Intervention de Alain Milon

Réunion du 27 janvier 2016 à 21h30
Nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Alain MilonAlain Milon :

Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, cela a été dit, nous arrivons ce soir au terme d’un long parcours. Les travaux sur une évolution du cadre législatif applicable aux situations de fin de vie ont été lancés dès le début de la législature. La proposition de loi elle-même a été déposée il y a tout juste un an, débattue dans les deux assemblées en première lecture au printemps, puis en deuxième lecture à l’automne.

Le temps laissé à la réflexion, à la concertation, puis au débat parlementaire ne me paraît en rien excessif, sur un sujet de cette nature et de cette importance.

Au-delà de cas particuliers venant régulièrement sur le devant de l’actualité médiatique et judiciaire, il soulève en effet de nombreuses questions particulièrement difficiles pour les personnes concernées, pour les familles, pour les équipes soignantes et pour la société dans son ensemble.

C’est pourquoi il était raisonnable, sur ce texte, de ne pas engager la procédure accélérée et de laisser pleinement cheminer un débat parlementaire au cours duquel chacun a pu exprimer ses convictions, ses aspirations, ses interrogations, ses craintes. Cela a particulièrement été le cas ici, au Sénat, au prix, il est vrai, de situations parfois difficiles. Mais, en fin de compte, tout cela a été, je le crois, utile à l’élaboration d’un texte qui nous parvient aujourd’hui différent de ce qu’il était à l’origine et qui tient compte, notamment, des préoccupations qui se sont manifestées au Sénat.

La proposition de loi s’inscrit clairement dans le cadre du droit actuel, issu des lois de 2002 et 2005. Elle n’entend pas le bouleverser, mais plutôt le préciser et le prolonger, en insistant sur la volonté et la dignité du patient.

À l’Assemblée nationale, Jean Leonetti a évoqué le « droit de ne pas souffrir avant de mourir » et le « droit de dormir pour ne pas souffrir avant de mourir ». Ici, au Sénat, nos rapporteurs, Gérard Dériot et Michel Amiel, ont parlé d’une « loi pour ceux qui vont mourir, et non pour ceux qui veulent mourir ».

L’intention est bien la même et, dans les deux assemblées, une large majorité s’est dégagée en faveur de l’objectif.

Pour autant, les deux textes comportaient des différences notables, reflétant les discussions intervenues dans chacune des assemblées, tant en commission qu’en séance publique, et témoignant de la diversité des approches retenues pour traduire des préoccupations qui, le plus souvent, n’étaient pas incompatibles.

Nous touchons ici à la difficulté de légiférer sur le sujet, non seulement parce qu’il est impossible de régler par la loi l’ensemble des situations de fin de vie, mais aussi parce que chacun, en fonction de sa sensibilité personnelle, a de ce texte une perception qui lui est propre. Nous avons ainsi constaté, au cours de nos débats, combien une phrase, un mot, pouvaient être ressentis différemment selon qu’il en était fait une lecture juridique, médicale, philosophique ou tout simplement conforme à son sens courant.

De ce point de vue, la commission mixte paritaire a prouvé toute son utilité. Elle a permis de nouer un échange direct entre députés et sénateurs, d’expliciter les raisons qui justifiaient le choix de certaines formulations, de dissiper des malentendus ou des ambiguïtés, de clarifier ou de préciser des points restant en discussion.

Cette CMP s’est déroulée dans un climat de dialogue et de respect mutuel, et je tiens, au nom du groupe Les Républicains, à remercier les deux rapporteurs de la commission des affaires sociales, Gérard Dériot et Michel Amiel, qui l’ont préparée durant les dernières semaines au cours de plusieurs réunions avec les deux rapporteurs de l’Assemblée nationale. Ces derniers, qui étaient également les auteurs de la proposition de loi, ont su faire preuve, à l’égard des positions émanant du Sénat, d’une écoute qu’il faut également saluer.

Je salue enfin le travail exemplaire de François Pillet, qui nous a bien aidés en apportant ses connaissances juridiques et complétant ainsi notre travail.

Par définition, un texte de CMP résulte toujours d’un compromis. Il était important de bien mesurer les implications, en cas d’échec, d’un retour pur et simple au texte de l’Assemblée nationale. Mais il ne fallait pas pour autant renoncer aux lignes de force qui s’étaient dégagées des débats au Sénat. Cet équilibre a été trouvé dans le texte final sur lequel nous allons nous prononcer.

Pour les membres de notre groupe, comme d’ailleurs pour beaucoup d’autres sénateurs et pour la commission des affaires sociales, il était essentiel de garantir que la sédation profonde et continue ne serait mise en œuvre qu’en dernier recours, dans le cadre des soins palliatifs.

C’est d’ailleurs en vue d’assurer le plein développement des soins palliatifs et de respecter les droits du malade, dans le prolongement des lois de 2002 et de 2005, que la proposition de loi a souhaité donner force législative à une pratique déjà encadrée par la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs.

Cette dernière pose toutefois deux conditions : le pronostic vital du malade est engagé à court terme, et la souffrance qu’il ressent est réfractaire au traitement. Ces deux conditions fondamentales devaient selon nous figurer dans la loi afin d’éviter, à la faveur d’une ambiguïté, toute dérive vers l’euthanasie ou le suicide assisté qui, bien évidemment, s’écartent totalement du cadre fixé à cette proposition de loi.

De même, notre groupe était soucieux de limiter tout ce qui, dans le texte de l’Assemblée nationale, pouvait sembler donner un caractère automatique aux décisions concernant la fin de vie.

Sur ces points, un compromis satisfaisant a pu être élaboré en commission mixte paritaire.

Comme l’a indiqué Gérard Dériot, nous avons obtenu que lorsque le patient demande l’arrêt des traitements et engage à court terme son pronostic vital, la mise en œuvre de la sédation profonde et continue soit subordonnée à un risque de souffrance insupportable, alors que le texte de l’Assemblée nationale ne prévoyait aucune condition et que les députés proposaient de retenir également le simple critère, à nos yeux insuffisant, d’un inconfort majeur.

La CMP a supprimé l’expression malheureuse, Jean Leonetti l’a d’ailleurs lui-même reconnu lors des débats de la CMP, de prolongation « inutile » de la vie qui figurait dans le texte de l’Assemblée nationale. Il s’agissait également d’un point important pour notre groupe.

Le texte fait prévaloir la volonté du patient s’agissant de l’arrêt des traitements au titre de l’obstination déraisonnable. Les discussions au sein de la CMP ont permis d’éclairer la question de la nutrition et de l’hydratation artificielles, en évitant, comme nous le souhaitions, toute automaticité. Il ressort du texte que celles-ci peuvent être arrêtées ou maintenues selon la volonté du patient.

De même, les débats ont confirmé que si le patient ne demande pas l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie alors qu’il souhaite une sédation profonde et continue, il doit être écouté et sa volonté respectée.

S’agissant du contenu des directives anticipées, avec le même objectif de respect de la volonté du patient, la CMP a retenu la précision souhaitée par le Sénat afin qu’elles permettent aussi d’indiquer la volonté de poursuivre les traitements, et non pas seulement de les arrêter.

Comme le souhaitait notre commission des lois, elles pourront être révisées et révoquées par tout moyen et à tout moment. Lorsqu’elles auront été enregistrées dans le registre créé à cet effet, elles seront régulièrement rappelées à leur auteur afin de s’assurer de leur validité.

S’agissant de la désignation de la personne de confiance, les députés ont reconnu qu’il était important, pour la personne désignée, de cosigner sa désignation. Il s’agit d’éviter qu’elle ne découvre sa désignation au moment où la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté.

Globalement, mes chers collègues, le texte de la CMP prend donc en compte les garanties ou précisions que le Sénat avait voulu apporter à la proposition de loi.

Pour conclure, il me semble que la question posée, à ce stade de la procédure, n’est plus de savoir s’il était nécessaire ou non de modifier le cadre législatif issu en dernier lieu de la loi Leonetti de 2005. Ce débat a eu lieu au cours des différentes lectures. Chacun a pu exprimer à ce sujet son propre sentiment et, le cas échéant, ses interrogations.

Très largement, nous avons déploré les carences, dans la diffusion des soins palliatifs comme dans la connaissance et dans l’application de toutes les dispositions des lois en vigueur. Dans la mesure où la proposition de loi entend les conforter en réaffirmant le respect de la volonté du patient et en améliorant leur accompagnement en fin de vie, il s’agit de s’assurer des conditions dans lesquelles, sur un sujet aussi sensible, ces objectifs sont effectivement transcrits dans la loi.

Le Sénat a pleinement joué son rôle en permettant, jusqu’au stade de la CMP, que des inflexions utiles et nécessaires soient apportées au texte initial. C’est pourquoi le groupe Les Républicains, dans sa grande majorité, approuvera la proposition de loi dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Pour autant, et nous sommes très nombreux à l’avoir souligné au cours des débats, au-delà de cette proposition de loi, l’enjeu majeur réside dans un accès réel de nos concitoyens aux soins palliatifs.

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