individuels sont, bien entendu, susceptibles de poursuites judiciaires, en particulier lorsqu'ils se traduisent par des atteintes aux oeuvres et aux créateurs. Mais cet article 1er, emphatique et déclamatoire, aura-t-il le moindre impact sur eux ? Des doutes ont transparu à l'Assemblée nationale, même l'étude d'impact semble conclure que cet article ne changera pas le droit en vigueur. Soit.

À cet article 1er d'un sublime dépouillement, succède un article 2 particulièrement foisonnant, véritable caverne d'Ali Baba des objectifs de la politique culturelle. La liste en est si longue que l'on en vient à chercher les oublis... Nous sommes tombés dans ce piège, déplorant l'absence de référence aux entreprises, aux fondations et aux mécènes comme acteurs importants du soutien à la création.

L'obligation d'un débat annuel sur la politique en faveur de la création et de la diffusion artistiques au sein de la conférence territoriale de l'action publique (CTAP) est bienvenue. Nous souhaitons que ce débat concerne la culture dans son ensemble et que chaque CTAP comprenne une commission thématique dédiée, comme l'avait proposé notre présidente lors de l'examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) en 2014. Nous vous proposerons aussi de supprimer l'agrément délivré par le ministère chargé de la culture sur la nomination des dirigeants des structures labellisées. Attribuer un tel pouvoir de contrôle à l'État, alors que les collectivités territoriales financent la plupart de ces structures, déséquilibrerait significativement les relations entre les deux partenaires que sont l'État et les collectivités territoriales.

Je vous propose trois articles additionnels. Le premier instaure un mécanisme assurant la rémunération des auteurs d'oeuvres d'art plastiques, graphiques et photographiques pour les images que les moteurs de recherche et de référencement s'approprient sans autorisation. Le deuxième instaure un dispositif innovant en faveur du mécénat territorial : les communes et leurs groupements pourraient proposer aux entreprises qui soutiennent la création de déduire un certain montant de ces versements de l'assiette d'une de leurs contributions locales. Le dernier ouvre la possibilité à un auteur d'oeuvres d'arts graphiques et plastiques, en l'absence de tout héritier réservataire, de léguer son droit de suite à un musée ou à une association ou fondation culturelle.

J'en viens aux industries culturelles. Après une crise majeure, une succession de rapports critiques sur le partage de la valeur dans un modèle économique désormais largement dématérialisé et une médiation fort tendue à l'été 2015 sous l'égide de Marc Schwartz, le secteur de la musique opère une nouvelle mue dans le cadre du projet de loi, qui vise tant un rééquilibrage du partage de la valeur qu'un apaisement des relations interprofessionnelles. Dans le prolongement des Assises du cinéma et des négociations interprofessionnelles, ce texte comprend un large volet relatif à la transparence des relations contractuelles dans le secteur cinématographique. Ses dispositions pour le secteur du livre, moins ambitieuses, ont également trait à des thèmes sur lesquels portent ou ont porté des négociations interprofessionnelles ; d'autres complètent à la marge des dispositions législatives existantes. Enfin, dernier volet qui a été ajouté à l'Assemblée nationale, celui sur la gouvernance de la commission de la copie privée, dont les membres ont été en conflit ouvert entre 2012 et 2015, la transparence de son fonctionnement et de sa gestion.

Un grand nombre des mesures proposées constituant la traduction législative de négociations abouties, en cours ou à venir, je vous inviterai, plutôt que de bouleverser les équilibres fragiles admis par les parties, de les clarifier et de les compléter pour renforcer la transparence. Je propose également d'apporter notre soutien, moyennant quelques assouplissements, au dispositif assurant l'application des règles relatives aux quotas de chansons francophones à la radio et son contrôle par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). En revanche, mieux vaut supprimer le dispositif proposé pour les web-radios : ses incidences sur les artistes et les producteurs sont trop incertaines.

