Intervention de Marisol Touraine

Réunion du 27 janvier 2016 à 21h30
Nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Marisol Touraine :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, l’Assemblée nationale vient d’adopter, voilà quelques heures, le rapport de la commission mixte paritaire sur cette proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. Si, à votre tour, dans quelques instants, vous adoptez ce texte, nous parviendrons ainsi au terme du parcours législatif que nous avons entamé voilà près d’un an, à l’issue de longs mois de discussions dans le pays et au sein des assemblées.

Le débat a été long, il a été participatif. C’est normal, et je veux le dire à ceux qui s’étonnent parfois de ce que nous ayons consacré des mois, des années en réalité, à proposer cette nouvelle avancée. C’est normal, parce qu’il a fallu consulter. Tel fut l’objet de rapports successifs remis par des personnalités ou des institutions remarquables. Le premier d’entre eux a été porté par le professeur Sicard, et le second par le Comité consultatif national d’éthique, qui a organisé des débats en régions et une conférence citoyenne. Chacun a pu s’exprimer : associations, professionnels de santé, grandes familles de pensée ou grandes familles religieuses.

Ce travail était nécessaire, parce que, lorsque nous évoquons la fin de vie, lorsque nous voulons modifier les textes qui la régissent, nous définissons les valeurs qui sont les nôtres, la manière dont la société tout entière se projette dans l’avenir, fait une place à l’expression de la liberté, de l’autonomie. Au fond, c’est bien à cela que nous devons répondre.

Les Français, nous le savons tous, expriment une exigence forte : celle de la dignité. Ce mot, qui ne s’était pas invité dans les débats au cours des années précédentes, s’est véritablement imposé. Cette exigence de dignité rejoint l’aspiration à la liberté, à l’expression de l’autonomie de la personne.

Ces attentes, ces demandes sont fortes. C’est pour y répondre que le Président de la République avait pris lors de sa campagne l’engagement de permettre à toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable et ne pouvant être apaisée, de demander, dans des conditions strictes et précises, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, certains d’entre nous sont, par nature, par conviction politique, plus attentifs à cela que d’autres, mais cet engagement pris par le Président de la République est tenu. D’aucuns considèrent, et je l’entends parfaitement, qu’il aurait pu donner lieu à d’autres orientations. Il y avait assurément d’autres manières de le concrétiser, mais nul ne peut dire que ce n’est pas le cas.

Le texte tel qu’il est issu de vos débats est au rendez-vous de cette exigence. Je vous le dis très sincèrement, en votant cette loi, vous consacrerez une avancée historique, parce que, pour la première fois, c’est le malade qui est au cœur de la décision relative à la fin de sa vie. Jusque-là, les décisions, les règles qui existaient, la loi qui avait été votée, étaient consacrées aux médecins, à la définition de leurs droits et de leurs devoirs.

Pour la première fois, la loi se place du point de vue du malade et de l’expression de sa liberté et de sa volonté.

Il s’agit d’abord pour le malade de voir sa souffrance apaisée. Ce devrait être une évidence, pourtant, ce n’est pas encore le cas aujourd’hui. Comme vous l’avez dit unanimement sur ces travées, il est insupportable et inacceptable que, en ce début de XXIe siècle, dans un pays développé comme le nôtre, l’accès aux soins palliatifs reste à ce point aléatoire et inégal sur notre territoire.

C’est la raison pour laquelle le texte de loi que vous examinez sans doute pour la dernière fois consacre un droit à accéder aux soins palliatifs sur l’ensemble du territoire.

Sans attendre votre vote, j’ai présenté le 3 décembre dernier un plan national pour les soins palliatifs et l’accompagnement en fin de vie qui se mettent en place de manière résolue. Je le disais, l’objectif est de garantir l’égal accès de tous à ces soins. Ce plan, pour lequel nous mobiliserons 190 millions d’euros sur trois ans, s’articule autour de quatre axes.

Le premier axe est l’information des patients sur leurs droits. C’est pour atteindre cet objectif que, d’ici un an, nous mettrons en place une grande campagne nationale de communication qui portera en particulier sur les directives anticipées ; j’y reviendrai.

Le deuxième axe est le développement des prises en charge au domicile des personnes malades, y compris dans les établissements sociaux et médico-sociaux, puisque le domicile, ce peut être une maison de retraite.

Dès 2016, 30 nouvelles équipes mobiles de soins palliatifs seront déployées sur l’ensemble du territoire. Un financement spécifique sera accordé aux projets territoriaux innovants. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 a d’ailleurs inscrit les budgets nécessaires.

Le troisième axe consiste à accroître les compétences des professionnels et des acteurs concernés. Il s’agit ici de structurer et de décloisonner la formation aux soins palliatifs, parce que l’ensemble des professionnels de santé nous l’ont dit, ils ne se sentaient pas nécessairement préparés, en tout cas ils l’étaient inégalement, et ils avaient besoin de formation. Nous allons, pour cela, à la demande de ceux que l’on appelle les « palliativistes », créer une filière universitaire dédiée.

Enfin, quatrième axe, pour réduire les inégalités d’accès, nous créerons dès cette année au moins six nouvelles unités de soins palliatifs, avec pour objectif que l’ensemble du territoire soit équitablement desservi.

