Intervention de Sophie Primas

Réunion du 4 février 2016 à 10h30
Conséquences du traité transatlantique pour l'agriculture et l'aménagement du territoire — Discussion d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission

Photo de Sophie PrimasSophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le partenariat transatlantique entre l’Europe et les États-Unis n’est pas un traité commercial comme les autres.

Ses conséquences, si les négociations aboutissaient, seraient déterminantes, notamment dans les secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire, s’agissant de la fixation de normes et de standards qui protègent aujourd’hui le consommateur européen. Ceux-ci, compte tenu du volume des échanges transatlantiques, pourraient devenir des normes de portée internationale.

Ce partenariat serait important, car il permettrait de fixer de nouvelles règles douanières plus favorables qui, au-delà même de l’économie agricole et agroalimentaire, seraient susceptibles d’ouvrir aux pays de l’Union européenne l’accès à de nouveaux marchés de biens et de services, dans une période où tous les États membres cherchent des relais de croissance par l’exportation – d’où l’attention particulière, par exemple, de l’Italie ou des pays de l’Est à l’aboutissement des négociations actuelles.

Vous l’avez compris : le texte de cette résolution n’est pas a priori dirigé contre le principe d’un traité transatlantique.

La présente proposition de résolution, adoptée le mois dernier par la commission des affaires économiques, sur l’initiative de notre collègue Michel Billout, est en réalité l’expression d’une très vive inquiétude des parlementaires.

Cette inquiétude porte essentiellement sur deux points : d’une part, la transparence de ces négociations et, d’autre part, les conséquences de cet accord sur le volet agricole, et en particulier sur le secteur de l’élevage, dont personne ici n’ignore les difficultés structurelles et conjoncturelles.

Je rappelle que le Sénat suit très attentivement le cheminement de ce traité et que nous avons, d’ores et déjà, adopté deux résolutions : l’une, dès juin 2013, pour demander un traitement spécifique du volet agricole, et l’autre, en février 2015, exhortant à davantage de transparence dans les négociations et demandant la révision du volet relatif au règlement des différends entre investisseurs et États par la voie d’arbitrages privés.

Les enjeux agricoles du traité, si l’on s’en tient aux seuls chiffres, paraissent somme toute limités : l’Europe achète pour 13 milliards de dollars de produits agricoles des États-Unis et nous exportons vers ce pays pour 20 milliards de dollars de produits agricoles européens.

C’est bien moins que les échanges industriels ou de services, mais la question agricole reste extrêmement sensible des deux côtés de l’Atlantique : chacun souhaite développer ses exportations, mais aussi veiller à ne pas déstabiliser son économie agricole, pour notre part en offrant des garanties de qualité au consommateur.

La position de la commission des affaires économiques se concentre sur trois éléments essentiels.

Tout d’abord, nous considérons fermement que la libéralisation des échanges entre Europe et États-Unis constitue une menace directe et puissante pour notre élevage allaitant français qui, avec quatre millions de bêtes, représente le tiers du total européen.

Notre modèle agricole européen, comparativement au modèle outre-Atlantique, est surtout celui de la petite exploitation avec des animaux essentiellement nourris à l’herbe, alors que le maïs génétiquement modifié constitue la ration de base des bovins aux États-Unis. Notre système est à la fois plus vertueux au plan environnemental, pourvoyeur d’emplois, et il contribue à l’occupation des territoires ruraux – vous l’avez dit, monsieur Billout.

Au total, l’Europe est presque autosuffisante en viande bovine, tout comme les États-Unis. Cependant, les Américains consomment davantage de morceaux issus des avants, pour l’énorme industrie du steak haché, délaissant l’aloyau et les pièces nobles. C’est, bien entendu, l’inverse en Europe.

Or l’importation massive en Europe des pièces nobles surnuméraires venant des États-Unis ferait considérablement chuter les prix, déséquilibrant définitivement notre filière élevage, qui n’a pas besoin de cela.

Certes, conjoncturellement, en raison de la baisse de l’euro, le prix du bœuf est plus élevé aux États-Unis qu’en Europe, mais structurellement, la filière de production de viande de bœuf américaine dispose d’avantages importants sur la filière européenne : la taille importante des élevages et des abattoirs permet des économies d’échelle, les normes applicables sont moins contraignantes. Enfin sont utilisés outre-Atlantique des accélérateurs de croissance, comme des hormones, des antibiotiques. Quant à l’attention au bien-être animal, elle y est bien moindre que de ce côté-ci de l’Atlantique.

Une ouverture totale des marchés serait donc une menace majeure pour les producteurs européens. Voilà pour ce qui est du risque principal.

Deuxième point défendu par notre commission : l’Europe et la France ont des « intérêts offensifs » dans le secteur agricole.

L’Europe et la France exportent, d’ores et déjà, avec succès des vins et spiritueux. Nos attentes sont ici de mieux protéger nos indications géographiques, alors que nos partenaires américains ne reconnaissent que les marques. C’est un point très sensible et très difficile des négociations.

Enfin, les produits laitiers, et en particulier les fromages, sont également des produits qui pourraient bénéficier de cet accord, à la condition de lever aussi les barrières en matière d’indications géographiques et d’appellations d’origine contrôlée, mais également les barrières non tarifaires.

La troisième remarque de la commission concerne, bien sûr, la méthode de négociation.

Nos partenaires américains ont consenti un effort important en apparence, en acceptant une suppression des droits de douane beaucoup plus large qu’au début des négociations, sur 97 % des lignes tarifaires. Nous craignons qu’en contrepartie de cette situation qui paraît favorable, les États-Unis ne souhaitent exporter des produits agricoles génétiquement modifiés sans devoir le mentionner, ce qui se heurte aux « préférences collectives » des consommateurs européens.

De plus, quelles sont les garanties de l’Europe de la levée des barrières non tarifaires opposables à nos produits, en particulier dans le secteur laitier, mais aussi dans le secteur des services ? Et quelles sont les garanties que, dans l’hypothèse où ces barrières non douanières soient levées au niveau fédéral, chaque État ne reviendrait pas individuellement sur cette position ?

Enfin, s’agissant du calendrier, 2016 sera une année décisive avec le douzième « round » de négociation, en mars. Or les questions agricoles, qui sont un point de blocage, ont été mises de côté et le risque de sacrifier l’agriculture à l’urgence nous semble, plus l’échéance de la fin de l’administration du président Obama se rapproche, extrêmement fort. Cela est d’autant plus inquiétant que les craintes sont très concentrées sur notre élevage, ce qui est une particularité française, et que certains États membres souhaitent parvenir très rapidement à la conclusion de cet accord. L’Europe résistera-t-elle à la tentation du sacrifice de l’agriculture ?

La proposition de résolution européenne que nous vous demandons d’adopter juge inacceptable ce sacrifice.

Sans préconiser le retrait du volet agricole des négociations, elle indique que tout accord doit être subordonné au maintien d’un haut niveau de sécurité sanitaire pour les consommateurs, et à la préservation du secteur de l’élevage en France, ce qui implique plus de transparence et une étude d’impact plus précise, que nous appelons de nos vœux. Pour lever les doutes et les inquiétudes légitimes, il nous paraît indispensable de continuer à classer la viande dans la liste des secteurs sensibles protégés par des droits de douane et des contingents.

Autant dire que cette proposition de résolution européenne cadre parfaitement avec les positions prises depuis plusieurs années par notre commission des affaires économiques, tous groupes politiques confondus.

Au final, nous préconisons beaucoup de fermeté. Nous savons que vous n’en manquez pas, monsieur le secrétaire d’État. Faute de réciprocité, mieux vaut pas d’accord du tout plutôt qu’un mauvais accord au détriment des intérêts européens, et particulièrement des intérêts français.

Tel est le sens de cette proposition de résolution européenne que nous soumettons à l’approbation du Sénat, dans la rédaction issue des travaux de notre commission des affaires européennes, et qui, nous l’espérons, monsieur le secrétaire d’État, doit vous permettre de montrer la détermination du Parlement français de ne pas ratifier un accord ne correspondant pas aux intérêts français.

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