Parce que la création est aussi présente dans l'audiovisuel, il est indispensable d'intégrer des dispositions sur ce secteur. Cela en vue, de débloquer les négociations entre diffuseurs et producteurs mais aussi de favoriser l'émergence de groupes français de taille européenne susceptibles de préserver notre exception culturelle face aux Netflix et autres Google. Faire passer à 60 % au minimum la part de production indépendante et définir l'indépendance selon le seul critère de la détention capitalistique favorisera les rapprochements et un renforcement de la filière audiovisuelle française comme de l'investissement dans la création.

Deux des sept demandes de rapport au Gouvernement peuvent être supprimées. D'abord, le rapport sur l'opportunité de créer un dispositif permettant à l'État, aux collectivités territoriales et à leurs groupements de consacrer 1 % du coût des opérations de travaux au soutien de projets artistiques. Cette perspective suscite de nombreuses inquiétudes, de la part des collectivités territoriales qui redoutent une hausse du coût des travaux mais aussi de la part des bénéficiaires du 1 % artistique qui craignent que le dispositif existant soit détourné de sa vocation initiale. Puis, le rapport sur l'amélioration du partage et de la transparence des rémunérations dans le secteur du livre car cela porterait atteinte à la liberté des négociations en cours.

Enfin, préservons les prérogatives du Parlement en supprimant l'article 28 qui autorise le Gouvernement à modifier en profondeur le code du cinéma et de l'image animée par ordonnance. La suite de la discussion parlementaire lui offrira sûrement l'occasion de nous proposer de véritables dispositions législatives.

Les mesures du projet de loi en matière d'emploi et d'activité professionnelle semblent relativement peu ambitieuses au regard des demandes des artistes et des éléments qui figuraient dans l'avant-projet de loi. Quelques mois à peine après la promulgation de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, ce texte se contente d'apporter une solution aux problèmes les plus criants ou de transcrire dans la loi des décisions déjà actées, sans ouvrir de nouveaux chantiers. Seules innovations, la création d'un observatoire de la création, demandée de longue date, pour améliorer la connaissance des secteurs du spectacle vivant, des arts plastiques et des industries culturelles, et l'instauration d'un cadre juridique sécurisé pour les pratiques artistiques amateurs.

Demander un rapport sur la situation du dialogue social et de la représentativité des négociateurs professionnels du spectacle est inutile à la veille de l'ouverture des négociations de la nouvelle convention d'assurance chômage. Sur ces questions, qui relèvent aussi de la commission des affaires sociales, je m'en tiendrai à des modifications rédactionnelles.

S'agissant des conservatoires, la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales avait tenté de clarifier les responsabilités respectives de chaque niveau de collectivité envers eux. Elle avait notamment décentralisé la compétence d'organisation et de financement des troisièmes cycles professionnalisant au profit des régions. Mais, dans leur grande majorité, celles-ci avaient refusé de mettre en place et de financer ces cycles. Il s'en était ensuivi douze années de crise institutionnelle. Les premières années du quinquennat de François Hollande ont également vu le désengagement massif de l'État du financement des conservatoires : les crédits sont passés de 27 millions d'euros à 6 millions d'euros entre 2012 et 2015. Fort heureusement, le Gouvernement y est revenu à partir de 2016 ; toutefois, parler, comme le fait la ministre, d'un « Plan conservatoires » paraît quelque peu abusif quand les crédits votés pour 2016 demeurent deux fois inférieurs à leur niveau de 2012. En nous inspirant des travaux de notre présidente et de sa récente proposition de loi, nous suggérons de clarifier la répartition des compétences entre collectivités, afin que la région assume un véritable rôle de chef de file sur la question des enseignements artistiques spécialisés.

Enfin, le projet de loi conforte utilement l'insertion des établissements d'enseignement supérieur de la création artistique dans le système d'enseignement supérieur français et européen tout en préservant leurs spécificités. J'ai considéré avec intérêt et bienveillance ces dispositions que je me suis employé à solidifier.

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