Cet engagement en faveur du développement des soins palliatifs est important, il est nécessaire – c’est une exigence –, mais il ne suffit pas à répondre à toutes les attentes.

Nous savons bien que, par-delà l’accès aux soins palliatifs, des souhaits s’expriment pour que la fin de vie se déroule dans un contexte de dignité correspondant aux attentes des malades. Les progrès de la médecine à cet égard sont, si j’ose dire, ambigus pour certains. Ils sont une chance indéniable, puisqu’ils permettent à tous ceux de nos concitoyens qui sont malades de vivre plus longtemps. Toutefois, ils génèrent aussi des fins de vie plus longues, plus difficiles, plus douloureuses pour les malades et leurs familles. Parfois, on voit bien que ce sont les assistances techniques qui maintiennent en vie, alors même que la capacité du corps, la capacité de la personne à vivre sont elles-mêmes fortement atteintes.

Les malades veulent donc pouvoir décider. Or, en l’état actuel, notre droit ne répond qu’imparfaitement à cette attente, puisque seul le médecin aujourd’hui est en mesure de décider d’arrêter les traitements et d’accompagner le malade dans cette ultime étape.

La grande force de ce texte, ce qui en fait une avancée historique, est de renverser la logique de la décision. Concrètement, ce n’est plus le médecin qui est placé en première ligne. C’est bien la personne, et elle seule, dès lors que la maladie dont elle souffre est incurable et que son pronostic vital est engagé à court terme, qui pourra demander une sédation continue jusqu’au décès.

Pour que ce choix puisse être respecté, encore faut-il qu’il ait été formulé, si la personne malade en fin de vie ne peut pas ou ne peut plus l’exprimer. Les directives anticipées existent, mais restent très peu utilisées ; seuls 2, 5 % des Français en ont rédigé. Il convient de se demander pourquoi : sans doute parce que ce droit est mal connu ; ensuite parce qu’on ne sait pas toujours comment le mettre en œuvre concrètement. Rédiger une directive anticipée, c’est écrire quoi, comment ? Et à qui la confier ?

On ne sait pas non plus qu’aujourd’hui la durée de vie d’une directive anticipée est de trois ans, ce qui n’encourage pas une personne encore jeune à en rédiger.

Enfin, nous ne sommes pas assurés, en rédigeant une telle directive, qu’elle sera respectée, dans la mesure où ces directives anticipées ne sont actuellement que l’un des éléments pris en compte dans la décision médicale.

Le texte sur lequel vous allez vous prononcer, mesdames, messieurs les sénateurs, donne un caractère contraignant aux directives anticipées, qui s’imposeront à tous dès lors qu’elles expriment évidemment la volonté du patient. Elles seront valables sans limites de temps. En outre, les Français seront mieux informés de leur existence ; c’est la raison pour laquelle je disais que ce serait l’un des enjeux de la campagne de communication. Nous ferons en sorte que l’accès à ces directives soit rendu plus simple, pour les professionnels comme pour les patients.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les débats parlementaires qui se sont tenus tout au long de l’année écoulée, au-delà des convictions de chacune et de chacun d’entre vous, nous ont permis de nous rassembler autour de ce texte. Il est d’ailleurs positif que la commission mixte paritaire ait adopté une version consensuelle à l’unanimité de ses membres.

Ces débats nous ont permis, vous ont permis notamment de vous exprimer, chacune, chacun, dans la diversité de vos positions. Certains ont estimé qu’il fallait dès à présent aller plus loin, sans que ce « plus loin » ait nécessairement le même sens pour tous. D’autres, au contraire, auraient voulu en rester à l’état actuel du droit, inquiets de voir reconnue l’autonomie du malade dans la prise de décision le concernant.

Le débat est par définition toujours légitime, mais il est surtout toujours utile. L’un des articles du texte prévoit que le Parlement évaluera l’application de la loi.

Je me réjouis du rassemblement qui s’opère, parce que se rassembler, c’est donner de la force à cette avancée historique. Se rassembler, c’est montrer que nous sommes en mouvement, collectivement, à l’écoute d’une société qui a besoin de réponses nouvelles à ses préoccupations.

Se rassembler, c’est aussi décliner concrètement les valeurs de notre République : la liberté, celle de pouvoir choisir et décider pour soi-même ; l’égalité, celle de l’accès de tous les Français à ce droit nouveau ; la fraternité, surtout, qui nous permet à la fois humanité, bienveillance et respect à l’égard des malades.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous franchissons une étape historique dans le respect de la volonté des personnes malades. Je sais que certains auraient voulu que nous allions plus vite, plus loin, mais personne ne peut décréter la fin de l’histoire, puisque, par définition, la société est en mouvement. Il appartient à ceux qui sont ou seront un jour à votre place, à notre place, de voir collectivement comment ils se saisiront de ces débats.

La société est en constante évolution et réflexion. Je salue à cet égard le rôle et le travail des associations, fortement mobilisées.

Quelles que soient les positions des uns et des autres, quelles que soient leurs attentes, ma conviction est que cette loi marquera une avancée très significative pour les Français et pour les patients. Sous-estimer une telle avancée ne serait pas rendre hommage à leurs attentes et répondre à leurs préoccupations. Je vous remercie donc par avance du vote que vous allez émettre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion